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Article n°188098

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Coalition nationale contre l’octroi des licences de Pêche industrielle
 
 Dakar, Le 11 Mai 2020
Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur Macky SALL, Président de la République du Sénégal

Objet : Réactions sur les attributions de licences et les demandes de promesses de licences de pêche industrielle soumises au MPEM 

Excellence, Monsieur le Président de la République,
Malgré la crise sanitaire consécutive à la pandémie du COVID 19 contre laquelle vous n’avez ménagé aucun effort en enclenchant des actions engageant toute la nation sénégalaise, permettez-nous de porter à votre bienveillante attention la question des dossiers d’attributions et de demandes de « promesses de licences » de pêche concernant 56 bateaux à majorité étrangers en voie de sénégalisation, objet de polémique et d’altération du climat social dans le secteur des Pêches.

Ce problème oppose le Ministre des Pêches et de l’Économie maritime (MPEM) et les organisations professionnelles du secteur des pêches (artisanale et industrielle).

En effet, une convocation de Monsieur le Directeur des Pêches maritime (DPM), Président de la Commission d’Attribution des Licences de Pêche (CCALP) n°0475/MPEM/DPM/DPI/mga du 08 avril 2020 a été adressée aux membres de ladite commission pour avis à distance sur les dossiers concernant 56 bateaux dont une cinquantaine battant pavillon chinois et 2 battant pavillon turcs pour des promesses de licences en vue de leur sénégalisation.
Nous estimons que les débats au sein de la Commission doivent être contradictoires et transparents pour déboucher sur des positions consensuelles et claires à soumettre à l’Autorité et lui permettre ainsi de décider en toute connaissance de cause (Article 13 du décret d’application du Code de la pêche maritime). C’est pourquoi nous ne comprenons pas cet empressement à vouloir faire examiner plus de cinquante nouvelles demandes de licences en répondant simplement par oui ou par non sur des fiches transmises par courrier électronique aux membres de la Commission. 

Par ailleurs, la situation actuelle de nos ressources nous recommande et nous oblige à évoluer dans la transparence, conformément à votre engagement public pris en Février 2016 à Nouakchott pour l’adhésion du Sénégal à la Fisheries Transparency Initiative (FiTI). La réforme de la Commission en instance délibérative et la publication régulière du listing à jour des navires contribueraient à une gestion transparente du secteur des pêches, tout en privilégiant la préférence nationale.

Excellence, Monsieur le Président de la République,

Nous souhaiterions aussi porter à votre connaissance que la plupart des 56 navires en question ciblent des ressources pleinement exploitées et surexploitées, notamment les espèces pélagiques côtières comme les sardinelles (yaboy), les chinchards (diaï), etc. ainsi que des espèces de fonds comme le merlu. 

Concernant le merlu, les évaluations les plus récentes recommandent des captures admissibles de 3 000 tonnes dont 1750 tonnes ont déjà été octroyées à l’Union Européenne dans le cadre du dernier protocole d’accord de pêche. C’est pourquoi, nous ne comprenons pas que l’on puisse proposer de rajouter trente-six (36) bateaux à l’effectif pléthorique existant pour pêcher les 1 250 tonnes restantes.

Pour ce qui est des espèces pélagiques côtières (sardinelles et autres), les évaluations de la FAO lors du dernier Groupe de travail du Comité des Pêches de l’Atlantique Centre-Est (COPACE) ainsi que celles du Centre de Recherches Océanographiques de Dakar-Thiaroye (CRODT) font état de leur surexploitation depuis les années 90. En conséquence, la Recherche recommande la diminution de l’effort de pêche sur ces stocks de poisson.

Alors qu’une grande offensive est en cours pour s’accaparer des ressources des pays de l’Afrique de l’Ouest, ces navires, subventionnés par leurs États, et connus pour avoir été introduits par des sociétés écrans dans des pays voisins dont ils ont écumé les eaux, ont trouvé un moyen d’avoir la nationalité sénégalaise et de s’introduire dans la flotte nationale. Nos ressources sont ainsi actuellement pillées par plus d’une quarantaine de navires, appartenant à des armateurs chinois pour la majorité, sans compter la pêche Illicite Non déclarée Non réglementée (INN) qui épuise nos ressources depuis des décennies. 

Comme si cela ne suffisait pas, il y a une volonté délibérée d'accroître la pression de pêche par la sénégalisation de navires de pêche étrangers, leur immatriculation et probablement la délivrance de licences de pêche à plus d’une cinquantaine d’autres navires. Par ailleurs, ce qui nous semble incohérent et injuste, c’est qu’au moment où aucune nouvelle immatriculation de pirogue de pêche artisanale n’est autorisée suite à un arrêté du Ministre des Pêches et de l’Economie maritime visant la limitation de l’effort de pêche artisanale, la délivrance de nouvelles licences de pêche industrielle est envisagée. Cela va contribuer à aggraver la surpêche et la surcapacité de pêche ce qui est contraire aux dispositions de la Lettre de Politique sectorielle pour le Développement durable de la Pêche et de l’Aquaculture (LPSD/PA) laquelle, nous le rappelons, est adossée au Plan Sénégal Emergent (PSE).

La question de la pertinence de la venue de ces nouveaux bateaux dans un contexte de surexploitation généralisée se pose avec acuité. Si ces licences de pêche venaient à être accordées, ce sont près d’une centaine de navires chinois et turcs qui auront trouvé un moyen de pêcher dans nos eaux, sans respect des lois et procédures en vigueur. Les acteurs du secteur de la pêche artisanale et ceux de la pêche industrielle ne savent pas pourquoi et comment cela a été possible, ni ce qui a motivé les Autorités en charge de la pêche à cautionner de telles pratiques.
C’est pourquoi, nous, professionnels de la pêche, sommes défavorables à toute attribution de nouvelles licences de pêche industrielle et à toute sénégalisation de navires étrangers lesquels ne convoitent que les ressources halieutiques déjà en situation de surexploitation ou de pleine exploitation. 

Excellence Monsieur le Président de la République,
Connaissant votre engagement pour la protection et la gestion durable des océans, engagement réitéré lors de la conférence « Our Ocean » tenue récemment á Oslo en Norvège, et l’appel que vous avez lancé au monde entier, « Ensemble, travaillons pour des océans sains et propres », nous sommes convaincus de la priorité que vous accordez aux ressources et aux populations qui en dépendent. En effet, cette orientation nous semble logique dès lors que votre leadership a toujours été présent sur les questions de sécurité alimentaire soulevées au niveau de l’Union Africaine  ainsi que sur celles de la dette des pays africains. 

La présente adresse est donc une volonté modeste de notre part d’attirer votre bienveillante attention sur les menaces qui pèsent sur les intérêts de la nation et la sécurité alimentaire des populations. Aussi, nous rappelons que le Sénégal a pris des engagements au niveau international et a mis en place des lois et règlements (notamment le Code de la pêche maritime, le Code de la Marine Marchande et leurs décrets d’application) pour une exploitation durable des pêcheries, pour l'intérêt supérieur de la nation. Ces engagements et règlements font actuellement l’objet de violations depuis un certain temps, exposant notre pays à des crises et des interrogations de la part des Partenaires au développement et des Institutions internationales.

Compte tenu de tout ce qui précède, nous demandons humblement et simplement que les alertes et recommandations de la Recherche scientifique (notamment de la FAO à travers le COPACE et du CRODT) concernant les espèces précitées soient prises en compte et que la quarantaine de navires étrangers ou abusivement sénégalisés soient retirés de la pêcherie. Nous souhaitons aussi que les Autorités veillent au respect des engagements du Sénégal concernant les ODD 14, à la concrétisation de votre engagement public vis-à-vis de l’Initiative pour la Transparence des Pêches (FiTI), et tiennent compte des recommandations de l’Union Africaine et de la CEDEAO en ces temps de COVID 19.

Excellence Monsieur le Président de la République, 
Nous membres du CONIPAS, du GAIPES, du REFEPAS, du Réseau national des CLPA, du Réseau des Quais de pêche, du Collectif des Femmes transformatrices, du SYNAPS et les organisations de la société civile (APRAPAM, GREENPEACE), conscients des dangers générés par le mode de gestion actuelle des ressources halieutiques nationales, faisons appel à votre sens de l’équité et du dialogue ainsi qu’à votre engagement pour la transparence dans la gestion des ressources halieutiques nationales. 

Nous en appelons également à votre sens de la prospective pour le gel du processus d’examen de ces demandes de « promesses de licences » non prévues par la loi et le retrait de la quarantaine de bateaux étrangers introduits depuis fin 2018 par l’intermédiaire de sociétés écrans de droit sénégalais.

Vous l’avez déjà fait avec la flotte russe en 2012, et nous comptons, à nouveau, sur votre sens élevé de  responsabilité et à l’intérêt de la nation pour sauver la pêche sénégalaise.

En vous réitérant notre engagement à vouloir œuvrer, pour la réussite d’une politique orientée vers la satisfaction des besoins de toute la population sénégalaise, nous vous prions, Excellence Monsieur le Président de la République, de bien vouloir agréer l’expression de notre très haute considération et de notre profond respect. 
 
 
                         
   
Conseil National Interprofessionnel de la Pêche Artisanale au Sénégal (CONIPAS)
 
Groupement des Armateurs et des industriels de la pêche au Sénégal (GAIPES) 
 
 
   
Réseau des GIE Interprofessionnels des quais de pêche (GIEI)
 
 
Réseau national des CLPA 
(RN CLPA)
 
 
 
 
   
GREENPEACE AFRICA
 
   
Coalition des Femmes transformatrices de produits halieutiques du Sénégal 
 
   
Syndicat National des Pêcheurs du Sénégal (SYNAPS)