Sénégal : Quand la psychopathie s'empare de l' Ucad!


Né un certain jour de décembre 1923, Cheikh Anta DIOP fait partie sans doute de ces rares « fils qui naissent dans les plus simples familles des plus humbles communautés et qui en grandissant élèvent leur nom, le nom de leur père, le nom de leur mère, celui de leur famille et de toute leur communauté et par humilité ils ennoblissent l’homme ». A cette époque, la vision d’une Afrique anhistorique et atemporelle dont les habitants, les négres, n’ont jamais été responsables, par définition, d’un seul fait de civilisation, s’imposait déjà dans les écrits et s’était ancré dans les consciences. Ainsi, restaurer la vérité pour recréer l’histoire lui apparait comme une tâche incontournable à laquelle il consacra sa vie.
Cet illustre fils d’Afrique dont la richesse et l’immensité de l’œuvre marquera à jamais le souvenir de ses compatriotes est décédé le 07 février 1986. Aujourd’hui, plusieurs symboles portent son nom : rues, édifices, institutions etc. Mais, de toutes ces institutions, celle qui est la plus connue, retiendra notre attention dans ce texte : l’Université de Dakar.
L’Université de Dakar, crée depuis 1957, a été rebaptisé Université Cheikh Anta DIOP en 1987 à la suite de la disparition du pharaon noir. Depuis sa création jusqu’à tout récemment, l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar a symbolisé l’excellence, l’intelligentsia, bref elle a incarné la science en son vrai sens du terme. L’Ucad avait toujours produit des génies, de grands penseurs de ce monde, des produits intéressants, en quelque sorte l’Université qui avait toujours des semences de qualité avaient su récolter des belles moissons.
Cependant, aujourd’hui, par accident de l’histoire (et dont l’histoire seule connait la raison), l’Université se morfond dans des contradictions terribles et se trouve au bord du gouffre. Cette situation qui se faisait déjà sentir au tout début du 21e siècle avait poussé en 2004 un jeune étudiant, lors d’une assemblée générale d’étudiants grévistes, face à une foule totalement acquise à sa cause de par sa rhétorique, à lancer cette boutade « camarades, camarades, camarades, hier, j’ai fait un rêve dans lequel j’ai vu Cheikh Anta DIOP en sanglot car l’Université ne répond plus à son nom ». Ce rêveur debout avait pourtant bien vu venir cette situation catastrophique même s’il n’avait jamais pensé qu’un jour la pensée aller déserter ce temple du savoir.
L’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar ressemble de nos jours à une véritable garderie d’adultes onéreuse, inefficace et inefficiente à la place d’un véritable cadre d’élaboration des bases théoriques et de conceptions pratiques des outils permettant de construire une société développée.
Le tableau que présente ce Sénégal en miniature qu’est l’Ucad est plus que désolant.
En effet, conçue pour accueillir moins de 6.000 étudiants, l’Ucad compte aujourd’hui plus de 70.000 étudiants sur un espace qui ne s’est véritablement jamais agrandi depuis sa création. Et cette année encore malgré le nombre réduit de nouveaux bacheliers orientés dans les différentes facultés, l’Ucad attend au minimum 15.000 étudiants au début des cours qui n’ont toujours pas commencé pour des raisons que nous évoquerons plus loin.
Cette situation n’est pas sans conséquences. Celles-ci sont nombreuses et variées mais deux seulement intéresseront notre analyse.
D’abord les conséquences sociales : un nombre pléthorique dans un lieu très contigu donne lieu forcement à de la promiscuité. Depuis presque dix ans nous partageons les chambres de deux lits (chaque lit est conçu pour une seule personne) à 12 étudiants et les chambres individuelles à 6. Les couloirs des différents pavillons sont devenus de véritables dortoirs pour ceux qui ont le luxe de dire à leurs parents que « nous logeons au campus ». Ces conditions dans lesquelles vivent aujourd’hui les étudiants sont inhumaines et à vouloir les lister, j’en retiens difficilement le souffle : surpeuplement dans les amphis et dans les chambres, agression verbale et physique de toute sorte, pollution sonore en permanence entretenue par des séances de sabar et des soi-disant dahira et thiant, visite non souhaitée jusqu’à des heures de crimes, environnement mal sain causé par des tapages nocturnes, transformation du campus social en un véritable marché quotidien avec la prolifération des cantines, remplacement des compétitions intellectuelles par des séances de luttes, lieu de convergence de tous les déchets de la société y compris les bandits de grands chemins (nous partageons nos toilettes avec tous les SDF et mendiants qui rodent dans les parages), apparition de nouvelles maladies, lieu de convergence des homosexuels et prostituées etc. Et tout cela se passe malheureusement dans un environnement où il y a une absence totale d’infrastructures sociales et sanitaires de qualité frappé par un manque d’équipements adéquats sous la supervision incapable d’un COUD devenu véritablement un outil de renforcement des moyens politiques pour son Directeur à la place d’être un vrai rossignol des souffrances des étudiants.
De la même manière qu’ « on ne peut pas avoir économiquement raison si socio-culturellement on a tort », on ne peut pas aussi avoir un confort pédagogique si socialement tout va mal.
Ces conditions inconfortables dans le campus pédagogique ne sont que la résultante d’une situation sociale trop dégradée qui elle-même est fille d’un surpeuplement. Aujourd’hui il est plus aisé de faire cours au marché thiaroye que dans les amphis de certaines facultés de l’Université. Je n’exagère pas car moi-même j’ai été appelé à faire cours dans une salle de moins de 100 places alors que les étudiants présents dépassaient le nombre de 6OO et le professeur a toujours eu des difficultés à se frayer un chemin pour accéder au tableau. Chaque matin on assiste à des scènes de bousculade devant les amphithéâtres non pas pour suivre le cours debout, ce qui est un luxe, mais pour simplement avoir une position en dehors de la salle qui permet d’apercevoir le professeur qui s’empresse de finir sa charge pédagogique pour aller se rabattre dans les écoles de formation privée. Bref, les étudiants qui n’accèdent pas à la salle de cours et qui le suivent debout au dehors sont toujours plus nombreux que ceux qui parviennent à s’asseoir.
A la place de la seule et unique alimentation qui devrait rester les idées, les étudiants qui étudient aujourd’hui sous l’emprise d’une pénurie de toute sorte, tombent sous le joug de la violence et de la médiocrité. Les représentations estudiantines, au lieu d’être de véritables foyers de réflexion d’où doivent jaillir des idées nobles et novatrices capables de redresser les torts, se sont métamorphosées en de sérieux regroupements de cancres soucieux uniquement des exigences du ventre et de la renommée. Tout se calcule par rapport à des bourses sociales, des chambres durant les codification ou bien des visas et bourses étrangères. En atteste la récente fuite aux Etats Unis de celui que les étudiants avaient fini de surnommer Lumumba. C’est regrettable et honteux car les étudiants oublient que notre Université ne pourra être sauvée des griffes des forces rétrogrades et réactionnaires que par une amicale d’étudiants responsable et pleinement consciente des enjeux du moment et de la république.
Pire, nous assistons à une privatisation qui ne dit pas son nom à l’Ucad. Cette situation est le fait de certains de nos professeurs qui installent des masters soi-disant professionnels partout en demandant des sommes faramineuses à de pauvres étudiants. On a toujours pensé que la corruption c’était le fait des politiciens, des hommes de tenues etc. mais elle existe belle et bien au sein de l’Ucad dans laquelle pourtant on conçoit les bases juridiques de la société. Comment peut- on demander à des étudiants de payer des centaines de milles pour prétendre à un encadrement sérieux ? Pourquoi l’existence de certains masters dans lesquels on nous demande de payer 900.000F ? La pensée a déserté ce temple du savoir en atteste la passivité et l’incapacité d’indignation qui caractérisent nos universitaires face au drame social que vit le peuple. Hormis la question fondamentalement constitutionnelle de la candidature de Maitre Abdoulaye WADE, on n’entend nos universitaires, qui pourtant sont bien traités, que lorsqu’il s’agit de défendre des questions relatives à leur statut. Triste reconversion !
Oh Seigneur ! Où va le Sénégal si maintenant c’est sa matière grise qui est infectée ?
Assurément, l’Ucad présente aujourd’hui des signes de nervosité extraordinaire. Le seul poumon qui survit encore à l’Université tout en respirant un air pollué c’est la Faculté de Médicine de Pharmacie et d’Ondoto-stamatologie.
Non !!! Cheikh Anta DIOP ne mérite pas ça.
La situation actuelle n’augure pas des lendemains meilleurs pour notre jeune Etat. L’inconfort pédagogique et social des étudiants est tel que même le plus intelligent et chanceux d’entre nous aurait sans doute, sous l’effet combiné de plusieurs facteurs bloquants, échoué en première année. Ce constat est d’autant plus inquiétant que même notre chère maman Hélène que nous aimons beaucoup et notre frère Mamadou Aliou n’ont aujourd’hui qu’une seule chanson à savoir « légui, université bi défa yakkou ».
Nonobstant ces conditions inadéquates à une formation académique de qualité, une autre histoire cocasse vient de perturber la quiétude de Cheikh : la grève du SAES. Cette grève se poursuit et persiste sans que la moindre perspective de lever le mot d’ordre ne se dessine. La situation est d’autant plus inquiétante que le Ministre de l’enseignement supérieur dit être prêt à assumer une année blanche. Cette situation nous rappelle les années noires de1988 et de 1993 (années électorales difficiles pour le Sénégal). Pour rappel, en 1988 la grève des étudiants avait conduit à une année blanche dont toute une génération paie encore les effets. En 1994 aussi, une situation marquée par la politisation du mouvement étudiant avait conduit à une année invalide. Cette année encore, si les mêmes causes donnent toujours les mêmes effets, le ciel s’assombrit au-dessus des têtes de ces milliers d’étudiants dont l’avenir reste sombre. Or, si une année blanche signifie qu’aucun étudiant ne passe à la classe supérieure, alors mes frères et sœurs du premier cycle surtout seront les grands agneaux du sacrifice.
Même la satisfaction totale de la plate-forme revendicative de nos enseignants ne règle en rien les problèmes actuels de l’Ucad. Je crois simplement qu’ils ont raté par omission leur ordonnance car c’est eux qui nous ont appris que pour étudier et comprendre un phénomène, il ne suffit pas de se cantonner à sa notion d’échelle mais il faut aller beaucoup plus loin « dans sa notion scalaire » en essayant de comprendre les causes externes et lointaines du phénomène à étudier.
Non Professeurs ! Il faut couper le mal à la racine.
Déjà l’avenir de plus de 10.000 bacheliers risque d’être hypothéqué faute d’orientation. S’il s’y ajoute l’exclusion de plus 17.000 étudiants déjà en position de cartouche, on assistera alors au début de l’éclatement de cette bombe sociale qu’est l’Ucad. Cette situation prévisible, dangereuse et imminente aura des conséquences lourdes qui perturberont pendant longtemps la politique de jeunesse de notre pays déjà mal maitrisée par nos autorités.
Oui tant qu’il y’a vie, il y’a espoir. Mais sérieusement cette fois ci, à y regarder de près, l’espoir est trop faible car les projecteurs de l’avenir sont brouillés. Si la capacité d’un pays à se remettre sur les rails du développement passe nécessairement par ses Universités, si le développement de notre pays dépend en grande partie d’une jeunesse bien formée et consciente, il faut alors inverser automatiquement la tendance pour ne pas sombrer définitivement dans la misère des pays les plus pauvres de la planète. C’est inadmissible de former la jeunesse de notre pays par des enseignants non formés. Depuis presque une décennie, ce ne sont que des cartouchards ou des étudiants qui ont passé tout leur temps à l’Université qu’à graver des cd, qu’ à photocopier, qu’à vendre du thé et du sucre, qu’à s’entrainer les muscles etc. que l’on envoie dans les collèges et lycées du Sénégal pour former l’espoir de toute une nation. J’ai toujours dis que pour espérer de futures belles moissons, il faut impérativement des semences de qualité. Alors que les graines sont déjà semées, il faut amoindrir les conséquences par l’apport d’engrais chimiques efficaces au risque de connaitre une famine terrible dans les décennies à venir.
Pour cela, une thérapie urgente et efficace s’impose puisque étant la condition sinequanone pour sauver le pays, sa jeunesse et son avenir. Il ne suffit plus d’apporter des actions correctrices en construisant des amphis et des restaurants au sein d’un espace déjà trop plein mais il faut impérativement délocaliser la faculté des lettres et sciences humaines. Délocaliser cette faculté qui représente 53% des effectifs de l’Ucad pour l’amener en dehors de Dakar parce qu’aussi tout ne peut pas demeurer dans la capitale. Cela permettra aux autres facultés de vivres dans un climat moins perturbé et redonner en même temps à Cheikh Anta DIOP un nouvel élan vers le sommet. L’application précipitée du système LMD dans des conditions inadéquates n’a aucun sens ni intérêt dans l’état actuel de l’Université. Le système LMD est très efficace mais il n’est pas encore pour nous. D’ailleurs rare sont les enseignements qui maitrisent correctement ce système. Conséquence : il y’a jusqu’à présent des résultats de l’année dernière qui ne sont toujours pas sortis ; ce qui empêche aux cours de commencer alors que nous sommes au mois de janvier. Comme nous le disons en langue pulaar, « il faut savoir qui on est, ce qu’on peut si on ne veut vraiment pas se fatiguer pour rien ». En outre il urge également de soulager l’Ucad par le renforcement des capacités d’accueil de l’Université Gaston Berger de Saint Louis car comparée à l’Ucad, l’Ugb apparait comme un grand lycée alors qu’elle possède un espace largement suffisant et inexploité. Il est tout aussi nécessaire de revoir notre système d’éducation et de formation en essayant d’adapter nos produits aux exigences du marché et de l’évolution du monde. Cela suppose d’abord un projet de société sérieux. Dans ce même sillage la création d’une Université de l’eau dans la vallée du fleuve Sénégal demeure une urgence parmi les solutions. En effet, ne perdons pas de vue que l’une des conséquences les plus catastrophiques des changements climatiques en Afrique subsaharienne sera sans surprise un manque considérable de l’eau. Il nous faut alors se préparer afin de prévenir notre pays de toutes les situations compliquées qui pourraient découler de ces conséquences.
L’université doit opter pour une politique de développement scientifique et intellectuel et y mettre le prix ; sa vulnérabilité excessive de ces dernières années est la conséquence d’une déficience technique, administrative et pédagogique. Le développement intellectuel est le moyen le plus sûr de faire cesser le chantage, les brimades et les humiliations, bref pour aller de l’avant.
Malheureusement, il y’a toujours un décalage fou entre les discours de tous ceux qui prétendent être l’alternative à l’alternance et l’essentiel pour le pays. Les candidats ont tout dit mais personne n’a encore donnée une offre politique valable et prometteuse. Personne d’entre ces derniers n’a encore parlé de la situation actuelle de l’Ucad alors qu’elle reste malgré tout la seule véritable pépinière des sénégalais censés redresser le pays en cas de panne.
Enfin mon rêve le plus ardent aujourd’hui c’est de voir le Sénégal vaincre, malgré les périls, cette situation difficile que nous connaissons depuis quelques temps. Et que finalement, le Président qui sera librement choisi par les citoyens puisse dire en face de son peuple ces termes qu’avait utilisé Général DEGAULE quand il était revenu pour la seconde fois (mai 1958) à la tête de la République française : « L’étape que nous gravissons est la plus grande épreuve de notre histoire mais nous savons de quel abime nous émergeons et vers quel sommet nous montons ».

Elimane Abdoul FALL
Etudiant à l’Ucad
Ancien du mouvement étudiant
Membre du Conseil National de la Jeunesse
elifall@hotmail.fr
Vendredi 27 Janvier 2012
Elimane Abdoul FALL