Sonatel: il ne faut pas tuer la poule aux oeufs d'or.


La dernière trouvaille de Wade ? Nationaliser la SONATEL. Je suis tenté de dire pourquoi et comment ? Il faudrait d’abord qu’on explique aux sénégalais les raisons d’une nationalisation de la SONATEL. Le populisme wadiste, nationalisme teintée de démagogie, va sûrement nous chanter encore ce refrain de « milliards » qui partent vers l’étranger. Décidemment il aime l’argent comme dirait l’autre. Il faudrait cependant lever certaines équivoques.
Peut on en effet expliquer aux sénégalais qu’un libéral se plaigne que des privés, fussent ils des étrangers, gagnent de l’argent après avoir investi leur capital ? On fait un bien mauvais procès à France Télécoms. Quand France Télécoms investissait au Sénégal, en rachetant des parts dans SONATEL, cette dernière ne faisait pas les bénéfices actuelles. Elle était à peine à l’équilibre du bilan. France Télécoms a donc misé et gagné, peut on lui reprocher cela ?

1) Bluff Wadien ?

L’Etat du Sénégal a-t-il mesuré la portée de cette annonce de nationalisation, même s’il s’agit de bluff wadien ? Car ça doit bien être un bluff. Un Etat ne peut pas vendre ses parts aux ICS, à la SAR, à AXA etc… et dans le même temps vouloir faire le contraire à la SONATEL. Et mieux encore, la SONATEL a des concurrents : TIGO et SUDATEL. L’Etat a il une action dans ces deux entreprises ou bien va-t-il les nationaliser aussi ?
Dans tous les cas cette annonce est catastrophique dans la perception du Sénégal dans le monde des affaires. SONATEL n’est pas seulement la première entreprise sénégalaise, le premier contribuable (12% Des recettes fiscales, 175 milliards dans les caisses de l’Etat en 2010), c’est aussi le meilleur produit de marketing de la destination Sénégal pour l’investissement direct étranger (IDE). En effet, l’APIX qui se tue à attirer difficilement des investisseurs étrangers, n’a pas meilleur exemple à leur donner que le taux de rentabilité des capitaux investis par France Télécoms au Sénégal. Au lieu de le voir comme une injustice, ce fait doit être un excellent moyen d’attirer des investisseurs au Sénégal. D’ailleurs, s’il n’y avait pas la réussite SONATEL, le Sénégal n’aurait pas pu vendre une licence de télécoms à 200 millions de dollars US et réclamer la même somme à TIGO, sans compter des opérateurs qui sont déjà sur la ligne de départ pour la quatrième licence, certains proposant jusqu’à 500 millions de dollars.
Il faudrait aussi savoir qu’aujourd’hui SONATEL gagne une grande partie de son chiffre d’affaires à l’étranger : appels entrants et filiales au Mali, Guinée et Guinée Bissau. Que vont penser les maliens et les guinéens, s’ils entendent qu’on ne veut pas que des étrangers gagnent de l’argent chez nous alors qu’au même moment nous concurrençons leurs opérateurs historiques ?
En réalité, Wade voudrait il nationaliser la SONATEL qu’il ne le pourrait pas. En supposant même que France TELECOM accepte de lui vendre ses actions au cours de bourse, il faudrait à l’ETAT débourser 600 milliards de FCFA. Ce qui est totalement utopique, car même si France TELECOMS acceptait de vendre elle demanderait une prime car l’action SONATEL est largement sous évaluée par le marché et les banques d’affaires commises par l’ETAT avaient évalué ces actions à 250 000 FCFA. Cela vaudrait dire que le Sénégal ne débourserait pas moins de 1000 milliards. Le Sénégal n’a pas cet argent.
Et tout forcing est exclu, au risque d’aller à l’échec dans tout contentieux car France Télécoms est bien protégée, aussi bien par la convention d’actionnaires qui le lie au Sénégal que par l’UEMOA car SONATEL est cotée au niveau de la BRVM.
Enfin si le Sénégal le souhaite il peut tenter une OPA (offre publique d’achat) sur la SONATEL mais cela lui coûterait encore plus cher que les 1000 milliards avec un risque d’échec au bout.

2) Taxes sur les appels entrants : le vrai objectif de Wade ?

En réalité, ce qui intéresserait Wade, ce sont les prétendus 60 milliards qu’il tirerait des taxes sur les appels entrants. Aidés par de soit-disants consuméristes, il verse dans la confusion rien que pour satisfaire un besoin d’argent adossé à des pratiques mafieuses qui nous ont amené une société haïtienne, sortie « tel un diable de sa boite », pour paraphraser un certain professeur.
Il faut distinguer deux problèmes indépendants qu’ils confondent exprès utilisant l’un légitime pour justifier l’autre complètement irrationnel : le contrôle des appels entrants et la surtaxe des appels entrants.
Le contrôle des appels entrants est légitime pour un état. Si l’Etat du Sénégal n’a pas confiance en la SONATEL, il peut acheter le matériel de contrôle qui ne coûtent pas plus de 10 millions de dollars US (5 milliards de FCFA). L’ARTP a les moyens financiers de se procurer ce matériel et peut recruter le personnel nécessaire avec les redevances qu’elle perçoit du secteur des télécoms.
Mais en réalité l’Etat du Sénégal n’a pas de raison de douter de la bonne foi des comptes de la SONATEL. Si la SONATEL fraudait sur ses chiffres ce sont d’abord ses propres actionnaires qu’elle volerait, y compris ses travailleurs, car les bénéfices sont reversées sous forme de dividendes à ceux-ci. SONATEL ne peut en aucun cas minorer son chiffre d’affaires. S’il y a une entreprise au Sénégal dont on peut avoir confiance en ses comptes, c’est bien SONATEL, seule société sénégalaise cotée en bourse, avec donc l’obligation de rendre publique toutes les informations impactant ses comptes.
Quant à la surtaxe des appels entrants il ne faut pas se tromper : elle va faire augmenter le coût des appels vers le Sénégal poussant les émigrés sénégalais principaux clients à diminuer les volumes et à se tourner vers les appels via internet, et dans le long faire perdre à la SONATEL une bonne partie de son chiffre d’affaires, l’Etat perdant au passage une partie de ses taxes et dividendes. Attention au coup de massue ! Et il faut totalement ignorer la finance internationale pour penser que les opérateurs internationaux font tellement de marges vers le Sénégal qu’ils pourraient absorber cette surtaxe en gardant les mêmes prix. Nous sommes en présence d’un marché efficient, totalement libéralisée où la concurrence impose toujours des prix optimaux.

3) Quelle politique des télécoms ?

Le Sénégal a la chance, grâce en partie à la SONATEL, d’avoir l’un des secteurs télécoms et des nouvelles technologies les plus performants d’Afrique. Dans ce 21è siècle où les grandes fortunes se créent dans ce secteur (Microsoft, Google, Yahoo, Facebook, Carlos Slim…), l’Etat doit absolument éviter les errements que nous notons tous les jours, du « waxoon waxéét » perpétuel : je vends les actions, je ne vends plus, je taxe, je ne taxe plus, encore je taxe, je nationalise, puis je donne aux privés….
Franchement, y en a marre : on ne gère pas un pays comme cela. Ce secteur est trop sérieux pour qu’on joue avec.
Il faut d’abord dire une chose : l’Etat ne peut que se désengager de SONATEL en vendant ses actions parce qu’elle a besoin d’argent. En effet, en libéralisant le secteur et en se positionnant comme arbitre à travers l’ARTP l’Etat n’a plus rien à faire dans le capital. On ne peut pas être arbitre d’un match et en même temps joueur dans une équipe. En Europe où on trouve encore des entreprises nationales dans le secteur, les organes de régulation sont totalement indépendants des pouvoirs publics.
Et ce serait tant mieux pour la SONATEL et ses travailleurs. Les travailleurs de SONATEL ne devraient pas avoir peur du désengagement de l’Etat. Primo parce que de toute façon l’Etat avec 27,6% du capital est largement minoritaire et que le combat des sonatéliens doit être celui de la bonne gestion quelque soit par ailleurs l’actionnaire majoritaire. Ce combat doit être interne et le désengagement de l’Etat le faciliterait. Et les travailleurs de SONATEL ont déjà montré qu’ils pouvaient s’opposer à France Télécoms.
Deuxio, il faut savoir qu’aujourd’hui la configuration du capital est telle que France télécoms peut être majoritaire sans les actions de l’Etat. Il lui suffirait d’y mettre le prix et d’acheter 8 % des 24% des actions détenues en dehors de l’Etat, des travailleurs et de France Télécoms. Une forte prime pourrait inciter une partie des détenteurs à les vendre au niveau de la BRVM. Et il faut y ajouter que si l’Etat vendait ses actions à des privés sénégalais, comme conclu avec les syndicalistes de SONATEL, rien n’empêcherait ces privés d’aller les revendre à la BRVM et que France TELECOM les rachète, comme du reste certains sonatéliens qui ont déjà vendu leurs actions.
Quant à l’Etat du Sénégal sa décision de vendre ses actions devrait avoir une motivation économique. Il faut préciser que si l’Etat vend ses actions, sur la manne financière qu’il reçoit de SONATEL, ce sont ses dividendes (une cinquantaine de milliards) qu’il va perdre tout en gardant les taxes, plus de 100 milliards annuels.
Nous devrions alors éviter de reproduire ce qui est arrivé avec la vente de la troisième licence à SUDATEL : utiliser 80 milliards de recettes exceptionnelles pour régler des problèmes de trésorerie, notamment des dépenses extrabudgétaires totalement injustifiées.
Il faut savoir qu’on peut expliquer à un profane la détention d’actions et le versement de dividendes comme tout simplement un capital épargné dans une banque avec ici un droit de propriété avec une participation dans les décisions. Une des formules basiques d’évaluation des actions que nous apprenons à nos étudiants c’est Gordon-Shapiro : la valeur actuelle de l’action est égale à la somme des valeurs actuelles de ses dividendes futurs estimés.
Les actions de l’Etat du Sénégal au niveau de la SONATEL peuvent rapporter au moins 500 milliards de FCFA. Ce n’est qu’une question de coût d’opportunité : l’Etat doit il laisser ces 500 milliards sous forme d’actions et recevoir chaque année 50 milliards de dividendes ou prendre ses 500 milliards et les investir maintenant ? Cela ne dépendra que des investissements qu’on va réaliser.
Exemple 1 : si ces 500 milliards investis dans l’agriculture permettent l’autosuffisance en riz, le Sénégal perd chaque année 50 milliards de dividendes mais gagne les 200 milliards qu’on dépensait pour importer du riz.
Exemple 2 : si l’Etat investit ces 500 milliards pour régler le problème de l’électricité, le Sénégal perd 50 milliards de dividendes à comparer aux pertes engendrées par les délestages.

Enfin les autorités donnent l’impression que la fin de la concession en 2017 (les socialistes ont quand même été bien inspirés de signer une concession de 20 ans seulement) sera la fin de SONATEL ou que France TELECOM perdra ses actions. Cette idée est totalement fausse. L’entreprise continuera d’exister dans sa configuration en ce moment là, elle ne devra en fait que négocier la poursuite des activités. Et chose extraordinaire, si l’Etat refusait de renouveler elle pourrait continuer ses activités dans la sous région. Mais on n’en arrivera pas là, seulement les autorités ne devrait pas trop s’enflammer avec la fin de la concession. Il y aura des négociations à mener, il faudra bien les mener pour que le partenariat win win actuel entre SONATEL et l’Etat continue, n’en déplaise aux vautours qui rôdent autour des milliards du secteur.

Pour terminer, je conseillerais au futur président du Sénégal, qui aura je l’espère à gérer le mandat complet 2012 -2019, de faire attention à trois actes majeurs durant son septennat dans le secteur des télécoms :
 La vente des actions de l’Etat au niveau de la SONATEL.
 La vente de la quatrième licence (possible à partir d’Octobre 2012).
 Le renouvellement de la concession de SONATEL en 2017.

Ces trois opérations bien menées devraient rapporter au Sénégal au moins 1000 milliards de FCFA et ces milliards bien investis dans des secteurs ciblés peuvent permettre au Sénégal de faire un bon qualitatif. Ces opérations doivent aussi être menées en parfaite concertation avec les acteurs du secteur et en particulier les sonatéliens.
La SONATEL est une entreprise à protéger quoi qu’il arrive vu son poids économique, mais aussi le rôle de porte étendard sénégalais qu’il joue en Afrique. Et comme on dit : il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or.

Matar SEYE
Coordinateur Rewmi à Biscuiterie
matarseye@yahoo.fr
www.facebook.com/matar.seye
www.xalimablog.com/mase41168
Lundi 22 Aout 2011
Matar Seye