RFI : Robert Bourgi, bonjour. Pourquoi ne pas avoir fait vos révélations à la justice plutôt qu’à la presse ?
Robert Bourgi : Je ne l’ai pas dit à la justice mais je me tiens à la disposition de la justice et de un. Deuxièmement, je me suis décidé à parler parce que ma conscience me taraudait et je me disais qu’il était temps de mettre fin à ces pratiques inacceptables et mettre fin aussi au côté obscur de la « Françafrique ».
RFI : Si vous voulez y mettre fin, cela signifie que ces pratiques continuent toujours ?
R.B. : Non, franchement non.
RFI : Michel de Bonnecorse, un ancien conseiller Afrique de Jacques Chirac, affirme que le système a également profité à Nicolas Sarkozy ?
R.B. : C’est moi qui ai vu le président, à l’époque ministre candidat, lorsqu’il y a eu le clash entre Dominique de Villepin et moi en septembre 2005. Je suis allé le voir et lui ai dit « voilà ce qui vient de se passer entre Dominique de Villepin et moi ». Il m’a répondu « ils t’ont humilié comme ils l’ont fait avec moi mais rassure-toi, nous les aurons. J’ai besoin de ton expertise, de ta grande connaissance de l’Afrique et des Africains, mais j’ai une chose à te dire - puisque je lui avais parlé d’argent -, ces pratiques-là, je ne les veux pas ». Et quand monsieur de Bonnecorse raconte ce qu’il raconte, j’ai envie de rire.
RFI : Comment se fait-il que Nicolas Sarkozy pouvait se passer de cette manne ?
R.B. : Il y avait le financement par l’Etat des campagnes présidentielles, l’UMP [Union pour un mouvement populaire] était riche. Ils avaient des fonds, c’était le premier parti de France. Je vous assure qu’en 2005, c’est exactement ce que m’a dit le ministre candidat à la présidence : « Je ne veux pas de ces pratiques, Robert ».
RFI : Et il n’y en a pas eu pour 2007 ?
R.B. : Michel de Bonnecorse raconte des histoires. Comment moi qui travaille dans le secret absolu, vous pensez que moi si j’avais fait quelque chose, Michel de Bonnecorse l’aurait su ? Mais quand j’étais avec Jacques Chirac à la mairie de Paris, seul avec lui, ou avec Dominique de Villepin, vous pensez que Bonnecorse était au courant ? Vous plaisantez ?
RFI : Jacques Chirac et Dominique de Villepin annoncent déposer plainte pour diffamation…
R.B. : Mais je m’en réjouis ! Jacques Chirac souffre d’anosognosie pour les emplois fictifs, mais il retrouve toute sa lucidité pour cette affaire. Mais je m’en réjouis et j’attends Dominique de Villepin de pied ferme. Mais alors de pied ferme ! Vous avez entendu la déclaration du numéro deux de Laurent Gbagbo, [président déchu de Côte d’Ivoire, NDLR].
RFI : Par ailleurs, au Burkina Faso, en Guinée équatoriale…
R.B. : Peu importe, madame.
RFI : Le fait de nier ne remet en rien…
R.B. : Absolument pas. Aujourd’hui, je dis ce que tous les journalistes souhaitaient que je dise depuis un quart de siècle.
RFI : Vous le dites aujourd’hui, dans un contexte pré électoral, dans un contexte où vous ciblez deux personnalités clairement, Messieurs Jacques Chirac et Dominique de Villepin. C’est vrai que tout le monde se dit "il y a de la manipulation politique derrière".
R.B. : Lorsque j’ai fait cette interview, personne n’était au courant et lorsque Laurent Valdiguié du Journal du Dimanche est venu me voir, il ne savait même pas ce que j’allais dire. Je l’ai décidé. Deux, il n’y a aucun lien avec la campagne présidentielle qui s’annonce, il n’y a aucun lien avec l’affaire Clearstream, rien du tout. Il n’y a aucun choix de calendrier.
RFI : Quelles sont vos véritables intentions en choisissant de faire de telles révélations maintenant ?
R.B. : Je veux une France propre. Je veux une relation avec l'Afrique assainie, dans le droit fil de ce que le président de la République a décidé : la rupture. Il y a une certaine forme de rupture, c’est-à-dire le soutien à des chefs d’Etat qui sont des potentats, et qui sont rejetés par leur peuple, qui n'applique aucune des règles de la démocratie. Je veux aider le président dans sa politique de rupture. Ce n'est pas l'homme à encourager les chefs d'État qui restent 30, 35 ans, 40 ans au pouvoir, comme ceux d’ailleurs qui viennent de démentir Robert Bourgi : Blaise Compaoré au Burkina Faso, 30 ans de pouvoir Vous savez très bien que les mains sont loin d’être propres ! Obiang Nguema en Guinée équatoriale 35 ou 40 ans de pouvoir... Abdoulaye Wade au Sénégal qui a 87 ans et qui se dit assez jeune pour postuler un autre mandat de 7 ans ? Je dis stop ! Et vous savez ce que je retiens dans tout cela, tous les dons d'Omar Bongo du Gabon, de Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville, d’Obiang Nguema, de Wade, tous les démentis importent peu. Le plus important, dans le contexte des relations épouvantables qu’avait la Côte d’Ivoire avec notre pays, c’est que Laurent Gbagbo confirme ce qu’a dit Robert Bourgi.
RFI : Ce n’est pas Laurent Gbagbo qui confirme...
R.B. : C’est le numéro deux, Mamadou Koulibaly, qui a assisté lui aussi à la livraison, préparation du colis (rires).
RFI : Combien ?
R.B. : Trois millions de dollars. Je l’ai dit et ça a été confirmé par Mamadou Koulibaly. C’est ça qu’il faut retenir et le fait que le Gabon n’ait pas démenti. Toute la classe journalistique sait que ce que je dis est la réalité. Pourquoi parlez-vous de la « Françafrique » ? Pourquoi parlez-vous de Robert Bourgi ? J’ai assisté Jacques Foccart dans cette partie que je qualifie de côté obscur de la « Françafrique », je l’ai assisté jusqu’à son départ en 1997. Et quand il est parti, de 1997 à 2005, j’ai géré moi-même ce côté obscur de la « Françafrique ». Et bien Robert Bourgi a servi sur le plateau à l’opinion publique française, à la classe politique française, ce que tous les journalistes cherchent à savoir depuis 25 ans.
RFI : Robert Bourgi, vous êtes donc un repenti ?
R.B. : Je suis un repenti, oui. Je bats ma coulpe. Je veux des relations entre la France et l’Afrique assainies et aider le président de la République dans sa volonté de rompre avec la politique du passé.
RFI : Que promettez la France à tous ces chefs d’Etat en échange de tout cet argent ?
R.B. : Mensonges, mensonges, mensonges, promesses non tenues, promesses non tenues... C’est-à-dire que la France fermait les yeux sur certaines dérives du pouvoir en Afrique. Aujourd’hui le président Nicolas Sarkozy, aidé du ministre des Affaires étrangères Alain Juppé avec lequel je n’ai pas que des relations exquises mais je dois rendre hommage à Alain Juppé, veulent aujourd’hui des régimes sains, acceptés par le peuple. Vous savez très bien quelle est la position de notre pays vis-à-vis du Burkina Faso. Blaise Compaoré est tenté par un cinquième ou sixième mandat. On lui a fait comprendre qu’il était temps de penser à partir. Pareil pour la Guinée équatoriale, pareil pour d’autres pays. Le président Sarkozy veut assainir, renforcé par un poids lourd qui est Alain Juppé, et je l’aide en faisant ce que j’ai fait aujourd’hui. Je veux l’aider parce que le président Sarkozy, vous imaginez bien que je le vois assez régulièrement, me demandait « qu’est-ce que tu penses de tel pays ? ». Je lui disais « Ca fait trop longtemps que le président est en place. On ne peut pas accepter cela. S’il y a eu un «printemps arabe», il va y avoir un «printemps africain». Ça va être redoutable ». « Qu’est-ce que tu penses du Sénégal ? ». Je lui ai donné ma façon de penser. « Qu’est-ce que tu penses du Burkina Faso ? ». Je lui ai dit ce que je pensais du Burkina. J’ai parlé avec le président de la République il y a quatre jours.
RFI : Vous lui avez parlé de ce projet de tout balancer ?
R.B. : Non, pas du tout.
RFI : Comment faut-il vous présenter ? Vous êtes le conseiller Afrique du président de la République ?
R.B. : Je ne suis ni le conseiller officiel, ni le conseiller officieux. Je m’honore de l’amitié du président de la République. Je m’honore de l’amitié et de la confiance de Claude Guéant, ministre de l’Intérieur. Je m’honore de l’amitié et de la confiance de François Fillon, Premier ministre, et d’autres membres du gouvernement. Je ne suis conseiller ni officiel, ni officieux.
RFI : Mais un homme influent ?
R.B. : Je me rappelle une phrase de mon maître, Jacques Foccart. Il m’avait pris de côté et m’avait dit : « Robert, il faut mieux être un homme d’influence qu’un homme de pouvoir ». Il avait raison. Et vous avez raison, je suis peut-être un homme d’influence. Je sais que le président Nicolas Sarkozy, ainsi qu’Alain Juppé, seront intraitables quel que soit le chef de l’Etat africain s’il y a atteinte aux règles de la démocratie et au bon fonctionnement de l’Etat. Ils seront intraitables.
RFI : Robert Bourgi, je vous remercie
R.B. : Merci de m'avoir interviewé.
( RFI )