Sénégal :Doit-on manifester pour un visa d’entrée en France ? (Par Cheikh Yérim Seck)


DAKARACTU.COM La controverse née du refus de visa pour la France au professeur Sangharé nous oblige non pas à seulement manifester notre indignation et notre refus de telles pratiques, mais aussi à nous interroger. Doit-on manifester pour un visa ? Après cinquante ans d’indépendance, après des siècles d’histoire commune entre la France et l’Afrique, après notre contribution décisive à son histoire, est-il normal que nous soyons encore en position de quémandeur de liberté de mouvement, en allant demander des visas dans les conditions humiliantes que l’on sait dans les divers consulats de France ? Nous avons et le besoin et le droit d’aller nous faire soigner en France, nos systèmes de santé étant, hélas !, sérieusement détériorés, nous avons le droit et le besoin parfois d’aller étudier et parfaire le volet de nos connaissances, et aussi souvent d’aller en France participer à des forums internationaux qui participent au caractère universel des relations cognitives. Nous avons parfois et le droit et le besoin tout simplement d’aller prendre l’air et voir ailleurs librement ce qui s’y passe. C’est l’intangible liberté d’aller et de venir inhérente à la condition humaine. S’époumoner dans des manifestations, pour simplement exiger de la France qu’elle nous laisse venir chez elle, c’est toutefois pour notre intelligentsia un flagrant signe d’échec, un sérieux coup de canif à notre indépendance acquise il y a 50 ans. Pourquoi ne sommes-nous pas dans les conditions de ne pas avoir à demander des visas pour aller chez les autres ? Pourquoi nos jeunes n’entrevoient pas leur avenir chez eux, allant jusqu’à braver la mort dans d’improbables embarcations qui transforment les océans traversés en tombeaux ? Pourquoi des hommes et des femmes qui ont de belles opportunités professionnelles au Sénégal, quittent-ils leur pays pour aller faire des boulots souvent dégradants ailleurs ? Pourquoi nos intellectuels qui manifestent pour des visas ne se réunissent-il pas plus souvent pour réfléchir au redressement du pays et créer les conditions d’épanouissement des Sénégalais, afin qu’ils aient le bonheur de vouloir exister chez eux ? Il est honteux de passer des nuits devant certaines ambassades comme celles de France ou de Turquie par exemple, et de voir des queues entières de Sénégalais attendre pour avoir une chance de passer la porte le lendemain matin dans l’espoir d’avoir ce fameux permis de partir ailleurs, on est tenté de dire permis de fuir. Tous les jours que Dieu fait, nous parcourons la presse sénégalaise et découvrons invariablement des histoires d’arnaques au visa mettant en jeu des sommes faramineuses dont on se demande même comment les pigeons ont fait pour les amasser. Il sont prêts à débourser des millions, les donner à un incertain passeur, pour partir vers ce qu’ils croient être l’El Dorado, et ne se sentent pas capables de fructifier ces mêmes sommes. Une pirogue de cent personnes à 500000 frs par tête de pipe, ça vous fait 50 millions par pirogue. Il y a vraiment de quoi créer un prospère Gie, si les Sénégalais avaient été gonflés par des projets porteurs et gratifiants, et qu’on leur proposait un futur vivifiant. C’est là l’échec de toute une génération et d’intellectuels sénégalais que de n’avoir pas su enchanter l’avenir. Manifestons pour changer cela. Radicalement. Plutôt que de donner des pouvoirs de décider de nos trajectoires respectives à de simples employés d’ambassade qui, face à nos génuflexions mentales, vérifient par l’absurde leur prétendue supériorité. Manifestons pour pouvoir crier au monde : « Notre verre est petit, mais nous buvons dans notre verre !!! »
Mercredi 11 Juillet 2012
Dakar actu