Proposition d'article sur la réciprocité des visas et le contrôle des flux migratoires au Sénégal.


Plaidoyer pour la maîtrise des flux migratoires au Sénégal

Entre les dividendes des capitalistes du tourisme et les intérêts de l’Etat sénégalais, nous préférons ces derniers.  Ainsi nous soutenons vigoureusement la mesure visant à appliquer  la réciprocité des visas, à compter du 1er juillet 2013. Mais la réciprocité des visas ne permet pas à elle seule de maîtriser les flux migratoires dans notre pays. Il faut instaurer un titre de séjour pour les étrangers vivant au Sénégal.

 La réciprocité des visas est un facteur d’équilibre dans les relations internationales.

Il est scandaleux de voir des corporations de professionnels du tourisme remettre en cause la réciprocité des visas, dans le seul but de défendre leur gâteau, au détriment de l’intérêt national. Exiger un visa aux étrangers qui veulent visiter notre pays est une nécessité régalienne. Au-delà des recettes que cela peut légitiment générer pour l’Etat, c’est un outil pour peser dans les relations internationales, maîtriser les entrées et la sécurité dans notre pays.  C’est aussi un outil pour faire respecter les ressortissants sénégalais vivant à l’étranger.

Si les émigrés gabonais sont respectés en Europe c’est justement grâce à la politique de réciprocité qui fut menée par feu Oumar BONGO. C’est ce qui explique en partie le traitement de faveur accordé aux étudiants et émigrés gabonais en France. Au temps de BONGO-Père, les pays européens ne s’aventuraient pas à expulser arbitrairement des ressortissants gabonais.  D’ailleurs, ce fut une pratique chez nos Modou-Modou vivant en Espagne, en Italie et en France, de décliner une fausse identité gabonaise pour échapper  à une procédure d’expulsion vers le Sénégal.

Il existe une grande communauté sénégalaise vivant dans les pays ciblés par la mesure, tels que la France, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, l’Allemagne, les Etats-Unis, la Mauritanie, et la Gambie. Il est tout à fait normal d’exiger un visa d’entrée aux ressortissants de ces pays qui exigent la même chose aux sénégalais. C’est légitime, c’est légal et c’est opportun.

Non au chantage et à la braderie de notre souveraineté

Il faut combattre avec la plus grande fermeté les tractations des corporations touristiques qui essayent de monnayer une portion de notre souveraineté contre une chimérique croissance du tourisme au Sénégal (Ou plus exactement contre la croissance des chiffres d’affaires des grands groupes hôteliers et des  Tour-opérateurs qui, par ailleurs, appartiennent à des étrangers). Il n’est pas démontré que l’ouverture généralisée de nos frontières aurait un impact positif sur les chiffres du tourisme. Le touriste ne va pas visiter un pays du seul fait que celui-ci n’exige pas de visa. Le touriste fait son choix en fonction de ses propres attentes : passer de bonnes vacances en paix et en sécurité ; faire un périple de découvertes exotiques, visiter des sites culturels et historiques, savourer de belles plages, etc. Si le Sénégal répond à ces attentes, le touriste viendra, même s’il doit débourser 200 euros pour des frais de visa. Si le Sénégal n’offre pas ces attentes, le touriste ne viendra pas, même si le Sénégal ne lui exige pas de visa et lui offrait en prime 200 euros pour l’inciter à venir.

Les pays européens contrôlent strictement leurs frontières, ce qui n’a aucun impact défavorable sur la progression des activités touristiques. La France délivre au compte-gouttes des visas et pourtant la Tour Eiffel et le musée du Louvre ne désemplissent pas.  

Ceux qui s’activent, pour que le Sénégal n’exige pas de visas aux touristes européens, promeuvent la perpétuation du  « viol » de notre souveraineté, en contrepartie de la manne financière qu’ils attendent du tourisme.  Cela s’apparente à une nouvelle forme de proxénétisme, sauf qu’ici, on ne vend pas le corps d’une personne, mais l’âme d’une nation.  

Des professionnels du tourisme ont brandi des sommes fantaisistes, qui constitueraient un manque à gagner si la mesure est appliquée. Ils affirment la perte du tiers des flux touristiques au Sénégal, d’une centaine de milliards de recettes et de 2000 emplois dans le secteur. Ces prévisions sont aléatoires parce qu’elles ne peuvent pas prédéterminer le comportement futur des touristes. Elles sonnent l’intox dans la mesure où l’étude dont elles découlent ne présente aucune garantie de neutralité. Elles sont destinées à apeurer les esprits ; à manipuler les employés du secteur en les incitant à faire des actions pour contester la mesure. Ces derniers, de bonne foi, auront la crainte légitime de perdre leurs emplois,  alors qu’ils ont des familles à nourrir. Ils seront ainsi les fantassins des querelles d’intérêts que mèneront les capitalistes du tourisme. Des professionnels peu vertueux, qui fermeront leur auberges, hôtels ou restaurants, pourraient invoquer  la responsabilité de la réciprocité des visas pour tricher ou se dédouaner.

L’Etat sénégalais doit être prudent, et tenir à l’œil ces professionnels qui seraient tentés de manipuler les chiffres du tourisme vers le bas, ou d’orchestrer des licenciements économiques frauduleux pour se donner raison et obliger l’Etat à revenir sur sa décision.

En même temps, l’Etat doit reprendre en main l’encadrement du business touristique, avec une agence dédiée qui a pour charge d’initier des actions pour booster le secteur : consolider la stabilité sociale, mener des actions marketing à l’international, créer des zones franches touristiques, faire des exonérations fiscales pour certains investissements touristiques, et développer le tourisme local.

A ce sujet, un certain Youssou NDOUR avait flairé dans une de ses chansons, la nécessité de développer le tourisme intérieur pour ne pas dépendre uniquement de l’extérieur. Il avait vu juste. Aujourd’hui ministre du tourisme, nous l’invitions à prendre son bâton de pèlerin pour promouvoir le tourisme sénégalo-sénégalais.  

Les européens doivent respecter nos lois

A part quelques énergumènes, le touriste n’aura pas de problème avec l’exigence d’un visa pour visiter le Sénégal. Car, quand il va dans d’autres pays d’Asie ou d’Amérique, il n’éprouve aucun mal à subir toutes les formalités requises. Pourquoi ça devrait l’importuner pour l’Afrique ? Si cela arrive, c’est parce qu’il ne respecte pas l’africain, qui ne se respecte pas non plus.

Ce serait paradoxal que les européens soient offusqués par la prise de données biométriques et  l’exigence de moyens de subsistance pour obtenir un visa pour le Sénégal. Parce que dans leur quasi-totalité, ils approuvent les mesures restreignant l’accès à leurs territoires. Ce serait  vraiment injuste, et ça sentirait des relents de colonialisme et une nostalgie de l’époque esclavagiste. Penseraient-ils que nos Etats sont toujours des terres vacantes, sans maîtres ?

Nous respectons le droit des autres pays de contrôler farouchement l’accès à leur territoire. Parallèlement, les étrangers ont le devoir de respecter nos lois. Un sénégalais qui parvient, après d’énormes difficultés, à obtenir un visa pour la France ou un autre pays européen, n’est pas pour autant assuré de sortir de l’aéroport une fois arrivé à destination. Son visa peut être remis en cause par la police aux frontières et il peut être immédiatement placé en ZAPI (Zone d’attente pour personnes en Instance d’éloignement), et ensuite détenu dans un centre de rétention administrative pour être jugé et expulser. C’est dur, mais nous respectons cela, car c’est un droit souverain des pays européens  de contrôler leurs frontières. Une directive européenne a été adoptée en ce sens pour organiser l’expulsion des étrangers sans visa ou titre de séjour. Mieux, les pays européens ont étendu le contrôle de leurs frontières jusqu’à nos pays, avec le dispositif du FRONTEX (Agence chargée de la sécurité des frontières extérieures de l’Union européenne).  Ils doivent alors respecter l’affirmation de NOTRE pouvoir étatique sur NOTRE territoire.

Il faut aller plus loin et instaurer un titre de séjour pour les étrangers vivant au Sénégal

Il ne faut toutefois pas se limiter à contrôler l’accès à nos frontières. Il faut en plus, et surtout, encadrer le séjour des étrangers dans notre pays. Le droit d’entrée et de circulation n’englobe pas un droit systématique d’établissement, même pour les ressortissants de la CEDEAO. Or des milliers d’étrangers s’établissent chez nous sans aucun titre de séjour. Ils ressortent et reviennent quand ils veulent. Ce qui rend impossible la maîtrise des flux migratoires, de l’emploi, de la fiscalité et de la sécurité des biens et des personnes. Nous avons une police aux frontières et une police des étrangers efficaces, à qui il faut donner les moyens juridiques et matériels pour accomplir leurs missions. La mise en place d’un véritable titre de séjour pour raisons professionnelles, familiales, ou pour les études est nécessaire à la réalisation des prévisions et programmes économiques et sociales de l’Etat.

Quand on voit la configuration actuelle de certains quartiers ou métiers à Dakar, on constate un laisser-aller dont profite des étrangers. Sur les routes, et même sur l’autoroute à péage, on peut dénombrer des centaines de jeunes guinéens fraîchement 
débarqués, sans aucun titre, qui vendent aux automobilistes des gadgets, biscuits et fruits. Dans pratiquement chaque coin de rue de Dakar, on peut voir une boutique tenue par des guinéens. Si ce monopole de fait a de graves conséquences pour notre économie, c’est plus leur immigration massive non contrôlée qui nous interpelle. Très fréquemment, aux marchés de Castors, de Thiaroye et de « Syndicat » à Pikine, on voit décharger des camions venant de Guinée ou du sud du Sénégal, pour moitié remplis de fruits et légumes, pour moitié d’immigrés guinéens. Il est temps d’organiser toutes les immigrations au Sénégal, en renforçant le contrôle de nos frontières et en instaurant un titre de séjour pour les étrangers qui souhaitent séjourner longuement chez nous.

Cette politique de rigueur sera décriée et taxée à tort de rétorsion, de nationalisme ou  de xénophobie par des étrangers qui n’y trouvent pas leur intérêt, et par des partisans d’extrême gauche qui plaident anarchiquement la suppression des frontières entre les Etats.  

Mais leur idéologie restera pour toujours un mirage, car tous les pays exercent leur souveraineté sur leurs territoires, de même que toute maison à une porte, à commencer par les leurs.

 

Aliou TALL
Président du RADUCC (Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen)
Paris – Dakar.
Lundi 10 Juin 2013
Daddy Diop