Soupçons de blanchiment d’argent: La Centif piste 6 milliards à la Sar

Libération - Tout ce qui a été dit jusqu’ici relativement au scandale des primes d’assurances, qui a éclaté l’année dernière et éclaboussé la Société africaine de raffinage (Sar) et Massa International, courtier en assurances, n’est que la face visible de l’iceberg. En effet, aujourd’hui, au terme de l’implication dans ce dossier de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) des soupçons de blanchiment d’argent sont venus se greffer à ce qui été déjà un scandale.


Depuis 2010 et l’éclatement du scandale des primes d’assurances, né d’un contrat passé entre la So- ciété africaine de raffinage (Sar) et Massa International, une société de courtage en assurances, aucun chiffre exact n’a été avancé pour estimer le montant du préjudice. Parallèlement aux péripéties judiciaires, qui ont jalonné, ces derniers mois, l’évolution de cette affaire, on parlait de «centaines de millions» par-ci et par-là. Carmello Sagna, succédant à Jean Michel Seck aux commandes de la Sar, avait, sous la pression des travailleurs, porté plainte. aussi, suite à l’ouverture d’une information judiciaire, Chérif Sène, Directeur général de Massa International, était placé sous man- dat de dépôt, avant de bénéficier, plus tard, d’une liberté provisoire motivée par des raisons de santé. Et dernièrement, nous apprenions que le Doyen des Juges, pour voir plus clair dans cet énorme scandale, avait ordonné une expertise, puisque tout semble indiquer que des responsables de la Sar sont aussi trempés dans cette affaire.

Une assurance sans...
aucun assuré désigné

Mais, il y a pire dans cette affaire : des soupçons de blanchiment d’argent, d’abus de biens sociaux et de détournements. En effet, juste après la réactivation voulue par le Premier Cabinet, la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), qui s’intéressait à l’affaire, a transmis un rapport dans ce sens aux autorités judiciaires. Dans son document transmis à la Justice, elle conclut à un «faux placement pour dissimuler des fonds d’origine illicite». Et pour la première fois, un chiffre exact est avancé pour indiquer le montant astronomique du préjudice subi par la Sar : six milliards (6.000.000.000) de francs Cfa. Parlant de ce contrat, l’équipe dirigée par ngouda Fall Kane indique qu’il s’agit «d’une police dite retraite complémentaire à prime unique d’un montant de 06 milliards F Cfa au taux de trois virgule cinq pourcent (3,5%), pour une durée de cinq (05) ans ». L’examen de la fiche technique a conduit la Centif a déceler cinq faits trou- blancs.

«Faux placement pour
dissimuler des fonds
d’origine illicite»
Primo, «l’assurance est intitulée assurance retraite complémentaire, alors qu’elle ne comporte aucun... assuré désigné. C’est dire une assurance de personne sans... personne », selon la Centif.
Secundo, «le montant – 06 milliards de F Cfa – est curieusement exceptionnel pour ce type de contrat». tertio, l’existence de zones d’ombre qui entourent le mode de règlement de la cotisation : « une prime unique intégralement versée à la souscription », selon toujours la Centif.
Quarto, la courte durée du contrat – cinq ans – «alors que les assurances vie sont destinées à constituer une épargne à très long terme ».
Enfin, la Centif est troublée par ce qu’elle qualifie de contrat «sans intérêt économique» et «sans contrepartie satisfaisante pour le contractant».
06 milliards à un taux de 3,5% au lieu de 06%
Pire, à force de creuser, ngouda Fall Kane & Cie découvrent «qu’un intermédiaire est intervenu dans l’affaire pour empocher des commissions d’un montant de cent soixante quatorze millions (174.000.000) de francs Cfa, déduites du montant proposé au placement », selon le rapport. Et on n’en a pas fini avec l’innommable dans cette affaire, car les dirigeants de la Sar, à l’époque des faits, ont accepté « un placement à un taux de 3,5%, plafond autorisé par la réglementation des assurances, en lieu et place d’un taux moyen de 06%, plus rémunérateur, accordé par le marché financier à la compagnie d’assurance vie ».
Au regard de ce qui précède, la Centif, dans ses conclusions, évoque « une violation de l’article 338-2 du Code Cima qui requiert la constitution d’actifs cantonnés en représentation des engagements réglementés ». Mais aussi «un placement déguisé sous forme d’un contrat d’assurance de personnes retraite complémentaire sans objet réel, mais qui, en réalité, est un contrat de capitalisation destiné à accorder sans droit une avance de trésorerie à la compagnie d’assurances moyennant la rétrocession à la souscription de un milliard – différence entre la prime émise de 06 milliards de F Cfa à encaisser et la prime réellement encaissée de 05 milliards de F Cfa ».
Des commissions d’un montant de 174 millions à un intermédiaire
Pour mieux asseoir son argumentaire contre ce contrat d’assurance, la Centif signale que de grands groupes d’assurances de la place ont rejeté le placement mis en cause. un refus qui «pourrait résulter de l’engagement déontologique de ces derniers de protéger les épargnants personnes physiques (ndlr : les travailleurs de la Sar) des déséquilibres graves qui pourraient causer la gestion des fonds des entreprises commer- ciales ou industrielles dans le même portefeuille de la compagnie». Pour finir, en sus des soupçons de blanchiment, la Centif parle de « détournement et d’abus de confiance », rejoignant ainsi les délits visés par le Doyen des Juges, qui pourrait greffer son rapport à la procédure pendante en cas de sai- sine du Parquet.

( Cheikh Mbacké Guissé - Libération )
Mercredi 26 Octobre 2011