Féminisation de la migration : Zoom sur les raisons et les vulnérabilités


La migration est un routinier longtemps perçu comme un fait purement masculin, mais de nos jours, cette tendance migratoire s’est considérablement renversée. Ainsi, les dynamiques de migration interne et internationale au Sénégal sont marquées par une participation accrue des femmes. Même si cette tendance s’inscrit dans le cadre normal des choses, selon certains experts des questions migratoires, force est de constater que souvent les femmes en situation de migration régulière ou irrégulière sont parfois exposées à des difficultés liées pour la plupart à leurs vulnérabilités.


« Les femmes migrent plus que les hommes »
En effet, selon le rapport « Profil migratoire 2018 », de l’ANSD et OIM sur la migration, « au niveau interne, la propension à émigrer ne présente pas de différence significative par rapport au sexe selon les données du recensement de 2013. Mais on note une tendance plus importante des jeunes filles à migrer par rapport aux jeunes garçons, notamment dans les tranches d’âge comprises entre 15 et 29 ans. Le pourcentage de migrantes internes parmi les femmes est de 9,6% contre 8,2% chez les hommes dans la tranche d’âge 15-19 ans.
Ce ratio est de 11,6% contre 10,1% dans la tranche d’âge 20-24 ans et de 12% contre 11,3% dans la tranche d’âge 25-29 ans. Pour les autres âges, il y a un léger avantage en faveur du sexe masculin parmi les migrants internes. Au niveau international, les femmes représentent 16% des migrants sénégalais partis à l’étranger au cours de la période 1999-2003, selon les résultats de la deuxième enquête sénégalaise auprès des ménages (DPS, 2004). En 2013, la présence des femmes est de l’ordre de 17% parmi les Sénégalais ayant émigré à l’étranger entre 2008 et 2012 ».

« La recherche du profit en cause »
Les femmes africaines, au même titre que les hommes, font face à des difficultés économiques qui les poussent à sortir de leurs tâches domestiques traditionnelles. Elles développent des stratégies de survie et s’adonnent à des activités économiques pour seconder ou se substituer aux hommes. Ces stratégies les conduisent à participer aux processus migratoires, internes et internationaux, réguliers et irréguliers. Pour dire que la plupart des cas de migration qui concerne aussi bien les femmes que pour les hommes, l’aspect économique est mis en avant avec la facilité d’emploi. Même s’il existe souvent des cas isolés liés au regroupement familial. C’est du moins l’avis de Ibrahima Kane, expert en migration à l’Article 19. « La migration de manière générale, en dehors du fait qu’encore les gens peuvent aller voir leurs parents et autres, la migration a toujours eu un caractère économique. C'est vers la recherche de situation économique meilleure, recherche de l’emploi ou bien pour une activité économique et autres qui pousse les gens à aller ailleurs. La migration peut être aussi un moyen de se sortir d’un certain nombre de travers parce qu’en allant voir ailleurs, ils cherchent aussi à échapper à un certain nombre de pesanteurs sociales, sociologiques et autres.
Pour les femmes, l'aspect économique est fondamental. Ça joue, mais aussi la femme peut être une femme mariée qui doit aller rejoindre son mari donc le regroupement familial, généralement ça concerne les femmes. On est dans des sociétés où l’horizon qui est réservé aux femmes c’est le mari, surtout en milieu rural qui est le milieu où on a beaucoup de jeunes filles qui procèdent à la migration interne au Sénégal. Elle concerne en priorité les jeunes filles qui viennent chercher du boulot dans les grandes villes. Et puisqu’elles peuvent le faire du village jusqu’à la ville, souvent quand la ville n’offre pas de meilleure possibilité d’accueil, elles vont chercher une vie meilleure ailleurs en dehors du pays.  Voilà un certain nombre de facteurs qui expliquent pourquoi les femmes comme les hommes cherchent à sortir du pays », a laissé entendre Ibrahima Kane.

« Nous étions exposés à toute forme d’insécurité »
Cette migration féminine soutenue pour la plupart du temps par des motifs sociaux économiques divers est source de difficultés même si elle présente des avantages pour certaines les plus chanceuses. La migration constitue un véritable cauchemar pour Fatimata Ly. Cette migrante de retour de trente-cinq ans environ, garde toujours en mémoire les souffrances qu’elle a vécues lors de son périple qui l’avait menée à Agadez, au Niger, en voulant rejoindre l’Europe. Pour la jeune femme originaire de Tambacounda, la migration féminine présente beaucoup de risques surtout si elle passe par la voie irrégulière.
« Ce qui m’avait poussé à voyager, c’est qu’après le décès de mon père en 2004, ma mère était restée seule face aux difficultés économiques de la vie. On peinait à satisfaire même les repas quotidiens et à l’époque, j’avais divorcé avec mon mari et en tant qu’aînée de la famille, je ne pouvais plus supporter cette situation difficile. C’est là que j’ai tenté de rejoindre l’Europe en passant par la voie routière avec dix de mes camarades. Mais on a vécu le pire au cours de ce périple. Non seulement on ne mangeait pas bien, ni ne dormait tranquillement, on était exposé à toute sorte d’insécurité. Nous avons fait six mois de route, escale après escale, avant d’arriver à Agadez. C’est là qu’on a rencontré un groupe d’hommes qui nous ont pris tout ce dont nous disposions, comme argent et biens. On ne savait plus où aller ou encore à qui parler. C’est par la suite qu’on a croisé un certain Moussa Kano qui nous a facilité notre retour vers le Sénégal. On avait tellement souffert de ce voyage que je ne veux plus en parler à personne », se souvient encore la jeune dame.

« Le voyage met parfois les femmes dans des situations de vulnérabilité énorme »
Il est manifeste que la migration, surtout celle irrégulière, expose les femmes à des vulnérabilités. Selon toujours Ibrahima Kane, cette vulnérabilité rend parfois leur projet de voyage plus dangereux que celui des hommes.  « Les lieux de migration des femmes peuvent parfois être liés aux facilités d’emploi que ça offre. Ce qui explique qu’en un moment donné les gens sont allés au Moyen-Orient, avec le boom économique de cette région, les gens espéraient trouver du boulot. Le voyage met parfois les femmes dans des situations de vulnérabilité énorme. En Afrique par exemple, le Moyen-Orient est devenu la 2ème destination après l'Afrique, à peu près 5.000.000 d’africains environ vivent au Moyen-Orient et la plupart du personnel domestique et là ça n'offre pas beaucoup de liberté. Les conditions de travail ne sont pas bonnes et elles sont exposées à des violences. Ici au Sénégal, récemment les services de police ont arrêté à deux reprises des libanais qui prenaient des sierra-léonaises. Ça explique que la vulnérabilité des femmes rend leur projet beaucoup plus dangereux que celui des hommes. Même s’ils vivent tous les deux, les mêmes situations », explique Ibrahima Kane, l’expert en migration. 

« Les femmes qui empruntent la voie terrestre sont exposées aux cas de viol »
Fatimata Ly n'a pas connu pareil sort. Mais reste convaincue que les femmes qui empruntent la plupart de la voie terrestre pour voyager, s’exposent à d’autres formes de violence plus compliquées que ce qu’elle a subi au cours de son parcours vers l’Europe. C’est aussi le harcèlement et les cas de viols répétitifs. « La voie terrestre est source d’insécurité et pour la plupart des femmes qui empruntent ces routes sont exposées à toute forme de violence et surtout les viols répétitifs. Personnellement je n’ai pas subi cette violence. Mais j’ai entendu des femmes, qui avaient voyagé dans les mêmes conditions que moi dire qu’elles ont subi ces formes de pratiques malsaines basées sur le genre tel que le viol et les harcèlements », témoigne encore Fatimata Ly.
 
Les migrantes africaines envoyées comme domestiques au Moyen Orient, l’autre source d’inquiétude !
En plus de cette souffrance subie par certaines femmes migrantes au cours de leurs périples, la coordinatrice du réseau pour la migration et développement (REMIDEV), Aby Sarr, pointe du doigt un phénomène qui s’est répandu de plus en plus en Afrique, c’est la traite des personnes pour ne pas dire l’envoi de domestiques africains vers les pays du moyen Orient sous la coupole des agences de recrutement. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), 3,8 millions de travailleurs domestiques travaillaient en 2017 dans les pays du Golfe, (Oman, Koweït, Arabie saoudite, Qatar, Bahreïn et Émirats arabes unis).
« Quand on parle de migration féminine, il y a aussi les domestiques qu’on envoie dans certains pays surtout du moyen Orient et qui partent souvent sous la coupole d’agence mais qui sont traitées comme des esclaves dans leurs pays d'accueil. Ce qui constitue une situation préoccupante qui interpelle les gouvernants. Car même si les données et les analyses n’ont pas permis réellement de mesurer l’impact, ce qu’il faut retenir c’est qu’il y a des aspects négatifs qui touchent parfois les femmes en situation de migration. Les femmes qui empruntent les voies irrégulières, pour la plupart, sont victimes de toute forme d’insécurité. À côté des tracasseries, elles sont victimes de banditisme de toute nature, de viols et autres, ce qui rend plus préoccupante leur situation.
 
Ces système-là dans lesquels les migrantes se retrouvent sont des systèmes qu’on peut même assimiler à l’esclavage parce que les gens sont à la merci de leur patron. Donc comment nos États peuvent accepter que les compagnies puissent vraiment faire signer des contrats à des sénégalaises ou des africaines pour aller dans ces pays-là. La situation est plus grave que même quand on a des ambassades dans ces pays-là, les gens n'ont pas le personnel adéquat pour gérer les problèmes de droit du travail dans ces pays. Ce qui rend la situation de nos compatriotes très vulnérable », regrette Aby Sarr.
Face à cette situation, la coordinatrice du réseau migration et développement plaide pour le renforcement du cadre juridique, institutionnel et sécuritaire afin de permettre aux femmes ainsi que toutes les couches de la population de pouvoir voyager en toute tranquillité et dans les meilleures conditions possibles. « Je pense que les gouvernants doivent trouver les moyens d’agir pour barrer la route à cette situation-là. L’importance pour nous n’est pas d’empêcher la personne d’aller en voyage, mais l’idéal c’est de sensibiliser la personne pour qu’elle puisse avoir les moyens de se déplacer en toute sécurité. À ce niveau les États africains ont un grand rôle à jouer et la solution de la répression n’est pas la bonne. Mais la solution c’est de trouver les bonnes politiques et pratiques pour faciliter les conditions de la migration régulière », plaide la coordinatrice du REMIDEV. Tout pour dire que la migration féminine n'est pas mal en soi, car elle permet à la famille d'obtenir des ressources supplémentaires. Mais pour nos interlocuteurs, il revient aux gouvernants de mettre en place les voies et moyens adéquats pour permettre aux femmes de voyager dans les meilleures conditions et en toute sécurité.

Cet article a été réalisé avec le soutien d’Article 19 et l’UNESCO, dans le cadre du projet « Autonomiser les jeunes en Afrique à travers les médias et la communication », financé par l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement (AICS), via le « Fonds Afrique » du Ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération Internationale (MAECI) ».
Lundi 25 Avril 2022




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