Premières sorties diplomatiques de Diomaye : L’analyse froide de Bakary Sambe, Directeur du Timbuktu Institute

Le Directeur régional du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies est largement revenu sur les questions d’actualité politiques notamment, les deux premières visites du chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye en Mauritanie et en Gambie.

Deux pays ciblés par le président nouvellement élu, au lendemain de son installation. Mais selon le directeur de Timbuktu Institute, ce sont des options stratégiques et pertinentes. En effet, Timbuktu Institute est un think tank africain leader sur les questions de paix, de sécurité et de diplomatie publique et préventive accompagnant les gouvernements et les organisations internationales dans la conception et la mise en œuvre de stratégies dans le domaine de la sécurité, de la stabilisation et de la résolution de conflit. Son bureau régional est basé à Dakar avec des antennes à Bamako et Niamey.

Dans ses observations, Bakary Sambe nous explique la pertinence des deux premiers déplacements de Bassirou Diomaye Faye.


Pourquoi la première visite en Mauritanie ?
 
Le choix de la Mauritanie pour une première sortie à l’international du Président Bassirou Diomaye Faye peut se passer de toute explication car « logique et diplomatiquement pertinente. » Vous savez, s’agissant des relations sénégalo-mauritaniennes, certains diplomates parlent souvent d’un même peuple dans deux États frères. Ces relations qui sont, tout d’abord, humaines plongent leurs racines dans l’histoire profonde commune avant même l’existence internationale des deux pays. Il est historiquement établi que le Trarza, mais aussi, le Guidimakha, entre autres, ont constitué un continuum socioculturel et humain à l’origine de brassages et d’infinies interactions expliquant mieux que tout autre facteur, la nature durable des rapports entre le Sénégal et la Mauritanie. Les relations diplomatiques se sont sans cesse renforcées et ont connu un regain d’intensification avec les récentes découvertes d’hydrocarbures qui instaurent de fait une autre communauté de destin en plus des rapports historiques dans un contexte géopolitique complexe et une reconfiguration des relations et des rapports internationaux. L’actuelle présidence mauritanienne de l’Union africaine faisant suite à celle des Comores après celle du Sénégal devra, d’ailleurs, s’inscrire dans cette même lignée d’une meilleure affirmation de la place d’une Afrique changeant de statut dans un contexte inédit où le basculement géopolitique de notre continent vers quelque bloc que ce soit pourrait durablement impacter les rapports de force au niveau international. L’arrivée à la tête du Sénégal d’un Président appartenant à une nouvelle génération consciente de la nécessité d’un meilleur positionnement panafricain coïncidant avec la présidence mauritanienne de l’Union africaine, devrait aider à réaffirmer ce besoin de synergie dans la défense des intérêts économiques et géostratégiques du continent. Le Président Ghazouani qui était d’ailleurs parmi les chefs d’États présents lors de l’investiture de Bassirou Diomaye Faye n’est pas sans une grande conscience de cette nécessité historique d’un shift panafricain n'excluant pas l’ouverture au monde, mais profondément enraciné dans la défense des intérêts du continent.
 
Quels enjeux, politiques, sécuritaires et économiques ? 
 
Il est clair qu’on ne peut occulter le caractère stratégique d’une telle visite dans un contexte sahélien et ouest-africain en profonde mutation et faisant face aux plus grands défis sécuritaires avec la menace terroriste qui ne connaît plus de frontières. Il y a, aussi, la reconfiguration des alliances au niveau sous-régionale et le nouveau rôle qui se dessine pour le Sénégal de renforcer tout en consolidant et au besoin, faisant évoluer l’intégration sous-régionale et africaine. La coopération sécuritaire entre les deux pays qui s’est même décentralisée avec l’implication des administrations territoriales et locales devra être renforcée parce qu’il y va d’une forme de sécurité commune qui s’impose désormais aux deux pays. La stratégie d’insistance et de harcèlement de la part des groupes terroristes par défaut de possibilité d’ancrage logistique réel sur le territoire, les attaques mineures sporadiques depuis la Forêt de Wagadou à travers la région voisine de Kayes de même que les tentatives d’infiltration depuis la zone de Melga - commune de Djelegou, Cercle de Kayes- sur le continuum du Guidimakha liant la Mauritanie, le Sénégal et le Mali et menant vers Sélibabi et Bakel sont des signaux assez suffisants pour le renforcement voire l’intensification de la coopération sécuritaire. Sur ce plan, les deux pays sont appelés à échanger leurs bonnes pratiques avec l’expérience mauritanienne en matière de contre-terrorisme mais aussi celle sénégalaise dans la prévention jusqu’ici efficace et le renforcement de la résilience à travers une approche mixte intégrant les dimensions sécurité humaine par le désenclavement infrastructurel et la sécurisation des régions exposées de même que la pleine implication des communautés locales. En plus de la proximité socioculturelle, les deux pays ont tout à gagner dans une synergie renforcée en s’appuyant sur leurs leviers pertinents et surtout la mutualisation de leurs capacités.
 
Les deux chefs d'État semblent avoir longuement discuté du projet commun sur le gisement de gaz naturel Grand Tortue Ahmeyim (GTA), à leur frontière maritime, développé par le Britannique BP avec l'Américain Kosmos Energy, la Société mauritanienne des hydrocarbures (SMH) et la société publique sénégalaise Petrosen. Rien que ce projet structurant de coopération économique illustre parfaitement la nature hyper-stratégique de la relation entre les deux pays. Cette visite a été d’un enjeu fondamental et un choix pertinent dans le contexte actuel, mais la coopération mériterait d’être creusée et poursuivie avec une plus grande approche prospective constante. La stratégie apaisante adoptée dans la gestion commune du bloc Grande Tortue Ahmeyim, a été la moins conflictuelle, conforme à la nature de nos relations et garante de stabilité permettant, ainsi, une exploitation sereine et durable de la ressource par les deux pays concernés. Notre pays semble bien s’être bien préparé avec tous les dispositifs mis en place dans cette perspective. C’est pourquoi, le Sénégal pourrait s’inscrire dans une double stratégie de co-efficacité et de coopération renforcée avec la Mauritanie dans le cadre de la mutualisation des capacités, notamment en appuyant la formation des cadres et gestionnaires mauritaniens de la ressource gazière vitale pour nos deux pays avec les possibilités qu’offre l’Institut National du Pétrole et du Gaz (INPG). Il serait même possible d’envisager une facilitation d’accès à l’INPG aux privés mauritaniens dans leur diversité comme aux cadres du secteur public de ce pays ami. Il y a, en plus, un véritable socle à cette coopération scientifique avec une longue tradition d’échanges universitaires perpétuée par des générations de hauts cadres mauritaniens qui ont été formés au Sénégal y compris parmi le leadership politique et économique actuel.
 
 
Ces deux premières visites peuvent-elles expliquer la rupture de la Françafrique? 
 
Les propos du président Bassirou Diomaye Faye sont sans aucune ambiguïté quand il rappelle : « Nous avons la chance d’accéder au pouvoir avec un projet panafricain qui renforce la solidarité et la politique entre les pays africains. Cette solidarité renouvelée et renforcée a permis aux sénégalais de nous faire confiance pour nous confier les rênes du pouvoir ». Mais, tout de même, la tradition diplomatique du Sénégal a toujours insisté sur le bon voisinage et les efforts de réalisation de l’intégration et de l’Unité africaine. D’ailleurs l’intitulé du nouveau Ministère de l’intégration africaine et des Affaires étrangères, est on ne peut plus éloquent, pour illustrer ce choix renforcé par les nouvelles autorités. C’est une feuille de route en soi. De ce fait, on voit bien où se situent les priorités. Le choix de la Mauritanie est aussi logique que celui porté sur la Gambie au cœur de notre profondeur stratégique et avec lequel nous avons l’une des plus longues frontières sans compter le niveau de brassage culturel, linguistique qui se greffe à l’importance capitale de ce pays pour une sortie définitive de crise en Casamance. Nos gouvernements respectifs sont conscients de la dimension qui a toujours guidé cette coopération. D’ailleurs, il a été convenu, dans le communiqué final, conformément à la tradition diplomatique, que les chefs d’État se consultent régulièrement sur les questions d’intérêt mutuel et même de tenir la prochaine session du Conseil Présidentiel Sénégalo-Gambien à Dakar, en République du Sénégal, « à des dates qui seront fixées ultérieurement ».
 
Quels sont les enjeux de la visite du Président en Gambie ?
 
Les enjeux de cette visite en Gambie sont clairs. Il y a d’abord la réaffirmation sans ambages de la part des nouvelles autorités de l’intangibilité de la nature et de la teneur de cette relation cruciale aussi bien pour la sécurité nationale que pour le co-développement qui ont toujours structuré et caractérisé l’axe Banjul-Dakar. Aussi, bien que répondant aux attentes de la Gambie sur la continuité, l’ambiance et les discours qui ont marqué cette visite semblent refléter cette spécificité et surtout rappeler les constantes. Dans une démarche d’analyse discursive, lorsque le président sénégalais, dans son adresse, insiste sur une « fraternité » personnelle au-delà des rapports institutionnels et diplomatiques, ce n’est pas seulement pour « casser » consciemment les codes et les rigueurs du protocole comme cela se voit dans son nouveau style, c’est surtout, pour le Président Faye, de réaffirmer le caractère naturel, continu et irréversible d’une relation qui défiera toujours le temps et, avec lui, les régimes passants. Mais dans l’ensemble, cette visite qui a donné des gages au niveau diplomatique et semble s’inscrire dans une dynamique de consolidation des acquis, a été l’opportunité d’une pprise de contact déterminante mais annonçant, aussi, de belles perspectives de coopération.
 
Quels sont les secteurs sur lesquels les deux chefs d’État doivent travailler pour fructifier leur coopération ?
 
Dans le cadre d’une recherche inédite de terrain en Gambie bientôt publiée, le Timbuktu Institute a pu, en synergie avec des chercheurs gambiens, documenter l’intérêt pour les deux pays à renforcer leur coopération sécuritaire surtout dans le cadre de la prévention et de la mise en perspective d’une réelle politique de partenariat pour faire face aux défis transfrontaliers dans le contexte sous-régional actuel. Bien que devant toujours être consolidées, les bases de la relation entre la Gambie et le Sénégal sont durablement posées depuis l’accession à l’indépendance. Elles l’étaient déjà au point de vue politique et diplomatique,o mais les opportunités semblent se multiplier avec les infrastructures routières facilitant davantage les échanges économiques par la mobilité humaine à la faveur du pont et s’adossant sur des accords multiples et variés. L’environnement sécuritaire s’étant largement amélioré comparée d’avec la situation d’il y a dix ans avec la stabilisation du conflit en Casamance, d’immenses champs de possibilités s’ouvrent au niveau économique qui profiteront aussi bien à notre continuité territoriale qu’à l’essor d’une économie gambienne grandement liée à ses échanges avec le Sénégal. Cela est aussi bien valable pour la relance de l’économie maritime que pour l’agriculture et les investissements. D’ailleurs, à l’occasion du prochain sommet de l’Organisation de la Coopération Islamique qui se tiendra en République sœur de Gambie, des acteurs sénégalo-gambiens co-organisent un forum sur l’investissement ; ce qui traduit davantage le caractère incorporé de la nature des relations au niveau même de nos populations respectives. Les autorités politiques devraient, d’ailleurs, saisir cette chance qu’offre le secteur le privé à la diplomatie économique. De toute manière, l’invitation officielle à ce Sommet crucial réitérée par le Président Adama Barrow déjà acceptée, lors de cette visite, par le Président Bassirou Diomaye Faye, montre entre autres actes diplomatiques posés, qu’il y a une profonde conscience des défis communs et une volonté conjointement renouvelée de faire de l’axe Banjul-Dakar un modèle vivant de coopération et d’intégration régionale.
Lundi 22 Avril 2024
Dakaractu




Dans la même rubrique :