Hangars d'armes détruits, ponts et voies ferrées ciblés : face à l'intensification de l'aide militaire occidentale à Kiev, la Russie ajuste sa stratégie en Ukraine en visant des noeuds de ravitaillement-clés tout en poursuivant son objectif de contrôle d'une partie de son territoire.
Au lendemain d'une réunion en Allemagne d'une quarantaine de pays consacrée au renforcement du soutien militaire à l'Ukraine, l'armée russe a affirmé mercredi avoir détruit dans une frappe une "grande quantité" d'armes livrées à Kiev par les Etats-Unis et des pays européens.
La veille, un tir de missile des forces russes avait endommagé le pont routier et ferroviaire, sur un axe stratégique reliant la région d'Odessa en Ukraine à la Roumanie, selon Oleksandr Kamychine, le directeur des chemins de fer ukrainiens. Les Russes ont de nouveau frappé ce pont mercredi.
Lundi, ce sont les installations ferroviaires de la région de Vinnytsia (centre-ouest), un important nœud ferroviaire tant pour les lignes intérieures de l'Ukraine que pour les connexions avec l'étranger, qui avaient été ciblées.
"On entre dans une nouvelle phase : les pays occidentaux ont annoncé un renforcement de leur aide militaire, donc il faut du côté russe frapper ces capacités de renforcement et la capacité des Ukrainiens à s’approvisionner en armes", souligne Jean-Pierre Maulny, le directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
"L'aide occidentale a pour objectif de permettre aux troupes ukrainiennes de durer sous les bombardements russes, donc, pour les Russes, c'est une mauvaise nouvelle et ils tentent d'en réduire la portée", renchérit Pascal Ausseur, le directeur général de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES).
Dans ce contexte, la destruction d'un axe reliant la Roumanie à l'Ukraine est loin d'être anodine.
Les Russes "ont voulu couper le flux d'aide, de carburant notamment, à l'Ukraine envoyée par les pays occidentaux et qui transitait par la Roumanie", relève George Scutaru, le directeur général du New Strategy Center, un groupe de réflexion roumain.
Une perspective qui avait été esquissée dès le 21 avril par Richard D. Hooker, du centre d'études américain Atlantic Council, qui tablait sur une coupure prochaine des voies de communication, en particulier de celles utilisées pour réapprovisionner les forces ukrainiennes.
Reste désormais à savoir jusqu'où les Russes iront. Pour le moment, "ils tapent des infrastructures ferroviaires, on ne constate pas qu’ils tapent des convois", note une source militaire française.
La marge de manœuvre russe pour déstabiliser l'acheminement de matériel pourrait également être limitée pour des raisons géographiques, l'Ukraine ayant "une longue frontière avec plusieurs points de passage", selon Benjamin Jensen, du Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS) à Washington.
"Au pire des cas", les Occidentaux s'adapteront en misant sur des "expéditions plus petites qui sont plus difficiles à suivre", estime l'analyste, quitte à ce que "cela prenne un peu plus de temps ensuite à (les) regrouper en un seul lieu en cas d'opération de grande ampleur".
- Logistique ukrainienne exposée -
Les Russes servent ainsi leur principal objectif : assurer des gains territoriaux dans l'est de l'Ukraine, au coeur du conflit.
"Ils mènent les deux de front, à la fois le ciblage des nœuds stratégiques et la prise de contrôle d'une partie du pays", souligne M. Maulny.
Pour M. Ausseur, le bombardement de nœuds routiers et ferroviaires de ravitaillement fait même gagner du temps à Moscou.
"Ca ne demande pas énormément de bombes, c'est beaucoup plus rapide que de réduire en cendres Kharkiv par exemple et c'est efficace : vous isolez le théâtre d'opération,, vous démoralisez les troupes qui sont isolées et vous les empêchez d'avoir les moyens de résister le plus longtemps possible", estime-t-il.
"Les unités ukrainiennes qui sont déployées dans le Donbass sont exposées à une forme d'étirement de leurs lignes logistiques et ces lignes sont forcément exposées", relève la source militaire française.
Soixante-trois jours après le début de l'offensive russe, la question d'une aide significative en matière de défense aérienne, demandée quasi-quotidiennement par Kiev, reste, quant à elle, toujours en suspens. Pour combien de temps ?
"Si à l'été Kharkiv tombe et qu'il y a une avancée rapide, comment être sûrs de créer un nouveau front tenable ?", s'interroge M. Ausseur. "Tout reposera sur la bunkerisation de la rive ouest du Dniepr et cette bunkerisation ne pourra pas survenir sans une capacité de défense aérienne renforcée côté ukrainien".
A Londres, la cheffe de la diplomatie britannique Liz Truss devait appeler ce mercredi à "redoubler" le "soutien pour l'Ukraine", en matière d'"armes lourdes, chars, avions". Sans donner plus de détails pour l'instant.
S'exprimant devant le Parlement mercredi, le président Vladimir Poutine a quant à lui mis en garde contre toute intervention extérieure, promettant qu'elle rencontrerait une riposte "rapide et foudroyante" de la part de Moscou, sans donner plus de précisions.
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