Selon un rapport médical, Jacques Chirac ne peut pas affronter son procès


Dominique Pauthe, le juge qui préside la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, et les représentants du parquet ont reçu, vendredi 2 septembre, un rapport médical concernant l'état de santé de Jacques Chirac. L'ancien président de la République doit comparaître devant cette cour, avec neuf autres prévenus (dont Michel Roussin), à compter du lundi 5 septembre.

Selon ce rapport, signé du professeur Olivier Lyon-Caen, chef du service de neurologie à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, M.Chirac est dans un état de vulnérabilité qui ne lui permet pas de répondre aux questions sur son passé.

Or, les deux dossiers qui valent à M.Chirac d'être poursuivi pour "abus de confiance", "détournement de fonds publics" et "prise illégale d'intérêt" dans l'affaire des chargés de mission de la Ville de Paris remontent au début des années 1990, époque où il était maire de la capitale et président du RPR.

Ce rapport médical, sollicité par l'épouse de l'ancien président, Bernadette Chirac, et sa fille Claude, en juillet, est toutefois accompagné d'une lettre signée de M. Chirac, dans laquelle celui-ci, tout en reconnaissant qu'il ne dispose pas de sa pleine capacité pour assister à son procès, exprime néanmoins le souhait d'être jugé comme un justiciable ordinaire. Cette contradiction témoigne de la situation extrêmement délicate dans laquelle se trouvent l'entourage et les avocats de M. Chirac.

L'ancien chef de l'Etat s'était préparé à comparaître lors de la première audience, en mars, mais celle-ci avait été renvoyée après le dépôt d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), sur la prescription des délits financiers, par la défense de l'un de ses coprévenus.

AFFECTION NEUROLOGIQUE

Depuis cette date, l'état de santé de l'ancien président, qui souffre d'une affection neurologique, s'est dégradé. Mais, pour respecter la volonté de comparaître exprimée par M. Chirac, sa défense ne veut pas prendre l'initiative d'une demande de dispense pour raison médicale. En transmettant le rapport du professeur Lyon-Caen au tribunal et au procureur, les avocats de M.Chirac renvoient au président Pauthe l'initiative du débat sur sa comparution.

M.Pauthe, qui devrait verser le rapport au dossier dès l'ouverture du procès, lundi, a plusieurs possibilités. Il peut ordonner une contre-expertise médicale. Il peut aussi décider de renvoyer sine die la comparution de M.Chirac – celui-ci restant poursuivi formellement –, en s'appuyant sur un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 5juin 1997.

Cette jurisprudence a été établie à partir du cas d'un prévenu victime, après sa mise en examen, d'un accident vasculaire cérébral qui avait entraîné une dégradation de ses facultés intellectuelles, notamment sur le plan de l'élocution et de la compréhension, ce qui l'empêchait de communiquer avec son avocat. La Cour de cassation avait alors considéré que "lorsque l'altération des facultés d'une personne mise en examen est telle que celle-ci se trouve dans l'impossibilité absolue d'assurer effectivement sa défense, il doit être sursis à son renvoi devant la juridiction de jugement".

Si telle devait être la position du tribunal, la question qui se poserait alors serait celle du sort des coprévenus. M. Chirac est renvoyé dans deux dossiers qui ont été joints devant le tribunal de Paris. Le premier, instruit à Nanterre et qui lui vaut d'être poursuivi seul pour "prise illégale d'intérêt", est celui-là même qui avait valu à Alain Juppé, en sa qualité d'ancien adjoint aux finances de la Ville de Paris et d'ex-secrétaire général du RPR, sa condamnation devant la cour d'appel de Versailles, en décembre2004, à quatorze mois d'emprisonnement avec sursis et un an d'inéligibilité.

Dans le second dossier, M. Chirac est renvoyé avec neuf autres prévenus, dont deux de ses anciens directeurs de cabinet, Michel Roussin et Rémi Chardon, pour des emplois présumés fictifs de chargés de mission à la Ville de Paris. Pendant l'instruction, l'ancien président de la République avait indiqué qu'il assumait sa responsabilité dans le recrutement de ces chargés de mission, afin de ne pas la faire porter sur ses collaborateurs, tout en affirmant que ces emplois étaient "légitimes et nécessaires". Il avait renouvelé cette position de responsabilité sans reconnaissance de culpabilité lors de la signature du protocole d'accord conclu à l'automne 2010 avec la Ville de Paris et aux termes duquel celle-ci avait accepté de retirer sa constitution de partie civile en échange de l'indemnisation complète de son préjudice, évalué à 2 218 072,46 euros. A la demande de Nicolas Sarkozy, l'UMP, venant aux droits et obligations du RPR, a pris à sa charge les trois quarts de la somme, 500 000euros restant à la charge personnelle de M. Chirac.

Lors de la première audience, il avait été envisagé que l'ancien président réitère cette ligne de défense dans une déclaration qu'il aurait lue au deuxième jour du procès. Si la comparution de M.Chirac devait être suspendue définitivement, alors même qu'il revendique sa responsabilité, le procès de ses coprévenus aurait-il encore un sens?

Pascale Robert-Diard

( Le Monde ) 
Samedi 3 Septembre 2011