Quatre dossiers chauds pour le sommet de l’Union africaine


La 26e réunion annuelle de l’Union africaine s’est ouverte mercredi à Addis-Abeba sur fond de crises politiques et de morosité économique avec le retournement des marchés de matières premières. Avant l’arrivée des chefs d’Etat et de gouvernement africains, attendus dans la capitale éthiopienne les 30 et 31 janvier pour leur Assemblée générale, les ministres des affaires étrangères ont commencé à débattre des dossiers chauds qui agitent le continent.

Lors de cette grand-messe, le Zimbabwéen Robert Mugabe passera le flambeau de la présidence de l’UA au Tchadien Idriss Déby Itno. En janvier 2015, la désignation à la tête de l’UA du doyen des présidents africains, presque 92 ans et trente-cinq ans de pouvoir, avait fait grincer des dents au sein de l’institution. « Tout le monde pensait que son mandat allait être une catastrophe pour l’UA, mais l’Afrique du Sud, représentée par la présidente de la Commission Nkosazana Dlamini-Zuma, a gardé le leadership, lâche un diplomate européen. Ses sorties publiques encombrantes n’ont finalement engagé que lui. »

L’entrée en scène du président tchadien sera observée de près alors que la question des droits de l’homme a été choisie comme thème principal de la réunion  d’Addis-Abeba. La situation au Burundi  devrait cependant occuper  une large part des discussions. Parfois accusée d’être un « syndicat de 54 chefs d’Etat », souvent considérée comme déconnectée de son peuple, l’Union africaine, créée en 2002 pour succéder  à l’Organisation de l’Union africaine (OUA), est très attendue sur ce dossier. Le sommet du Conseil de paix et sécurité, prévu vendredi 29, y sera entièrement consacré. « La qualité du leadership exercé par la Commission de l’UA est fortement dépendante de la marge de manœuvre que les Etats veulent bien lui accorder, analyse Yann Bedzigui, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) Africa. L’Union africaine essaie de passer  de la défense  de la souveraineté des Etats à la protection des droits des citoyens. A elle de transformer  l’essai. »​

Trouver une issue à la crise au Burundi
 
L’Union africaine est-t-elle en mesure d’aller à l’encontre de la volonté d’un chef d’Etat africain en déployant une force de maintien de la paix au Burundi ? La question est sur toutes les lèvres, alors que la situation sécuritaire ne cesse de se détériorer  dans ce petit pays d’Afrique  des Grands-Lacs.

Le 17 décembre 2015, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a voté le principe de l’envoi de la Mission africaine de prévention et de protection au Burundi, la Maprobu, composée de 5 000 hommes. Mais le président burundais Pierre Nkurunziza, dont l’annonce de la candidature à un troisième mandat en avril 2015 a précipité le pays dans une crise meurtrière, a immédiatement réagi en la qualifiant de « force d’invasion et d’occupation » et en se réservant le « droit d’agir en conséquence » en cas de déploiement militaire. Le chef d’Etat, réélu en juillet 2015, a réitéré son refus de toute ingérence internationale lors du passage à Bujumbura des ambassadeurs du Conseil de sécurité de l’ONU le 22 janvier.


Du côté du CPS, on continue d’espérer que le président burundais renoue le dialogue lors du sommet de l’UA. Un dialogue au point mort, tout comme la médiation ougandaise qui n’a porté aucun fruit. Et si M. Nkurunziza campe sur sa position ? « L’heure n’est pas aux spéculations », élude un membre du CPS.

L’UA est juridiquement en mesure d’intervenir au Burundi sans l’aval du président Pierre Nkurunziza, en vertu de l’article 4-h de l’Acte constitutif de l’UA, qui encadre légalement une telle intervention dans « certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité ». Un terme que les membres du CPS n’ont pas hésité à employer  en décembre 2015 en affirmant que « l’Afrique ne permettra pas un autre génocide sur son sol ».

Une telle intervention serait une première pour l’organisation panafricaine. Mais encore faut-il que les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA confirment cette décision par un vote à la majorité des deux tiers lors de l’ Assemblée générale. « La question de la souveraineté reste vivace au sein de l’UA, explique Yann Bedzigui, chercheur à l’ISS Africa. Même si, sur le fond, bon nombre d’entre eux ne sont pas d’accord avec le président burundais, sur la forme, l’action de l’UA peut être perçue comme une forme d’ingérence. Certains peuvent craindre  [de créer]un tel précédent. »

La montée du terrorisme

Le terrorisme a sévèrement frappé le continent africain ces derniers mois et entaché le début de l’année 2016 avec les attaques de Ouagadougou le 15 janvier. Etat islamique, Al-Qaida  au Maghreb islamique (AQMI), Chabab en Somalie, la menace concerne tout le continent devenu « l’épicentre mondial du terrorisme », selon Cheikh Tidiane Gadio, le président de l’Institut panafricain de stratégie (IPS). En 2015, 4 523 attentats ont endeuillé 44 des 54 pays africains, selon ACLED (Armed Conflict Location and Event Data Project).

Le sujet sera au cœur des discussions du sommet des chefs d’Etat. En marge de celui-ci, le président tchadien Idriss Deby Itno devrait en outre convoquer  une réunion du G5 Sahel (M ali, Niger, Burkina Faso,Mauritanie, Tchad) pour réfléchir  aux moyens de coordonner  leurs actions et de mobiliser  les ressources pour lutter  plus efficacement contre le terrorisme.

La Somalie sera également à l’agenda après l’attaque d’un camp de la mission de l’UA en Somalie (Amisom) dans le sud du pays le 15 janvier, qui a causé la mort de militaires kényans et de soldats somaliens.

​L’impasse au Soudan du Sud

Les dirigeants de l’Union africaine vont-ils prendre  le dossier sud-soudanais à bras-le-corps ? C’est en tout cas ce qu’espère le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, qui a invité les pays de l’IGAD, l’organisation sous-régionale chargée de la médiation, et de l’Union africaine à « saisir l’occasion du prochain sommet de l’UA pour traiter cette impasse politique  ».

Les négociations pour former  un gouvernement d’union nationale ont une nouvelle fois échoué dans le plus jeune Etat du monde. La décision du président Salva Kiir de redécouper le territoire en portant le nombre de régions à 28 au lieu de 10 a irrité le camp rebelle. Lors d’une conférence de presse dans sa résidence d’Addis-Abeba, dimanche 24 janvier, leur leader, l’ancien vice-président Riek Machar, a fait savoir  que cette mesure unilatérale compromettait l’application de l’accord de paix signé le 26 août 2015. Actuellement à Kampala, il a affirmé qu’il souhaitait que l’Ouganda  joue un rôle accru dans les pourparlers de paix.

Tedros Adhanom, ministre des affaires étrangères de l’Ethiopie, pays hôte des pourparlers de paix, a fait savoir qu’il souhaitait convoquer une nouvelle réunion de l’IGAD en marge du sommet. Le vote de sanctions à l’encontre des belligérants est toujours évoqué.

Droits de l’homme et Constitutions bafouées

Cette année, le 26e sommet de l’UA est placé sous le signe des droits de l’homme avec une attention particulière portée aux droits des femmes, qui est une priorité de la présidente de la Commission de l’UA, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma. Mais le directeur régional d’Amnesty International  pour l’Afrique de l’Ouest, Alioune Tine se fait peu d’illusion : « Le paradigme sécuritaire est une brèche dans laquelle de nombreux présidents africains vont s’infiltrer pour brimer  les libertés fondamentales, analyse-t-il. En invoquant la nécessité d’une union sacrée contre l’ennemi extérieur, ils détournent l’attention et évitent d’évoquer les dérives internes. »

Parmi celles-ci, selon Alioune Tine, les modifications de la Constitution pour se faire  réélire, comme c’est le cas au Congo-Brazzaville  et au Rwanda. « Nous avons un leadership défaillant sur le continent en matière de droits humains, de gouvernance  et de démocratie, regrette-il. Vouloir rester  président à vie et instrumentaliser la Constitution participent à la déstabilisation de nos pays. » L’Union africaine a toujours été discrète sur la longévité au pouvoir. Son président sortant, le Zimbabwéen Robert Mugabe, cumule à lui seul six mandats. Son successeur, est au pouvoir depuis vingt-cinq ans et devrait présenter  sa candidature à l’élection présidentielle d’avril.

« L’UA joue sa crédibilité en plaçant le curseur sur les droits de l’homme, conclut Alioune Tine. Une première avancée serait peut-être la levée de l’immunité des présidents en exercice. Les chefs d’Etat soupçonnés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité doivent répondre  de leurs actes et ne plus être protégés par l’organisation panafricaine. »

Emeline Wuilbercq
Contributrice Le Monde Afrique, Addis-Abeba

 

Mercredi 27 Janvier 2016
Mountaga CISSE