Pourquoi le privilège de juridiction des Ministres doit cesser avec la fin de leur mandat : Une approche idéologique pour justifier la compétence de la CREI


L'immunité juridictionnelle dont se prévalent des Ministres comme Karim Wade mis en cause dans l'affaire des biens mal acquis est un avatar du passé qui doit être réformé. Pourquoi ?
 
L'irresponsabilité des Présidents s'est longtemps fondée sur une fiction juridique résumée par la célèbre formule "The King can not do Wrong" (le Roi ne peut mal faire) qui s'appliquait au monarque britannique. Quoiqu'il arrive, on ne pouvait le mettre en cause, ses Ministres assumant progressivement la responsabilité de ses actes. Cette fiction a pour l'essentiel été étendue à tous les chefs d'Etat, qu'ils soient ou non Monarques. La France puis le Sénégal colonisé ont intégré cette idée dans leur droit positif.
 
 
Les Ministres en ont, par la force des choses, également profité.
 
Mais, alors qu'en France par exemple la jurisprudence et des discussions et des travaux de réformes successifs ont entraîné l'émiettement de l'irresponsabilité pénale des fonctionnaires, agents publics ou des membres du gouvernement (dont certains ont été mis en cause par les tribunaux répressifs ordinaires dans des affaires retentissantes) dans nos Républiques africaines bananières, nous pouvons dire avec Benjamin Constant que "les Ministres sont souvent dénoncés, accusés quelques fois, condamnés rarement et presque jamais punis".
 
Il faut que cela change.
 
Le Sénégal depuis des années, et hormis la parenthèse Wade, s'est engagé dans un mouvement de construction d'un État de droit. Or la base d'un État de droit est le respect par l'Etat des règles de droit. Par les vertus exemplaires qu'ils doivent démontrer, le Président et ses Ministres ne peuvent déroger à cette règle.
 
Le fondement de toute république est l'égalité devant la loi. C'est pourquoi nous croyons que, légitimement, la protection ou le privilège qui sied aux fonctions ministérielles, compréhensibles le temps de l'exercice du mandat, doit cesser avec celui-ci.
 
C'est pourquoi nous pensons qu'au-delà des textes qui datent et qui peuvent être mal rédigés et mal interprétés, il est essentiel, en l'absence de précédents au Sénégal (c'est bien la première fois qu'une opération de réédition des comptes de la Nation d'une telle ampleur a cours) que les juges chargés de trancher le litige opposant Karim Wade et ses amis à l'Etat du Sénégal le fassent en gardant à l'esprit qu'ils doivent appliquer la Loi, et l'esprit de la loi en tant qu'expression de la volonté populaire et non seulement le texte de la Loi. Volonté populaire exprimée lors des dernières élections et allant dans le sens de la traque et de la sanction des biens mal acquis. Peu importe l'absence de clarté des textes de loi. La volonté populaire s'est clairement exprimée sur cette question. Et les juges devront s'y conformer s'ils veulent entrer dans l'histoire par la grande porte.
 
Les juges sénégalais devront donc innover et faire jurisprudence pour replacer le Sénégal dans la locomotive de tête des Nations démocratiques en Afrique et dans le Monde. Un pays où gouvernance rimera avec transparence pour le bien de tout un peuple et non d'un clan.
 
Tout çà pour dire que, sur un plan philosophique, sur le plan de la morale, le privilège de juridiction date d'une époque révolue : celle des Rois. Nous vivons en République maintenant.
 
Karim Wade est donc justiciable des tribunaux répressifs ordinaires.
 
IBRAHIMA NDIAYE
 
Mouvement pour le Socialisme et la République
Mercredi 6 Aout 2014
Macdush D