Depuis mars dernier Claudy Siar est le nouveau délégué interministériel à l’égalité des chances des Français d’Outre-mer. Rencontre.
Vous êtes le nouveau délégué interministériel à l’égalité des chances des Français d’Outre-mer, quelle approche avez-vous de cette fonction ?
C’est une fonction qui demande un pragmatisme de tous les instants. La période qui nous occupe, nous oblige à être concrets, à mener les bonnes actions. Depuis mon adolescence, je suis engagé dans le combat pour l’égalité. Mon passé traduit, la sincérité des mes engagements. Les discriminations sont inacceptables dans un pays, notre pays à l’origine des droits de l’homme et dont la posture est d’offrir au monde ses valeurs d’égalité et de liberté. Mais voilà ces principes sont bafoués dans notre douce-France et originaires d’outre-mer sont souvent marginalisés. Depuis des années, je lutte pour le respect de nos identités et de nos histoires. Je veux rassembler nos citoyens d’outre-mer autour des valeurs communes à l’ensemble de la nation, mais surtout que nous prenions notre place au sein de la société française.
Quelle est la situation des Français d’Outre-mer ?
C’est la situation d’une frange de la population obligée parfois de rappeler et de justifier son appartenance à la France
Quels les principaux problèmes que rencontrent les Français d’Outre-mer en métropole ?
Comme tous les français nous subissons la baisse du pouvoir d’achat ! Mais pour les Français d’outre-mer, appartenant souvent aux catégories sociaux professionnelles les plus modestes (même si les choses changent) les difficultés dus aux fins de mois difficiles fond des ravages ! Ajoutez à cela le chômage, la discrimination à l’emploi, un certain racisme envers beaucoup et vous avez un instantané de la vie de nos compatriotes dans l’hexagone. Le manque de considération par la classe politique et médiatique de notre pays, explique une colère parfois légitime. Sur bien des points l’outre-mer et ces ressortissants, qu’ils soient sur leurs terres d’origine ou dans l’hexagone, n’existe pas.
Quels sont vos objectifs ?
Franchir une nouvelle étape significative vers l’acceptation réelle des originaires d’outre-mer dans l’hexagone. Convaincre ces mêmes originaires d’outre-mer que nous devons changer si nous voulons remporter la bataille pour l’égalité. Il est urgent que nous cessions ces hiérarchies ethniques qui gangrènent nos sociétés antillaises, réunionnaises, guyanaises, calédoniennes, tahitiennes. Nous devons mettre un terme à ces comportements fratricides qui consiste à systématiquement attaquer l’un des nôtres lorsqu’il s’engage pour l’intérêt commun. Il est tant que le respect mutuel soit dans nos principes. Personnellement, j’en ai fait mon parti et jamais vous ne m’entendrez fustigeret encore moins insulter une personne par ce que nous ne partageons pas les mêmes idées.
Quels sont les projets que vous allez développer pour la promotion des Français d’Outre-mer ?
Mon projet principal est basé sur la solidarité. La plus grande des insécurités est la pauvreté. La Délégation en collaboration avec la Case Sociale Antillaise va lancer le programme « Solidarité ». L’objectif est d’aider les plus démunis et pas seulement les Antillais. La Case Sociale vient en aide aux originaires d’outre-mer en générale. Nous proposerons des hébergements provisoires, nous travaillent sur la réinsertion des personnes en difficultés, nous distribuerons quotidiennement des repas et nous proposerons aux femmes et aux hommes soumis au RSA la possibilité de bénéficier de billets d’avion afin d’aller enterrer un père ou une mère décédé dans leurs régions d’origines. Nous avons lance le Tour de France pour l’égalité des chances des français d’outre-mer car la Délégation doit être proche des personnes qu’elle sert. La proximité est l’une de mes préoccupations. Je souhaite que l’on crée un lieu pour l’outre-mer. Nos cultures méritent d’avoir un endroit qui leurs soient dédier où artistes, comédiens pourront se produire où les associations se réuniront, où les plasticiens exposeront. A travers des actes simples je veux changer les regards des uns sur les autres.
2 exemples simples qui peuvent participer à la reconstruction des imaginaires :
- 1er exemple : inscrire les dates du 27 avril 1848 (abolition de l’esclavage) et du 10 mai sur le calendrier car ce sont 2 dates républicaines.
- 2eme exemple : la météo : il est étonnant que les médias ne tiennent pas compte de l’outre-mer lorsqu’ils présentent la météo. Dans la constitution la France est 1 et invisible. Il est donc temps que nos médias cessent d’amputer la France de ses régions d’outre-mer.
La Délégation va s’engager auprès des entrepreneurs de la communauté. Les réussites des chefs d’entreprises sont essentielles, elles permettent une certaine émancipation et offrent un visage d’une population dynamique. Nous avons confié cette mission à Alain Dolium. Il organisera 2 journées à Paris baptisé « Pourquoi pas Moi ». Nous serons tout aussi pragmatiques et concret en travaillant sur la Continuité Territoriale, l’accueil des étudiants dans l’hexagone, l’amélioration du passeport mobilité. Au sujet de l’histoire et de la mémoire de l’esclavage, nous avons 2 projets important : l’un consacré à la rupture du jeune à l’heure de l’île de La Réunion chaque français doit savoir que dans cette région l’islam ne menace pas la laïcité. Notre pays ne doit également pas ignorer que la première mosquée de France a été construite à St-Denis de La Réunion, puis nous organiserons un voyage historique sur le lieu de l’esclavage. Les plus Grandes Instances communautaires et confessionnelles de France, des représentants des Instances Internationales, tous viendront se recueillir à la mémoire des femmes, des hommes et des enfants humiliés dans les fers de l’esclavage. Ensemble nous rappellerons que l’histoire de l’esclavage est une mémoire partagée. Autre point essentiel de la délégation, œuvré afin que le plus ancien prisonnier de France, le martiniquais Pierre-Juste MARNY soit libéré après, 46ans d’incarcération. Son maintien en détention est vécu comme un acharnement pour les antillais. Voici quelques axes de travail de la Délégation.
Quelles seront les outils, les méthodes, les leviers que vous allez utiliser pour réussir vos projets ?
L’une des difficultés résulte dans le travail de Lobbying que l’on doit effectuer au sein du pouvoir afin que l’outre-mer soit prise en compte. Rappeler la loi, les principes et notre constitution ne suffit pas toujours à redonner de l’égalité de traitement. Il faut expliquer, séduire et être armé d’une détermination sans faille.
Qu’est-ce que les Français d’Outre-mer résidant en métropole, apportent depuis des décennies à la France métropolitaine ?
Votre question est étonnante ! Elle ajoute à ce sentiment inconscient (voir conscient) de ne pas tout à fait appartenir à ce pays ! C’est comme si vous demandiez ce que les Bretons apportent à la France ? Les français d’outre-mer (chacun dans son quotidien) apportent par leur travail de la richesse à la France comme tous les Français.
La perception des métropolitains de l’Outre-mer dans sa globalité, a-t-elle évolué dans le même temps ?
Les crispations identitaires dans l’hexagone ont créé des tentions au sein de la communauté nationale. Au mieux l’image de l’outre-mer est manichéenne, d’Epinal, au pire les originaires d’outre-mer sont assimilés à des étrangers. Si en 1900 un français était blanc catholique ou juif, en 2011 il n’y a pas de couleur et de religion pour être français.
Que faut-il faire pour que l’Outre-mer conserve son identité, mais devienne en parallèle un territoire français à part entière ? Ces deux éléments sont-ils compatibles ?
Il n’y a pas d’antagonisme !! La culture alsacienne est forte, la langue de cette région de France est un élément évidemment important de cette identité. Pour autant l’Alsace et ses spécificités identitaires ne sont pas incompatibles avec la Nations. Il en va de même pour l’outre-mer et ses histoires particulières. Les originaires d’outre-mer ne remettent pas en question, leurs appartenances à la France. C’est un choix souhaité (entre-autre) par 2 grands hommes Aimé CESAIRE et Paul VERGES favorables à la départementalisation en 1946 afin d’améliorer les conditions de leurs concitoyens.
Vous êtes d’origine guadeloupéenne, vous êtes né en métropole, vous avez grandi dans le Val-de-Marne puis dans le Vaucluse, quel Français êtes-vous ?
Je me définis comme un afro-caribéens de la Guadeloupe, né à Paris, ayant grandit dans un petit village de la Drôme (Pierrelongue) et tous ces lieux sont des parties importantes de mon identité. Par alliance, j’appartiens aussi à l’Ile de la Réunion. Par cœur, conviction et engagement, l’Afrique, ses peuples et ses cultures n’ont plus de secret pour moi. Je suis tout ça à la fois et c’est une chance. J’aime à dire que l’outre-mer est au avant poste de l’humanité par ses métissages ethniques et culturelles. Et je suis français ! Là encore rien d’incompatible.
Quelle est la partie ultramarine que les gens perçoivent en premier, votre couleur de peau ou votre sens musical ?
Ma couleur de peau ! Car pour beaucoup de nos concitoyens elle ramène à l’étranger. Ce n’est d’ailleurs pas toujours dans un sens négatif ! Cependant, il est tant que les regards changent, pour cela un pan de l’histoire de France mérite d’être réécrit ! Chaque français doit pouvoir se retrouver dans les récits qui ont forgés la Nation à laquelle il appartient. L’outre-mer est encore trop absente de nos manuels scolaires et de l’histoire officielle française. La musique, c’est votre cri qui vient de l’intérieur ?
Pour nous, la musique est vitale ! Elle nous accompagne de notre naissance jusqu’à notre mort ! Elle rythme chaque instant de notre vie. La musique transport aussi une part importante de nos identités et de nos combats pour la justice et l’égalité. Nos artistes chantent nos joies, nos souffrances, nos rêves ! C’est par passion pour nos musiques et pour toutes les raisons évoqués que j’ai fait de la musique une arme de sensibilisation.
C’est la musique qui vous a amené à la radio et à la télévision ?
La musique mais surtout le militantarisme !
Quel est votre parcours depuis votre première radio ?
C’est en janvier 84 que j’intègre en tant que bénévole, la première radio associative antillaise de France. L’année suivante, je fais mes classes à Europe 1 comme collaborateur auprès d’Alain MANEVAL et de Jean-Claude BRIALY. En 86 je deviens chroniqueur sur France Inter dans l’émission « Pollen » de Jean-Louis FOULQUIER. Le 30 octobre 88, je fais mes premiers pas à la télé sur RFO dans l’émission « L’attitude » puis « Mascarines » et Kromatik ». En 1993, je suis en même temps sur M6, TF1 et FR3 pour RFO. Le 13 mars 1995, je réalise un rêve en intégrant RFI… et je peux enfin parler à la jeunesse africaine. Aujourd’hui « Couleurs Tropicales » est devenus une référence en matière de musique et un lieu où s’exprime la génération consciente. En 2005 Basile BOLI me propose d’animer un Talk Show sur Canal+Horizon baptisé « Couleurs Horizon ». Dans le même temps Basile BOLI et moi proposons à France2 l’émission « Au-delà de nos différence » parrainé par Zinedine ZIDANE et que j’ai présentée. 2006 est l’année ou je présente les émissions quotidiennes « Et si c’était vous ». Afin de trouver le représentant français à l’Eurovision 2006, puis aux côtés de Michel DRUCKER, j’ai animé la finale française puis fait le commentaire en direct d’Athènes ! En 2007 avec mes amis et frères Stéphane MOUANGUE et Patrick LEMURE. J’ai créé Tropiques FM, devenus en 2 ans la première radio communautaire de France en termes d’audience. Nous battons également bien d’autres radios prestigieuses françaises. Mais tous mes parcours sont indissociables de mes combats militants. En radio où dès 1985, je proposais mes premières émissions sur l’histoire et contre les discriminations. Le 21 septembre 1991, j’organisais ma première manifestation suite à la diffusion sur Antenne2 des propos insultants de Charles TRENET contre les noirs. Le 23 avril 1993, je lançai la première marche de commémoration de l’abolition de l’esclavage ! C’était la « Fête des Nègres Marrons » de la place de la République à la place de la Nation à Paris. Une première en France. Je ne vais pas vous citer toutes les actions que j’ai menées avec le mouvement GENERATION CONSCIENTE, cependant elles sont de vrais points de repère dans ma vie.
Quel enfant et adolescent avez-vous été ?
Je suis né à Paris. J’ai passé une partie de mon enfance et de mon adolescence dans un petit village de Haute Provence. Je suis le fruit de toutes ces terres et bien sur de la Guadeloupe de mes parents et de l’Afrique et de l’Inde de mes ancêtres. J’étais un enfant plutôt réservé avec néanmoins un caractère bien affirmé. Un adolescent respectueux des autres n’hésitant pas à exprimer mes idées militantes. Aussi loin que je remonte dans ma vie, j’ai toujours été sensible aux problématiques d’injustices.
Vous avez déjà réalisé beaucoup de vos rêves ?
Je n ai pas beaucoup de rêves si ce n’est pour mes enfants. En revanche, j’ai des actions précises à mener. Je suis déterminé à remporter tous ces combats. Ce n’est pas un rêve à réaliser, mais une responsabilité à assumer.
Quels sont les autres rêves que vous voulez voir devenir réalité ?
Je n’ai jamais accepté que la couleur de la peau soit un facteur de discrimination. Je ne peux pas me résigner à accepter que dans nos sociétés il y est une hiérarchie de couleur le plus clair étant mieux considéré que le plus foncé. Je ne supporte plus les incohérences de notre pays. Nous parlons de liberté mais ils sont des millions à être prisonnier de leurs conditions sociales (souvent dans leurs quartiers populaires rebaptisé « banlieue » par le monde politique et médiatique). Nous parlons d’égalité ! Regardez l’état des sociétés occidentistes ; jamais l’écart entre riche et pauvre n’a été aussi criant. Et puis je rêve que nos populations d’outre-mer soient conscientes des enjeux face à nos problématiques spécifiques. Nous devons mettre un terme à la culture du « détruire notre semblable ». A chaque fois qu’une femme ou qu’un homme d’outre-mer remporte des victoires, nous devons soutenir cette personne et non chercher à lui nuire en colportant ragots et calomnies.
Délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’Outre-mer, c’est un autre moyen d’aller au bout de vos rêves : se battre contre toutes les discriminations.
C’est un moyen que je n’avais pas envisagé bien sur. J’ai mis longtemps avant d’accepter une telle proposition. Je voulais être sur du rôle que je pourrais avoir et des avancées que la nouvelle Délégation pourrait obtenir. Il est facile de dénoncer ces discriminations à distance sans jamais s’engager vraiment. Il est plus difficile d’accepter une mission au cœur d’un pouvoir que certains fustigent oubliant leur orthodoxie républicaine. Pour moi Monsieur SARKOZY est le chef de l’Etat alors cessons d’être prisonnier des parties politiques, des Dogmes, des idées toutes faites et des préjugés…Tous oublis de mettre dans la corbeille le bulletin « parti d’outre-mer » … des régions françaises avec leurs problématiques et dont les ressortissants dans l’hexagone subissent les injustices et depuis bien longtemps. Mais les temps changent et s’ils changent c’est par la volonté des plus déterminés d’entre-nous et peut-être aussi grâce à une politique volontaire du Président de la République. Il souhaite voir les originaires d’outre-mer trouver leurs places au sein de la nation. Le poids de l’histoire est lourd (esclavage, colonisation). Les discours du 6 avril 2011, jour de l’entrée de Aimé CESAIRE au Panthéon, celui du 10 mai pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage, ces 2 discours historique nous confirment que les temps changent lors de ces 2 jours, j’ai pensé à toutes ces femmes et à tous ces hommes dont l’histoire n’a retenue les noms mais à qui je rends hommage car leurs combats et leurs sacrifices ont trouvés le chemin de la victoire ! Vous voudriez, qu’aujourd’hui, où nous pouvons agir en cessant de lancer des pierres contre la citadelle, je ne face pas preuve de responsabilités en allant jusqu’au bout de ce besoin d’apaiser et de rassembler pour le « Vivre ensemble dans le respect de l’autre » ? Nous devons à nos enfants et aux générations futures un engagement permanent face aux inégalités. En tant que Délégué, je souhaite que chaque avancées pour les originaires d’outre-mer ne soit pas vécu comme un privilèges qu’on leur accorde mais bien comme de l’égalité que l’on redonne à celles et ceux qui en sont privés et depuis trop longtemps. Il est temps pour nous de nous unir autour de valeurs communes et d’avancer ensemble.
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