La cause immédiate et la logique d’auto-emballement du conflit / Comprendre les conflits (en général) / Ce qu’il faut faire
Le processus électoral a pris une tournure dangereuse, depuis que le Conseil Constitutionnel a publié la liste des candidats à l’élection présidentielle prévue le 26 février 2012.
Cependant, tout observateur averti aurait pu anticiper la situation actuelle de violence verbale et physique qui a déjà causé la mort de quelques citoyens, la destruction de biens publics et privés, et contribué à radicaliser d’avantage les positions des protagonistes.
Dans l’atmosphère actuelle de violence, de manque de confiance exacerbé et de diabolisation mutuelle entre protagonistes, toutes intervention d’un tiers (communauté internationale, pays partenaires, chefs religieux ou simples citoyens de bonne volonté) peut être immédiatement interprétée comme une prise de position en faveur de l’un ou l’autre camp, ce qui rend assez périlleuse mon initiative, en tant que citoyen sénégalais et fonctionnaire international. Qu’à cela ne tienne !
Evidemment, en tant que sénégalais, j’aurais menti si je disais n’avoir pas de jugement ni de position personnelle sur le conflit en cours. Cependant, mon objectif étant de partager une proposition de sortie de crise, je voudrais juste m’en tenir à exposer ma lecture du conflit, ma compréhension des besoins de chacun des protagonistes, lesquels besoins justifient leur perception de ce qui est leur intérêt du moment et déterminent leurs positions actuelles.
La cause immédiate et la logique d’auto-emballement du conflit.
Ne vivant pas au Sénégal, les épisodes du conflit tels que je les exposerais ici pourraient être plus ou moins imprécis et/ou inexacts, mais mon objectif n’étant pas de les juger, mais juste de tenter une restitution de la dynamique du conflit afin que l’on en comprenne mieux le processus d’auto-emballement, je voudrais bien qu’on ne m’en tienne pas rigueur outre mesure.
- La cause du conflit est bien connue : une divergence d’interprétation de la constitution du Sénégal. Depuis que celle-ci a été identifiée il y a bien longtemps, aucune initiative préventive crédible (publiquement connue, car il est possible qu’il y en eût), ni de l’intérieur (par l’un des protagonistes du champ politique ou par des citoyens) ni par les partenaires étrangers, ni par la communauté internationale n’a été tentée. Ainsi aux annonces de candidature du Pr. Wade, l’opposition et la société civile répondaient régulièrement en déclarant que la constitution ne permettait pas une telle candidature et que le peuple s’y opposerait.
- Vint ensuite l’épreuve du 23 juin 2011, à l’issue de laquelle ce conflit autour de l’interprétation de la constitution prit une nouvelle tournure, avec la naissance du M23, l’émergence d’initiatives d’intimidation, mais aussi de plaidoyer en faveur de l’une ou l’autre position, puis, les démonstrations de forces par la mobilisation de foules et « l’endoctrinement ». Pendant cette phase également, aucune initiative préventive crédible connue, n’a été tentée ; et chacun des camps persévérait dans sa position et dans le durcissement de ton.
- Lorsque le calendrier électoral fut dévoilé, les stratégies des protagonistes changèrent légèrement : l’opposition resserrant ses rangs et intensifiant sa mobilisation et son activité de lobbying auprès des partenaires bi et multilatéraux, le pouvoir accentuant sa largesse envers les membres du conseil constitutionnel et d’autres fonctionnaires, tout en multipliant ses visites aux chefs religieux et demandant qu’un appel au respect de la loi et à la conformation à la prochaine délibération du conseil constitutionnel soit adressé à l’opposition.
Cette dernière phase n’aurait- elle pas dû être interprétée par les partenaires et la communauté internationale comme un appel de détresse des protagonistes? Une initiative a-t-elle été prise dans ce sens ? Par qui ?
Voilà donc le contexte dans lequel le conseil constitutionnel à publié sont arrêt, marquant ainsi le début de la violence ouverte qui aujourd’hui préoccupe aussi bien les sénégalais que le reste du monde.
Depuis la violente dispersion par les forces de l’ordre de la manifestation pacifique de l’opposition, le vendredi dernier, les appels au calme et les propositions de sortie de crise se sont multipliés, mais aucun d’entre eux ne semble entendu par les protagonistes. Pourquoi ?
A notre avis, à quelques nuances près, ces différents appels qui peuvent être classés en deux catégories (les appels à se conformer à la décision du conseil constitutionnel et à une poursuite du processus électoral et ceux qui demandent plutôt le retrait de la candidature du Pr. Wade) ne peuvent satisfaire à la fois les deux protagonistes et permettre donc un arrêt de la spirale de la violence. Pourquoi ?
Comprendre les conflits (en général).
A bien des égards, un combat de lutte avec frappe et une bagarre de rue partagent plus que le niveau de violence physique : chacun des acteurs veut vaincre, la probabilité que personne ne gagne est faible, etc. Cependant, à la différence de la bagarre de rue, le combat de lutte est organisé autour d’éléments essentiels, qui en garantissent (normalement) l’acceptation du résultat par les protagonistes et donc une issue non violente : l’existence de règles et de procédures claires, connues et acceptées des protagonistes, et, peut-être plus important encore, l’existence d’un arbitre dont les protagonistes présument au moins la neutralité.
Il en est du combat de lutte comme du processus électoral : la seule (sinon la meilleure) manière de garantir une issue non violente à un processus électoral est de s’assurer que les règles du jeu et les procédures sont claires, connues et acceptées des protagonistes, et que l’instance d’arbitrage de la compétition électorale est créditée d’une neutralité suffisante par les protagonistes.
Le processus électoral en cours au Sénégal, en ce moment, remplit-il les exigences ci-dessus ? Assurément, non ! L’interprétation de la constitution n’est pas univoque et l’opposition n’a pas confiance en la neutralité du conseil constitutionnel.
Ce qu’il faut faire
Cette proposition de sortie de crise est informée par trois certitudes absolues qui sont les suivantes:
- Les prétentions de chacun des protagonistes doivent être considérées comme une expression d’un intérêt soutenu par un besoin humain fondamental (au sens de Manfred Max-neef), dont la non-satisfaction est nécessairement cause d’une frustration dont la manifestation peut être violente.
- Les protagonistes ont conscience en ce moment, que les logiques qu’ils poursuivent ne leur garantissent pas nécessairement (et je souligne) un résultat capable de satisfaire le besoin qui les meut.
- Que ni une constitution, ni un code électoral ne sont inscrits dans du marbre, et qu’ils doivent être compris comme le résultat d’un consensus social et/ou d’un rapport de force à un moment déterminé, et que par conséquence leur pertinence ne peut être atemporelle. Donc l’une et l’autre peuvent et doivent faire l’objet de remise en cause et de reformulation, si les acteurs dont lesdits textes organisent les interactions sont soucieux d’une coexistence paisible.
Dès lors, une solution de sortie de crise doit nécessairement suivre les étapes suivantes :
1- Il faut immédiatement obtenir des protagonistes la suspension du processus électoral et des manifestations politiques partisanes en cours, en leur proposant l’ouverture de négociations et d’une date-butoir raisonnable à partir de laquelle si une solution négociée n’est pas trouvée, le processus électoral devra être repris dans les règles actuelles et à partir de là où il avait été suspendu, sauf si à ladite date, les parties conviennent ensemble d’une prolongation des négociations.
2- Lorsque le processus sera interrompu, il faudra permettre à chacun des protagonistes de proposer une liste de 5 personnes ou d’institutions qu’il juge crédibles, et qu’une discussion soit facilitée entre les 2 parties jusqu’à l’obtention d’un consensus autour d’un groupe de 5 personnes, qui désigneraient entre elles, un facilitateur-leader.
3- Chacune des parties devra ensuite désigner en son sein, une équipe de négociateurs de 11 personnes, qui seront chargées de défendre ses intérêts pendant le processus de négociation.
4- Il faudra aussi identifier 2 médiateurs professionnels (car la médiation exige des connaissances et des techniques qui font l’objet de formations et d’expérimentations stricts) qui seront chargés d’apporter à l’équipe de facilitation tout le soutien technique dont elle aura besoin pour mener à bien les négociations, depuis la proposition des différents points à inscrire à l’ordre du jours jusqu’à la rédaction d’un accord comportant entre autres, les règles de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre dudit accord.
5- Enfin, il faudra convenir d’un lieu neutre, de préférence suffisamment calme et préservé des « pollutions » de toutes sortes, et rendre disponible le budget nécessaire à cette opération.
C’est seulement ainsi que le Sénégal pourra retrouver sa sérénité, son prestige déjà bien terni, et aller vers des élections libres et transparentes d’où devrait sortir l’homme à qui il reviendra d’assurer au moins, qu’un épisode aussi triste et sanglant n’adviendra pas durant son ou ses futurs mandats.
Un citoyen sénégalais qui préfère l’anonymat
waxjamm@yahoo.fr
Cependant, tout observateur averti aurait pu anticiper la situation actuelle de violence verbale et physique qui a déjà causé la mort de quelques citoyens, la destruction de biens publics et privés, et contribué à radicaliser d’avantage les positions des protagonistes.
Dans l’atmosphère actuelle de violence, de manque de confiance exacerbé et de diabolisation mutuelle entre protagonistes, toutes intervention d’un tiers (communauté internationale, pays partenaires, chefs religieux ou simples citoyens de bonne volonté) peut être immédiatement interprétée comme une prise de position en faveur de l’un ou l’autre camp, ce qui rend assez périlleuse mon initiative, en tant que citoyen sénégalais et fonctionnaire international. Qu’à cela ne tienne !
Evidemment, en tant que sénégalais, j’aurais menti si je disais n’avoir pas de jugement ni de position personnelle sur le conflit en cours. Cependant, mon objectif étant de partager une proposition de sortie de crise, je voudrais juste m’en tenir à exposer ma lecture du conflit, ma compréhension des besoins de chacun des protagonistes, lesquels besoins justifient leur perception de ce qui est leur intérêt du moment et déterminent leurs positions actuelles.
La cause immédiate et la logique d’auto-emballement du conflit.
Ne vivant pas au Sénégal, les épisodes du conflit tels que je les exposerais ici pourraient être plus ou moins imprécis et/ou inexacts, mais mon objectif n’étant pas de les juger, mais juste de tenter une restitution de la dynamique du conflit afin que l’on en comprenne mieux le processus d’auto-emballement, je voudrais bien qu’on ne m’en tienne pas rigueur outre mesure.
- La cause du conflit est bien connue : une divergence d’interprétation de la constitution du Sénégal. Depuis que celle-ci a été identifiée il y a bien longtemps, aucune initiative préventive crédible (publiquement connue, car il est possible qu’il y en eût), ni de l’intérieur (par l’un des protagonistes du champ politique ou par des citoyens) ni par les partenaires étrangers, ni par la communauté internationale n’a été tentée. Ainsi aux annonces de candidature du Pr. Wade, l’opposition et la société civile répondaient régulièrement en déclarant que la constitution ne permettait pas une telle candidature et que le peuple s’y opposerait.
- Vint ensuite l’épreuve du 23 juin 2011, à l’issue de laquelle ce conflit autour de l’interprétation de la constitution prit une nouvelle tournure, avec la naissance du M23, l’émergence d’initiatives d’intimidation, mais aussi de plaidoyer en faveur de l’une ou l’autre position, puis, les démonstrations de forces par la mobilisation de foules et « l’endoctrinement ». Pendant cette phase également, aucune initiative préventive crédible connue, n’a été tentée ; et chacun des camps persévérait dans sa position et dans le durcissement de ton.
- Lorsque le calendrier électoral fut dévoilé, les stratégies des protagonistes changèrent légèrement : l’opposition resserrant ses rangs et intensifiant sa mobilisation et son activité de lobbying auprès des partenaires bi et multilatéraux, le pouvoir accentuant sa largesse envers les membres du conseil constitutionnel et d’autres fonctionnaires, tout en multipliant ses visites aux chefs religieux et demandant qu’un appel au respect de la loi et à la conformation à la prochaine délibération du conseil constitutionnel soit adressé à l’opposition.
Cette dernière phase n’aurait- elle pas dû être interprétée par les partenaires et la communauté internationale comme un appel de détresse des protagonistes? Une initiative a-t-elle été prise dans ce sens ? Par qui ?
Voilà donc le contexte dans lequel le conseil constitutionnel à publié sont arrêt, marquant ainsi le début de la violence ouverte qui aujourd’hui préoccupe aussi bien les sénégalais que le reste du monde.
Depuis la violente dispersion par les forces de l’ordre de la manifestation pacifique de l’opposition, le vendredi dernier, les appels au calme et les propositions de sortie de crise se sont multipliés, mais aucun d’entre eux ne semble entendu par les protagonistes. Pourquoi ?
A notre avis, à quelques nuances près, ces différents appels qui peuvent être classés en deux catégories (les appels à se conformer à la décision du conseil constitutionnel et à une poursuite du processus électoral et ceux qui demandent plutôt le retrait de la candidature du Pr. Wade) ne peuvent satisfaire à la fois les deux protagonistes et permettre donc un arrêt de la spirale de la violence. Pourquoi ?
Comprendre les conflits (en général).
A bien des égards, un combat de lutte avec frappe et une bagarre de rue partagent plus que le niveau de violence physique : chacun des acteurs veut vaincre, la probabilité que personne ne gagne est faible, etc. Cependant, à la différence de la bagarre de rue, le combat de lutte est organisé autour d’éléments essentiels, qui en garantissent (normalement) l’acceptation du résultat par les protagonistes et donc une issue non violente : l’existence de règles et de procédures claires, connues et acceptées des protagonistes, et, peut-être plus important encore, l’existence d’un arbitre dont les protagonistes présument au moins la neutralité.
Il en est du combat de lutte comme du processus électoral : la seule (sinon la meilleure) manière de garantir une issue non violente à un processus électoral est de s’assurer que les règles du jeu et les procédures sont claires, connues et acceptées des protagonistes, et que l’instance d’arbitrage de la compétition électorale est créditée d’une neutralité suffisante par les protagonistes.
Le processus électoral en cours au Sénégal, en ce moment, remplit-il les exigences ci-dessus ? Assurément, non ! L’interprétation de la constitution n’est pas univoque et l’opposition n’a pas confiance en la neutralité du conseil constitutionnel.
Ce qu’il faut faire
Cette proposition de sortie de crise est informée par trois certitudes absolues qui sont les suivantes:
- Les prétentions de chacun des protagonistes doivent être considérées comme une expression d’un intérêt soutenu par un besoin humain fondamental (au sens de Manfred Max-neef), dont la non-satisfaction est nécessairement cause d’une frustration dont la manifestation peut être violente.
- Les protagonistes ont conscience en ce moment, que les logiques qu’ils poursuivent ne leur garantissent pas nécessairement (et je souligne) un résultat capable de satisfaire le besoin qui les meut.
- Que ni une constitution, ni un code électoral ne sont inscrits dans du marbre, et qu’ils doivent être compris comme le résultat d’un consensus social et/ou d’un rapport de force à un moment déterminé, et que par conséquence leur pertinence ne peut être atemporelle. Donc l’une et l’autre peuvent et doivent faire l’objet de remise en cause et de reformulation, si les acteurs dont lesdits textes organisent les interactions sont soucieux d’une coexistence paisible.
Dès lors, une solution de sortie de crise doit nécessairement suivre les étapes suivantes :
1- Il faut immédiatement obtenir des protagonistes la suspension du processus électoral et des manifestations politiques partisanes en cours, en leur proposant l’ouverture de négociations et d’une date-butoir raisonnable à partir de laquelle si une solution négociée n’est pas trouvée, le processus électoral devra être repris dans les règles actuelles et à partir de là où il avait été suspendu, sauf si à ladite date, les parties conviennent ensemble d’une prolongation des négociations.
2- Lorsque le processus sera interrompu, il faudra permettre à chacun des protagonistes de proposer une liste de 5 personnes ou d’institutions qu’il juge crédibles, et qu’une discussion soit facilitée entre les 2 parties jusqu’à l’obtention d’un consensus autour d’un groupe de 5 personnes, qui désigneraient entre elles, un facilitateur-leader.
3- Chacune des parties devra ensuite désigner en son sein, une équipe de négociateurs de 11 personnes, qui seront chargées de défendre ses intérêts pendant le processus de négociation.
4- Il faudra aussi identifier 2 médiateurs professionnels (car la médiation exige des connaissances et des techniques qui font l’objet de formations et d’expérimentations stricts) qui seront chargés d’apporter à l’équipe de facilitation tout le soutien technique dont elle aura besoin pour mener à bien les négociations, depuis la proposition des différents points à inscrire à l’ordre du jours jusqu’à la rédaction d’un accord comportant entre autres, les règles de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre dudit accord.
5- Enfin, il faudra convenir d’un lieu neutre, de préférence suffisamment calme et préservé des « pollutions » de toutes sortes, et rendre disponible le budget nécessaire à cette opération.
C’est seulement ainsi que le Sénégal pourra retrouver sa sérénité, son prestige déjà bien terni, et aller vers des élections libres et transparentes d’où devrait sortir l’homme à qui il reviendra d’assurer au moins, qu’un épisode aussi triste et sanglant n’adviendra pas durant son ou ses futurs mandats.
Un citoyen sénégalais qui préfère l’anonymat
waxjamm@yahoo.fr