DAKARACTU.COM On se croirait dans le scénario d’un film sur la Camorra. Mais, même dans la mafia, il y a un code d’honneur à respecter. Entendre Robert Bourgi déballer sur les ondes d’une radio dakaroise le contenu d’une communication téléphonique privée qu’il a eue avec Karim Wade, fils du chef de l’Etat sénégalais, crée un véritable malaise. D’autant que ce lobbyiste au cœur de la Françafrique s’est toujours présenté et comporté comme un ami de la famille Wade. Son histoire personnelle et celle des Wade se sont plusieurs fois croisées. Tout comme leurs deux familles. Rasseck Bourgi, petit-frère de Robert, a fait son stage d’avocat dans le cabinet de Me Abdoulaye Wade sur l’avenue Thiong. Aujourd’hui installé à Paris, il est traité comme son propre fils par le chef de l’Etat sénégalais. Robert lui-même faisait montre, dans un passé très récent, d’une grande affection à l’endroit des Wade. L’introduction de Karim Wade dans les cercles d’influence en France, c’est lui. Les entrées de Wade fils à l’Elysée, par l’intermédiaire de l’ancien secrétaire général de la présidence devenu ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, c’est encore lui. La poignée de main entre Barack Obama et Karim Wade à Deauville, avec Nicolas Sarkozy dans le rôle de l’entremetteur, c’est toujours lui. Il y a moins d’un mois, alors qu’il devait voir dans un café parisien l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, il a appelé le fils du président avant et après la rencontre.Le contenu de ses échanges avec Seck s’est même retrouvé dans les colonnes d’un journal dakarois. Et il est fort à parier, au vu des informations distillées, qu’elles l’ont été par l’entourage de Karim Wade. En un mot comme en mille, Robert Bourgi roulait pour la famille Wade. Ce n’est pas pour rien que Karim Wade, qui l’appelle « tonton », s’est donné la liberté de l’appeler à 02h 40 mn du matin heure de Paris. Qu’est-ce qui a changé pour que successivement Robert Bourgi briefe une journaliste de L’Express sur ce coup de fil, fournisse plus de détails après que Karim Wade a démenti, et finisse par sauter lui-même l’écran de la journaliste pour dire en clair que son « neveau » a menti et qu’il lui a effectivement demandé d’intercéder pour que l’armée française réprime la manifestation du 27 juin à Dakar ?
Il y a que le vent a tourné depuis ce 23 juin où un soulèvement populaire a contraint Abdoulaye Wade à retirer un projet de révision constitutionnelle. Vieux routier des arcanes politiques africaines, Robert Bourgi a compris que Wade a commencé, dès ce jour, à perdre le pouvoir. Marqué par son long flirt avec Wade père et fils, il cherche aujourd’hui à débarquer du navire qui tangue, en prenant un soin particulier à marteler qu’Idrissa Seck, Macky Sall et Ousmane Tanor Dieng sont tous ses amis. Sait-on jamais, il faut ménager l’avenir… Aucun argument du vieux crocodile du marigot politique françafricain ne saurait justifier ce revirement brutal. Du temps de sa splendeur, Karim Wade lui a fait tout fait subir sans qu’il n’ait jamais posé d’acte de rupture. A l’occasion du décès de Karine, épouse de Karim, en avril 2009, il a appelé celui-ci pour lui passer Idrissa qui voulait présenter ses condoléances. Karim Wade a refusé de prendre au téléphone l’ex-Premier ministre de son père, en dépit de l’insistance de « Tonton ». Humiliation ne peut être plus grande.
L’acte de rupture posé ce 6 juillet, par un déballage cruel, est intervenu dans un contexte très défavorable à la famille présidentielle. Affaiblis sur le plan intérieur, les Wade sont de plus enplus isolés sur la scène internationale. La veille de la sortie de Robert Bourgi, Alain Juppé, chef de la diplomatie française, a asséné à Wade père une charge très peu diplomate, l’invitant à s’appliquer lui-même la leçon de démocratie qu’il était parti donner à Kaddafi à Benghazi. Quelle récompense pour le seul chef d’Etat africain parti à Benghazi escorté par deux avions militaires français pour délivrer le message de l’Occident ! Au cœur des secrets de la Françafrique, Robert Bourgi sait que le projet de réforme constitutionnelle rejeté le 23 juin a aligné la diplomatie française sur la ligne dure des Américains : Wade doit terminer son mandat en 2012 et partir du pouvoir avec son fils. La fin est donc imminente et toutes les fins de règne donnent lieu à ce spectacle pathétique de passagers qui quittent le navire pour échapper au naufrage. Jacques Chirac nous apprend dans ses Mémoires que rien dans la vie d’un homme politique n’est plus dûr que ce moment où le pouvoir le quitte et, avec lui, tous les fidèles, courtisans et autres amis de circonstance soucieux de ménager le futur. Ainsi sont les amitiés du pouvoir : elles ne survivent pas en dehors des ors, lambris et dorures des palais.
Quel prochain président du Sénégal fera confiance à Robert Bourgi ? Même dans la mafia, on n’abandonne pas un « frère » menacé. On gagne ou meurt avec lui comme le veut le code d’honneur.