Sénégal : Jean-Claude Mimran, un "Monsieur sucre" un peu trop gourmand


Au Sénégal, le milliardaire français et accessoirement exilé fiscal suisse Jean-Claude Mimran, est une sommité. Et pour cause, puisque "Monsieur sucre" comme certains journaux nationaux le surnomment est le patron de la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS), deuxième employeur du pays avec 6000 salariés, tout juste derrière l'État, et un chiffre d'affaires de 70 milliards de francs CFA (100 millions d'euros).

Cette branche des activités du groupe Mimran, aux côtés des minoteries de Dakar et d'Abidjan par exemple, est en position de monopole sur le marché sénégalais depuis l'installation de Jacques Mimran, père de Jean-Claude, à Richard-Toll en 1970.

C'est là-bas, à 300 kilomètres au nord de Dakar, sur les bords du fleuve Sénégal et à quelques encâblures de la frontière mauritanienne que la canne à sucre estampillée Mimran est cultivée. Elle s'étend sur 10.000 hectares dont l'usine de raffinement installée à l'entrée de la ville tire 100.000 tonnes de sucre chaque année. Nul doute d'ailleurs quand on approche de la ville, l'air est surchargé d'effluves sucrées !

Mais tout ce renom et ce poids économique à l'échelle nationale, entretenus par un entregent serré dans les plus hautes sphères de l'Etat, ne mettent pas la CSS à l'abri d'un revers de fortune dans ses velléités d'expansion territoriale.

Au Sénégal comme ailleurs, la consommation de sucre est galopante, et les importations pour y répondre s'accroissent. Pour résorber le déficit de production, le géant économique franco-sénégalais entend mener à bien son projet KT 150. Objectif affiché, et soutenu à tout pris par le régime sortant du libéral Abdoulaye Wade jusqu'à sa défaite en mars dernier: augmenter la capacité de production de sucre, de 100.000 à 150.000 tonnes annuelles.

Le scénario d'accaparement est ensuite trop familier, surtout en Afrique. Parce qu'au beau milieu des 4312 hectares supplémentaires que réclame la CSS pour réaliser le KT 150, dix villages de tradition peule s'opposent coûte que coûte à une nouvelle expropriation. Nouvelle, puisque certains de ces villageois avaient déjà dû plier bagage avec les premières mises en culture il y a 40 ans. Ces villages s'appellent Pathé Badio, d'Ala Indé, Silama, Dioukaly, ou encore Mambaye, tous situés à l'est de Richard-Toll, à l'est des terres qu'ils ont progressivement vues se recouvrir des hautes tiges vertes qui s'étendent à perte de vue dans toutes les directions.

Les habitants, eux, n'en démordent pas. Certaines familles sont installées sur ces terres depuis 200 ans et entendent y rester. Pourtant, en 2011, Abdoulaye Wade avait bien tenté de dézinguer l'opposition farouche du président de communauté rurale, Alioune Diack, un natif du coin seul à même en théorie de délivrer pareil octroi de terre sur le domaine national. La manœuvre n'a pas abouti, et les "délégations spéciales" ont dû courber l'échine - démises de leur mandat juste avant le second tour de l'élection présidentielle, le 25 mars.

Sur place, le statut quo de façade prévaut. Les villageois assurent que d'autres terres sont disponibles un peu plus loin de Richard Toll. Trop vallonnées, trop éloignées et moins rentables, rétorquent les responsables, qui assurent que la négociation est en cours.

"Un modus vivendi doit être trouvé. Ils ont cherché le forcing et ça n'a pas fonctionné. Il ne s'agit pas de voir la CSS plier bagage. C'est une composante décisive pour le développement de la région, mais à quel prix ? Elle doit commencer par respecter les populations qui l'environnent. Ces peuls ont le droit de vivre de leur culture sur leurs terres. Des agronomes ont sérieusement travaillé la question et estiment que chaque famille africaine devrait pouvoir bénéficier de 3 hectares de terre pour en vivre décemment. Ils ne peuvent pas se nourrir exclusivement de cannes à sucre", résume Aliou Dack, qui a désormais retrouvé son mandat d'élu local.


Le nouveau gouvernement de Macky Sall n'a pour l'heure pris aucune position officielle sur le contentieux.


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Vendredi 29 Juin 2012
Benjamin Polle-huffingtonpost.fr