Réflexions sur la fiscalité et les prix de l'énergie au sénégal


Depuis plusieurs années, la question du prix des hydrocarbures constitue un sujet de passion au Sénégal, où ils sont restés à des niveaux plus élevés que dans les autres pays de la sous-région. En effet, le carburant est vendu nettement moins cher dans les pays limitrophes, dont le Mali, qui s’approvisionne essentiellement à Dakar depuis l'éclatement de la crise poste électorale en Côte d'ivoire. Sur l'année 2011, en moyenne, le prix du litre d’essence se chiffrait à 828 FCFA au Sénégal, contre 618 francs au Burkina Faso et 581 francs au Mali. Dans un contexte de grèves récurrentes, cette situation amène à revisiter la fiscalité sur l'énergie au Sénégal, censée, selon nombre de spécialistes, expliquer cet état de fait.

A la suite de l'adoption de la loi N°94-63 du 22 août 1994 instituant la libéralisation et la concurrence au Sénégal, l'orientation des prix résulte essentiellement de l'offre et de la demande. Sur cette base, faute d'une offre locale suffisante, l'inflation des biens de consommation courante est déterminée notamment par la répercussion des prix internationaux (inflation importée). Mais, en l'absence d'un mécanisme de contrôle des prix et d'une atomicité du marché, cette répercussion est souvent opérée avec des abus préjudiciables au pouvoir d'achat. Par ailleurs, les taxes sur l'énergie sont parmi les plus importantes dans l'UEMOA, en dépit des dispositions communautaires. Outre les exonérations, cette situation est liée à une plus forte absence d'équité fiscale imputable à la concentration des recettes budgétaires sur un nombre réduit de produits et secteurs. En particulier, le Sénégal se caractérise par une fiscalité sur les produits pétroliers qui obéit à la seule efficacité dans la collecte des ressources, reléguant au second plan la rationalité économique et sociale. En effet, à la fiscalité commune aux pays de l’UEMOA (TVA à l’importation, droits de douane, TVA intérieure et taxe spécifique), l’Etat sénégalais a ajouté sur les hydrocarbures trois autres taxes (prélèvement au titre du Fonds de sécurisation des importations de produits pétroliers, droit SENELEC et les moins-values). En 2011, les autorités ont défini une nouvelle taxe spécifique sur les produits pétroliers noirs, afin de mobiliser plus de 8 milliards de FCFA destinés au plan Takkal. Ces ponctions cumulées ont représenté plus de 60% du prix des hydrocarbures à la pompe, contre 40% au Mali. Sous l'effet de la hausse des cours mondiaux de l'énergie, ces prélèvements ont représenté, en moyenne, 18% des recettes fiscales sur la période 2000-2005 et 34,5% sur les cinq années suivantes. Le mécanisme est tel que le Gouvernement semble trouver un intérêt à une progression des cours, qui est de nature à agrandir, à due proportion, l'assiette fiscale sur les hydrocarbures et induire une hausse subséquente des recettes Selon la Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE), les recettes totales tirées du pétrole atteindraient 221,1 milliards de FCFA en 2011, sur une projection de 231,7 milliards pour l’année 2012. Le niveau structurellement élevé des prix témoigne également de la corruption endémique et des nombreuses commissions qui caractérisent la filière au Sénégal, les coûts et charges afférents à ces pratiques étant, in fine, supportés par le consommateur.

Depuis le 15 septembre 2001, tous les prix sont ajustés selon un fréquence de quatre semaines sur la base des évolutions enregistrées sur les cours mondiaux. La taxe de stabilisation est remplacée par une taxe spécifique sur les produits pétroliers fixée annuellement en francs par hectolitre ou par tonne, selon les produits. En 2010, sur chaque litre d'essence super vendu, l'Etat a perçu 25 FCFA et 207 francs, rien qu'au titre des droits de porte et de la taxe spécifique respectivement.

Outre le coût pour le consommateur sénégalais, les différentes taxes obèrent la compétitivité des industriels et agriculteurs sénégalais. Elles sont également une source de manque-à-gagner pour les transporteurs, qui constatent une désaffection des taxis, liée à la montée des prix. De surcroît, ces taxes annihilent totalement les effets de la subvention sur certains produits comme le gaz butane ou le pétrole lampant. La cherté du combustible n'est, en aucun cas, compatible avec les exigences d'augmentation de l'offre de produits agricoles, qui semblent être, depuis trois ans, au cœur des préoccupations de l'Etat. Dans le sous-secteur de l'électricité, les ménages s'acquittent d'une TVA de 18%, de redevances et des taxes au titre des droits de porte et des contributions spécifiques. Par ailleurs, selon l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), le Sénégal importe plus de produits raffinés que de brut. A l'analyse, cette démarche rend l'incidence de la volatilité des cours moins importante que l'augmentation des prix liée au raffinage. En d'autres termes, les autorités gagneraient à inverser cette tendance, en mettant à profit les capacités domestiques de raffinage, afin des réaliser de substantielles économies.

Au demeurant, du fait de la difficulté pour l'Etat de mener une politique efficace des prix, sous l'effet de la prééminence des marchés, les sénégalais demeurent confrontés structurellement à la baisse de leur pouvoir d'achat. Cette situation est largement amplifiée par la fiscalité sur l'énergie, qui affecte quasiment toutes les autres branches de la consommation incompressible. De ce point de vue, le Gouvernement doit faire preuve de responsabilité, en se gardant d'aggraver le phénomène par des taxes inopportunes et socialement couteuses. Durant les nombreuses discussions qui ont donné lieu à une décision de diminuer les prix, aucun des facteurs à l'origine de leur flambée n'a fait l'objet d'ajustement ni de la part du gouvernement, ni des commerçants. Autrement dit, l'Etat n'a consenti aucune baisse de la fiscalité, tandis que les vendeurs n'ont pas souhaité renoncer à une partie de leurs marges. Dans ce contexte, les mesures ont souvent été sans effet pour les consommateurs.

Ces facteurs expliquent largement le niveau plus élevé des prix au Sénégal que dans la majorité des autres pays de la sous-région, où les Gouvernements n'ont pas osé aller aussi loin dans les taxes. Ces prélèvements sont d'autant plus inacceptables que les emplois y relatifs sont notamment constitués de dépenses de prestige sans rapport avec les exigences de croissance économique et d'équité sociale. Si la dynamique de construction d'infrastructures est salutaire, des interrogations légitimes demeurent sur la pertinence de mobiliser des recettes fiscales, empreintes de douleur pour le contribuable, pour le financement de pèlerinages, d'achats d'avions, d'écuries de lutte et d'autres mesures discrétionnaires. Malgré l'importance des recettes engrangées, la gestion imprudente des finances publiques a donné lieu à un déficit budgétaire de plus de 7%% du PIB en 2011, largement au dessus des critères de convergence de l'UEMOA (3%). Cette situation financière délicate rend plus difficile l'application d'aides, de nouvelles subventions ou d'autres mécanismes de soutien.

Au total, les analyses disponibles laissent apparaître qu'au dela de la volatilité des cours internationaux du brut, la fiscalité sénégalaise constitue le facteur determinant de l'écart des prix à la pompe entre le Sénégal et ses voisins. Dans les mesures que proposerait l'Etat pour juguler ce phénomène, il n'est pas opportun, pour les professionnels des transports ni pour les usagers, de se contenter d'une simple révision dictée par la conjoncture et la séquence du moment. La situation du secteur exige plutôt une concertation impliquant tous les acteurs de la filière autour d'un débat de fond sur la structure des prix et des mécanismes d'amortissement des chocs. A cet égard, les réflexions préliminaires convergent pour suggérer la mise en place d'un fonds de stabilisation et de péréquation des hydrocarbures. Ce dispositif serait complété par la définition d'un statut fiscal durable au secteur informel et par série de mesures novatrices pour alléger les taxes sur l'énergie, tout en neutralisant les effets sur les finances publiques. En tout état de cause, l'efficacité et la pérennité des solutions préconisées restent tributaires d'une plus grande équité définie dans la transparence et la gouvernance partagée.

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Jeudi 26 Janvier 2012