Dans son excellent film, Le nom des gens, Michel Leclerc met en scène l’histoire drôle d’une pétillante jeune fille anarchiste des temps modernes, Bahia Benmahmoud (Sarah Forestier). Elle entretient des rapports sexuels avec des hommes de droite pour en faire des gens de gauche. Elle réussissait très bien son coup plus par un physique généreux que par un réel talent politique. De toute façon, pour elle, droite et fascisme étaient des synonymes ; ce qui laisse le spectateur averti du niveau de sa conscience politique.
Néanmoins, son attirance, son innocence et son espièglerie en faisaient un personnage attachant et convainquant. Elle sera conquise à la fin par le charme de la maturité d’un jospiniste (il en reste, en effet), Arthur Martin, rôle incarné par Jacques Gamblin.
Et si la gauche sénégalaise devenait Bahia Benmahmoud? Et si elle se donnait avec volupté à tous les leaders politiques pour les rallier à sa cause ?
J’avoue, je rêve éveillé. Bien dommage. L’onirisme n’est plus permis lorsqu’on jette un regard clinique sur ce « grand cadavre à la renverse » qu’est devenue la gauche sénégalaise.
Elle reste décidément ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : un conglomérat de porteurs d’eau. Des supplétifs d’une armée mexicaine servant de complément impératif à l’assouvissement de destins présidentiels. Quelle belle tâche !
En football, on appelle cela un joueur de devoir. Le prototype du sportif qui ne fera jamais la Une de l’Equipe en dépit de son grand talent. Souvent, c’est un milieu défensif (un numéro 6 dans le jargon footballistique) à la Jeremy Toulalan, généreux à la tâche, toujours prêt à aller au charbon, discret hors des terrains et exempt de frasques dans les boites de nuit.
Au Sénégal, ils se nomment Abdoulaye Bathily, Momar Samb, Amath Dansokho, Pape Demba Sy, Moustapha Fall « Che »…
Ces hommes sont dotés de qualités intellectuelles exceptionnelles ; surtout à l’heure où faire des phrases correctes est devenu un supplice chez beaucoup de politiciens. Ils font preuve d’une probité morale exemplaire. Leur degré de patriotisme dépasse de loin la moyenne dans un pays où la course effrénée vers des sinécures est devenue le sport national favori. Je suis convaincu que ces hommes sont honnêtes pour les avoir côtoyés durant un moment. Je peux témoigner de leur amour pour le Sénégal et de leur grand dessein pour l’Afrique.
La seule tare qu’on pourrait convoquer en parlant de nos braves joueurs de devoir, c’est l’absence de clairvoyance et de réalisme dans la mise en œuvre de leur ambition politique.
Dans un pays où des millions de citoyens survivent dans le dénuement le plus absolu, le réel enjoint d’identifier ses carences, de prendre conscience de ses forces et d’analyser ce besoin de gauche qui s’exprime à travers les chaumières de nos villages et les toitures de nos villas citadines.
La gauche est forte de son histoire, de ses mobilisations historiques et de son ancienne prégnance sur la jeunesse d’avant-garde. Celle de 1968 et une grande partie de celle de 1988. Ces pages doivent être soigneusement gardées ouvertes dans notre roman national.
L’épisode révolutionnaire de Mai 68 à Dakar et l’alternance démocratique de 2000 en sont des preuves éclatantes.
Néanmoins, elle est faible de sa division en multiples morceaux. Elle paye au prix fort cette division souvent déterminée par des facteurs exogènes ou des querelles de personnes.
Elle paye également son incapacité à se réformer, à se remettre en question et à changer de logiciel de déclinaison de ses ambitions. Elle souffre de l’absence de bouffée d’air frais que pourrait constituer un renouveau dans ses sphères de décision.
Depuis 50 ans, elle n’a pas fait « l’analyse concrète de la situation », comme le suggérait Lénine, pour tirer les leçons de ses scores de plus en plus ridicules. 2012 se chargera de faire son aggiornamento ou de la faire disparaître pour de bon du paysage politique et social. En effet, il est légitime de douter qu’elle sorte indemne de la situation de déliquescence dans laquelle elle se meut. Il manque à la gauche sénégalaise un Mitterrand du congrès d’Epinay.
La gauche a du mal, c’est un euphémisme. Elle fait mal. Seulement à ceux qui y croient encore. Pour ma génération, elle est une notion abstraite, occidentale voire carrément vintage.
En effet, j’ai lu récemment un billet d’une jeune militante libérale qui traitait ce courant politique d’associations de « petits partis. » Je fus révolté. Car au delà du qualificatif désobligeant, j’ai perçu l’immense indigence politique qui gagne les jeunesses des partis. Le déficit de formation sur la belle histoire politique du Sénégal est criant. Qui lit aujourd’hui Cheikh Anta Diop, Majmouth Diop, Mamadou Dia ? Qui sait ce que représentent Lamine Senghor, Charles Gueye, Alla Kane, Moctar Diack, Sémou Pathé Gueye ? Qui magnifie le sacrifice que ces hommes ont consenti pour que le Sénégal ne soit jamais spolié de sa dignité et de sa liberté ? Certains au péril de leur vie (Omar Blondin Diop).
Réduire Ibrahima Sène au grand talent de sa fille est d’une bêtise innommable.
Voilà une preuve manifeste de l’absence d’une gauche forte qui a toujours fait de l’éducation la matrice de son action. De ses entrailles, sont nés de brillants intellectuels qui font encore aujourd’hui la fierté de nos universités.
La gauche sénégalaise est malade. Mon ami le politiste Yoro Dia me dit un jour que la cause est la suivante : soit, son discours ne parvient pas à toucher les masses ; soit, il est mal dit. Je pense également qu’elle n’a pas su gérer au mieux ses participations à différents gouvernements. Elle fut longtemps tiraillée entre sa pureté idéologique et ses petits calculs d’épicier. Elle a fini par choisir son camp. Même Decroix s’est renié. Landing Savané lui a emboité le pas.
Comme quoi, les deux « amis » sont condamnés à flirter. Pour le meilleur et surtout pour le pire.
Quand l’horizon indépassable de ce grand courant historique devient l’embarras du choix entre le social-libéralisme de type blairiste, le libéralisme social (dont on se demande bien le contenu) ou le libéralisme assumé à la prochaine présidentielle, cela devient triste.
Alors, le Grand Soir sera le jour de l’auto-dissolution de ces organisations patriotiques. La danse du scalp sera exécutée. Clap. Générique. Lumière. Circulez, plus rien à voir.
Quand on a plus rien à dire et à proposer. Quand le yobaléma devient un projet de société, alors mieux vaut se faire Hara Kiri. Au moins, on se prémuni d’une mort ridicule.
Daniel Bensaïd, ancien accoucheur d’idées de la Ligue Communiste Révolutionnaire, mort il y a deux ans, eut un jour une belle formule: « Il faut lutter pour s’épargner la honte de n’avoir pas essayé. »
Bahia Benmahmoud est tombée, les armes - certes non conventionnelles - à la main, dans les bras d’Arthur. Elle a néanmoins accompli le vœu de Bensaïd. Elle a essayé et a souvent réussi.
Hamidou ANNE
ENA-Paris
Néanmoins, son attirance, son innocence et son espièglerie en faisaient un personnage attachant et convainquant. Elle sera conquise à la fin par le charme de la maturité d’un jospiniste (il en reste, en effet), Arthur Martin, rôle incarné par Jacques Gamblin.
Et si la gauche sénégalaise devenait Bahia Benmahmoud? Et si elle se donnait avec volupté à tous les leaders politiques pour les rallier à sa cause ?
J’avoue, je rêve éveillé. Bien dommage. L’onirisme n’est plus permis lorsqu’on jette un regard clinique sur ce « grand cadavre à la renverse » qu’est devenue la gauche sénégalaise.
Elle reste décidément ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : un conglomérat de porteurs d’eau. Des supplétifs d’une armée mexicaine servant de complément impératif à l’assouvissement de destins présidentiels. Quelle belle tâche !
En football, on appelle cela un joueur de devoir. Le prototype du sportif qui ne fera jamais la Une de l’Equipe en dépit de son grand talent. Souvent, c’est un milieu défensif (un numéro 6 dans le jargon footballistique) à la Jeremy Toulalan, généreux à la tâche, toujours prêt à aller au charbon, discret hors des terrains et exempt de frasques dans les boites de nuit.
Au Sénégal, ils se nomment Abdoulaye Bathily, Momar Samb, Amath Dansokho, Pape Demba Sy, Moustapha Fall « Che »…
Ces hommes sont dotés de qualités intellectuelles exceptionnelles ; surtout à l’heure où faire des phrases correctes est devenu un supplice chez beaucoup de politiciens. Ils font preuve d’une probité morale exemplaire. Leur degré de patriotisme dépasse de loin la moyenne dans un pays où la course effrénée vers des sinécures est devenue le sport national favori. Je suis convaincu que ces hommes sont honnêtes pour les avoir côtoyés durant un moment. Je peux témoigner de leur amour pour le Sénégal et de leur grand dessein pour l’Afrique.
La seule tare qu’on pourrait convoquer en parlant de nos braves joueurs de devoir, c’est l’absence de clairvoyance et de réalisme dans la mise en œuvre de leur ambition politique.
Dans un pays où des millions de citoyens survivent dans le dénuement le plus absolu, le réel enjoint d’identifier ses carences, de prendre conscience de ses forces et d’analyser ce besoin de gauche qui s’exprime à travers les chaumières de nos villages et les toitures de nos villas citadines.
La gauche est forte de son histoire, de ses mobilisations historiques et de son ancienne prégnance sur la jeunesse d’avant-garde. Celle de 1968 et une grande partie de celle de 1988. Ces pages doivent être soigneusement gardées ouvertes dans notre roman national.
L’épisode révolutionnaire de Mai 68 à Dakar et l’alternance démocratique de 2000 en sont des preuves éclatantes.
Néanmoins, elle est faible de sa division en multiples morceaux. Elle paye au prix fort cette division souvent déterminée par des facteurs exogènes ou des querelles de personnes.
Elle paye également son incapacité à se réformer, à se remettre en question et à changer de logiciel de déclinaison de ses ambitions. Elle souffre de l’absence de bouffée d’air frais que pourrait constituer un renouveau dans ses sphères de décision.
Depuis 50 ans, elle n’a pas fait « l’analyse concrète de la situation », comme le suggérait Lénine, pour tirer les leçons de ses scores de plus en plus ridicules. 2012 se chargera de faire son aggiornamento ou de la faire disparaître pour de bon du paysage politique et social. En effet, il est légitime de douter qu’elle sorte indemne de la situation de déliquescence dans laquelle elle se meut. Il manque à la gauche sénégalaise un Mitterrand du congrès d’Epinay.
La gauche a du mal, c’est un euphémisme. Elle fait mal. Seulement à ceux qui y croient encore. Pour ma génération, elle est une notion abstraite, occidentale voire carrément vintage.
En effet, j’ai lu récemment un billet d’une jeune militante libérale qui traitait ce courant politique d’associations de « petits partis. » Je fus révolté. Car au delà du qualificatif désobligeant, j’ai perçu l’immense indigence politique qui gagne les jeunesses des partis. Le déficit de formation sur la belle histoire politique du Sénégal est criant. Qui lit aujourd’hui Cheikh Anta Diop, Majmouth Diop, Mamadou Dia ? Qui sait ce que représentent Lamine Senghor, Charles Gueye, Alla Kane, Moctar Diack, Sémou Pathé Gueye ? Qui magnifie le sacrifice que ces hommes ont consenti pour que le Sénégal ne soit jamais spolié de sa dignité et de sa liberté ? Certains au péril de leur vie (Omar Blondin Diop).
Réduire Ibrahima Sène au grand talent de sa fille est d’une bêtise innommable.
Voilà une preuve manifeste de l’absence d’une gauche forte qui a toujours fait de l’éducation la matrice de son action. De ses entrailles, sont nés de brillants intellectuels qui font encore aujourd’hui la fierté de nos universités.
La gauche sénégalaise est malade. Mon ami le politiste Yoro Dia me dit un jour que la cause est la suivante : soit, son discours ne parvient pas à toucher les masses ; soit, il est mal dit. Je pense également qu’elle n’a pas su gérer au mieux ses participations à différents gouvernements. Elle fut longtemps tiraillée entre sa pureté idéologique et ses petits calculs d’épicier. Elle a fini par choisir son camp. Même Decroix s’est renié. Landing Savané lui a emboité le pas.
Comme quoi, les deux « amis » sont condamnés à flirter. Pour le meilleur et surtout pour le pire.
Quand l’horizon indépassable de ce grand courant historique devient l’embarras du choix entre le social-libéralisme de type blairiste, le libéralisme social (dont on se demande bien le contenu) ou le libéralisme assumé à la prochaine présidentielle, cela devient triste.
Alors, le Grand Soir sera le jour de l’auto-dissolution de ces organisations patriotiques. La danse du scalp sera exécutée. Clap. Générique. Lumière. Circulez, plus rien à voir.
Quand on a plus rien à dire et à proposer. Quand le yobaléma devient un projet de société, alors mieux vaut se faire Hara Kiri. Au moins, on se prémuni d’une mort ridicule.
Daniel Bensaïd, ancien accoucheur d’idées de la Ligue Communiste Révolutionnaire, mort il y a deux ans, eut un jour une belle formule: « Il faut lutter pour s’épargner la honte de n’avoir pas essayé. »
Bahia Benmahmoud est tombée, les armes - certes non conventionnelles - à la main, dans les bras d’Arthur. Elle a néanmoins accompli le vœu de Bensaïd. Elle a essayé et a souvent réussi.
Hamidou ANNE
ENA-Paris