Saïf Al-Islam Kadhafi répond à Wade


Parmi les enfants de Mouammar Kadhafi, Saïf Al-Islam avait l'ambition

d'être le réformateur de la Libye. Le deuxième fils du Guide libyen a

vécu et étudié à l'étranger, lancé de grands travaux de transformation

des villes libyennes. Lorsqu'a éclaté la contestation armée, en

février, l'ingénieur de formation a sidéré la planète par une

allocution télévisée où il promettait de continuer la guerre contre

les rebelles de l'est libyen, le Conseil national de transition (CNT),

"jusqu'au dernier homme, jusqu'à la dernière femme, jusqu'à la

dernière balle."

 

Quatre mois plus tard, Saïf Al-Islam Kadhafi, l'ex-"jet-setter", joue

un rôle clef à Tripoli. En raison des frappes de l'OTAN, il reste

discret sur ses déplacements mais, en cet après-midi, il est allé

"nager dans la mer". Depuis le 20 juin, il fait l'objet d'un mandat

d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), comme son père et le

chef des services de renseignements libyens.

 

Vous sentez-vous visé par les frappes de l'OTAN ?

 

L'OTAN a bombardé ma propre maison, le bureau de mon père, sa tente et

d'autres endroits où ils pensent mon père pourrait se trouver. Ils

essayent de le tuer de toutes leurs forces. Ce qui montre que ce sont

des gangsters, un groupe de criminels. Je ne crois pas que la

résolution (1973) du Conseil de sécurité dise : "Vous devez tuer

Monsieur Kadhafi", ou tuer mon frère (Saïf Al-Arab, le plus jeune des

fils de Mouammar Kadhafi, tué par un bombardement de l'OTAN avec sa

famille en mai), ou tuer les enfants de Libye.

 

Comment vivez-vous les poursuites de la CPI ?

 

Il y a deux mois, on nous appelait de plusieurs pays, en nous disant :

"Si vous partez en exil, on fera cesser les poursuites. On réglera

ça." Ça signifie que ce n'est pas un véritable tribunal. C'est un

outil pour nous mettre sous pression. Mais on pense plus à la bataille

en cours, pour l'instant, qu'à la CPI. Dieu est avec nous, on va se

battre, et on gagnera. Ils (le Conseil national de transition (CNT),

les rebelles) sont du côté du Mal. Ils commettent des horreurs.

Benghazi est comme Mogadiscio, avec des terroristes partout.

 

Vous dites "ils" pour qualifier le CNT. Vous ne souhaitez pas les

qualifier de rebelles ?

 

Je les appelle plutôt des rats. Ils n'ont aucune chance de prendre le

contrôle de la Libye par le biais de l'OTAN et de la France. Les rats

sont très fiers d'eux-mêmes. Ils n'étaient personne. Maintenant, ils

sont reçus à l'Elysée, au 10 Downing Street, chez Obama. Il y a des

avions, des sous-marins qui font la guerre pour eux. C'est comme au

cinéma, mais le peuple ne les soutient pas. Un jour, vous vous

souviendrez de ce que je vous dis : les rats n'ont strictement aucune

chance de contrôler ce pays. Ce sont des traîtres. Ils travaillent

avec des Européens, des Américains, d'autres encore pour bombarder

leur propre peuple.

 

Il y a aussi des pays africains qui soutiennent le CNT.

 

La France a ses valets en Afrique. Ils ne vénèrent pas Dieu, ils

vénèrent l'Elysée. Certains ont leurs raisons. Abdoulaye Wade (le

président sénégalais) a reçu 20 millions d'euros pour son fils (Karim,

son possible successeur). C'est le Qatar qui a payé, nos espions nous

disent tout. Mais nous avons de nombreux amis sur le continent.

 

Il y avait à l'origine de cette crise un mouvement de contestation du

pouvoir en Libye.

 

Les véritables enjeux sont l'argent, l'argent, l'argent et le pétrole.

Personne ne soutient les rebelles en Syrie, par exemple. Mais ici, il

y a du pétrole. La Libye est un gigantesque gâteau que les pays

(étrangers) veulent se partager. Ça suffit, on n'est pas dans un

bazar. On fait couler le sang des gens pour pouvoir signer ces

contrats.

 

Nicolas Sarkozy avait reçu Mouammar Kadhafi à Paris en 2007. A

présent, la France soutient le CNT. Que s'est-il passé ?

 

On considérait M. Sarkozy comme notre meilleur ami en Europe. La

relation qu'il avait avec mon père était tellement spéciale. Nous

avions même des liens avec son ex-femme. Nous avions une sorte de

relation familiale avec lui. En une nuit, il a changé d'avis. Nous

avons entendu qu'il était fâché parce que nous n'avons pas signé

beaucoup de contrats avec la France. On n'a pas acheté le Rafale. Le

Brésil et Abou Dhabi ne l'ont pas acheté non plus. Est-ce que la

France va les bombarder aussi ? Mais il reste une chance pour

restaurer cette amitié. Si vous continuez à nous bombarder, vous

n'obtiendrez rien. Mais les rebelles ne l'emporteront jamais. Pétrole,

Rafale, contrats : fini ! Total ? Fini ! Quant à ces gens (les

rebelles), bientôt ils vont disparaître. Si vous voulez faire des

affaires en Libye, vous devriez venir à la bonne adresse (Tripoli).

Là, vous traitez avec les mauvais interlocuteurs.

 

On se bat toujours sur les fronts...

 

Les rebelles ne sont que quelques centaines de combattants, huit cents

ou mille à l'échelle du pays. Ils sont relativement forts parce qu'ils

ont l'OTAN qui se bat pour eux, avec l'argent, les médias, les armes,

les (hélicoptères) Apache. Les Tornado, les Rafale, le

Charles-de-Gaulle. La VIe flotte(américaine), les Awacs. Ce n'est pas

une plaisanterie, tout ceci. Si vous soutenez Mickey Mouse avec de

tels moyens, Mickey Mouse sera quelque chose en Libye ! En dépit de

cela, ils perdent du terrain tous les jours.

 

Que se passerait-il si l'OTAN arrêtait ses frappes ? Vous arrêteriez la guerre ?

 

Avec l'OTAN ou sans l'OTAN, et même si le diable vient faire la guerre

avec les rebelles, ils vont perdre ! Les Américains ont soutenu le Sud

Vietnam pendant longtemps, à la fin ils ont dû partir en courant.

Aujourd'hui même, les Américains essayent de faire plaisir aux

talibans en Afghanistan et négocier avec eux. Les Mirage 2000 sont

envoyés depuis la Corse, les Tornado anglais depuis la Sicile. Ils

font des missions depuis l'Europe pour bombarder un Land Cruiser (un

4×4) en Libye et ils retournent sur leur base. Vous pensez qu'ils vont

contrôler la Libye en s'y prenant de cette manière ? Ce sont les gens

sur le terrain qui vont l'emporter.

 

L'opération de l'OTAN est particulièrement stupide, mal préparée. Tout

a été fait dans la hâte. Une campagne fast-food, une campagne

McDonald's. Nous, nous avons notre armée. Nous avons plus de

munitions, plus d'armes. Le moral est au plus haut. Les autres sont de

plus en plus faibles.

 

Les possibilités de négociation qui se dégagent peuvent-elles mettre

fin au conflit ?

 

Vous voulez la paix ? On est prêts. Vous voulez la démocratie ? On est

prêts. Vous voulez des élections ? On est prêts. Vous voulez que la

Libye devienne comme la Suisse ? On est prêts. Vous voulez une

nouvelle Constitution ? On est prêts. Vous voulez la guerre ? On est

prêts aussi. On est prêts pour toutes les options.

 

Moi, j'aime la démocratie. Je veux que la Libye soit la Suisse ou

l'Autriche du Moyen-Orient. Je veux que nous ayons une économie

moderne, une démocratie moderne, avec la liberté, des élections. Mais

si vous voulez la guerre, nous adorons nous battre ! Jusqu'à la mort.

Laissez les Libyens décider. S'ils veulent une monarchie, une

république, ou tout ce qu'on peut imaginer.

 

Quelles sont les chances de voir aboutir les négociations qui s'annoncent ?

 

Laissez-nous organiser des élections, avec des observateurs du monde

entier, de manière transparente.

 

Des élections pour quoi exactement ? A quel niveau ?

 

A tous les niveaux. Il suffit de demander. On peut mettre en place un

gouvernement de transition avec des technocrates de tout le pays, pour

la transition, pendant trois ou quatre mois. Ensuite on établit une

nouvelle Constitution. Les élections suivent tout de suite et ce sera

le retour à la paix. Libye n'est pas l'Irak. Les enfants pourront

retourner à l'école, on voyagera, on ira se baigner dans la mer, on

fera des affaires, point final. Nous sommes cinq millions, on est

riches, on peut s'entendre. Ce n'est compliqué qu'à cause des autres,

de l'OTAN, de la France, Royaume-Uni, Italie, Amérique, Turquie et

Qatar.

 

Jugera-t-on les crimes commis ?

 

A Benghazi, ils font des horreurs, et on les appelle "combattants de

la liberté". On a accusé Kadhafi d'avoir bombardé Tripoli. Il n'y a

aucune preuve. Où sont les victimes ? Cette fois, ils viennent avec

une nouvelle histoire : les viols. On viole les femmes et on prend du

Viagra (distribué aux combattants). C'est un vrai film ! Et là, encore

une autre histoire : nous serions prêts à attaquer avec des armes

chimiques. Tout ceci pour rendre la situation "sexy". Comme on l'avait

fait pour les armes de destruction massives de Saddam Hussein.

 

Ce pays a-t-il besoin d'un président (il n'y en a pas dans l'état actuel) ?

 

Non, ce pays a besoin de pouvoirs locaux très forts, avec un système fédéral.

 

Quelle peut être dans ce cas la place du Guide, votre père ?

 

Mon père ne fait pas partie des négociations. C'est un conflit libyen,

avec des Libyens et des traîtres, des milices, des terroristes. Vous

pensez qu'on peut trouver une solution qui ne l'implique pas ? Non,

c'est impossible.

Lundi 4 Juillet 2011