A l’image de beaucoup de sénégalais, j’ai nourri les fantasmes les plus obscurs à l’endroit d’Ousmane Tanor Dieng. Comme j’en ai consommé d’autres à l’égard de feu Jean Collin, benoîtement d’ailleurs, sans aucune vérification des faits allégués. L’un comme l’autre ont été nichés au cœur du système. Ils en ont assuré le fonctionnement. Ils ont aussi bravé les attaques et les vociférations de la meute, sans broncher ni faiblir, sans trahir le moindre secret d’Etat. En comparaison de la curatelle que nous a servie l’Alternance, nous ne pouvons que les respecter. Ousmane Tanor Dieng ferait, assurément, un bon Président de la République. Il en a l’étoffe ; il dispose d’un appareil déjà rompu à cet exercice.
Seulement, dans les conditions actuelles de notre évolution politique, où s’impose avec force la référence au 19 mars 2000, Moustapha Niasse nous semble le mieux placé pour incarner les aspirations de progrès et de changement du peuple sénégalais. Bien entendu, cette analyse ne reposera pas que sur des arguments ad hominem. Elle essaiera le plus possible de prendre en compte les déterminants sociaux, politiques et économiques qui fondent une élection, présidentielle de surcroît.
Les sénégalais ne regrettent pas l’Alternance
A défaut d’avoir des sondages d’opinion fiables, une tendance assez solide s’impose : les sénégalais jugent très positivement l’Alternance de mars 2000 en tant qu’évènement politique majeur ; en tant que manifestation souveraine du peuple qui a mis à terre un système UPS/PS à bout de souffle qui avait fini par se scléroser. Malheureusement pour Tanor, il apparaît, à tort, comme le seul héritier, donc l’unique responsable d’un système dont les « barons » sont soit hors-course, soit complètement recyclés par le pouvoir en place. Les socialistes nous ont légués un Etat de droit dans le sens où l’entendait Raymond Aron, c’est-à-dire « apaisé à l’intérieur et respecté à l’extérieur ». Mais dans le même temps leur gestion s’est soldée par une indigence infrastructurelle très perceptible et difficilement acceptable. De la sorte, il n’est pas surprenant d’entendre le citoyen lambda dire que le « Vieux a travaillé » ; qu’il a construit des routes, des ponts, des écoles, des universités et un nouvel aéroport. Même s’ils sont de plus en plus nombreux à s’offusquer du versant assombri de ces réalisations : la gabegie institutionnalisée, les scandales financiers à répétition, l’enrichissement rapide et sans cause de chômeurs invétérés ou mieux, de garçons de course sans foi ni loi. Bref, s’il y a beaucoup à redire sur la mise en œuvre de cette victoire historique du peuple, les sénégalais ne regrettent pas l’Alternance comme marqueur important de leur trajectoire historique. Or, la candidature de Tanor, pour légitime qu’elle soit, serait en butte contre cet état de fait. Elle donnerait l’impression d’un retour à l’ordre ancien que les sénégalais n’ont pas forcément envie de vivre. De plus, le camp d’en-face a déjà éprouvé sa redoutable machine de propagande qui consiste à opposer, du point de vue des infrastructures, la décennie de l’Alternance aux quarante années de règne socialiste. La méthode est certes perfide. Elle ne prend pas en compte tous les torts que les Libéraux ont causés à ce pays. Mais elle reste efficace dans un pays où la majorité, à l’image de Saint Thomas, « ne croit que ce qu’il voit ».
Dans ces conditions précises, la meilleure arme serait de « vendre » à nos concitoyens la réappropriation de l’Alternance par ceux qui en furent les véritables inspirateurs. En jargon marxiste-léniniste, l’on parlerait de « rectification » de ce qui pourrait être une révolution. Pour nous, l’Alternance en était une. Mais elle a été confisquée par un clan, aux fins d’enrichissement sans cause et de satisfaction d’un besoin irrépressible de gloire personnelle, d’entrer dans l’Histoire, quel qu’en soit le prix. Cette Alternance réclame justice. Et Moustapha Niasse nous semble le mieux disposé à sa réhabilitation.
Niasse candidat de la réhabilitation de l’Alternance
En plus de sa qualité d’acteur majeur de cet évènement, Moustapha Niasse était en quelque sorte sa caution en termes de culture étatique. Directeur de Cabinet de Senghor, deux fois Premier Ministre, diplomate chevronné et apprécié, il était, de loin, celui qui jouissait la plus grande expérience en matière gouvernementale. Loin devant Abdoulaye Wade dont les deux piges comme Ministre d’Etat sans portefeuille, dans des cabinets socialistes, n’ont pas été très concluantes. Pour preuve, le sémillant opposant s’est révélé un piètre gouvernant et mieux, les choses ont commencé à dévisser avec la défénestration de Niasse de l’appareil d’Etat. La banalisation des institutions, la bamboula dans nos représentations diplomatiques, la liquéfaction des symboles et rituels républicains sont autant de tares dont on aurait pu se passer si de véritables hommes d’Etat se trouvaient encore à la tête de ce pays.
Si l’on reconnaît que la déconstruction de l’Etat et l’ « informalisation » de notre pays en tant que sujet de droit international sont des faits tangibles, il serait urgent d’y apporter les correctifs nécessaires. Abdoulaye Wade confiait il y a peu à un journal étranger qu’il s’était séparé de Moustapha Niasse parce que ce dernier disait à des autorités ivoiriennes qu’il (Wade) est un pyromane et que lui (Niasse) était souvent amené à jouer les pompiers. L’argument peut paraître farfelu, mais il dénote l’état de tension que le Pape du Sopi a introduit dans nos relations intérieures comme extérieures. Il ne se passe pas un seul jour sans qu’une communauté ne soit opposée à une autre. Les chrétiens font l’objet d’attaques répétées et totalement injustifiées. Les communautés villageoises sont exposées à la voracité d’intérêts privés aux contours mafieux. La violence politique et sociale a atteint un seuil tel que les plus optimistes prédisent des lendemains funestes pour notre pays. Un pays devenu méconnaissable parce que tous les secteurs sont corrompus par l’argent que le Président distribue à tort et à travers. Le Palais de la République est devenu un gigantesque spectacle dans lequel un « roi » de près de 90 ans s’amuse. Le Conseil des Ministres s’est transformé en un médiocre « One man show » digne du Théâtre du Rond-Point, dans lequel des béni-oui-oui boivent sans réserve les anecdotes douteuses d’un Maître ès-digressions. Cette pâle figure est malheureusement celle qu’affiche notre pays naguère cité en modèle.
En fin de compte, l’Alternance a été une chance historique pour le peuple sénégalais mais elle a été dévoyée par la mégalomanie d’un sinistre individu, doublé d’un aventurier à l’ego démesuré. Si Ousmane Tanor Dieng a fini de convaincre sur son humilité, sa constance et ses grandes qualités d’homme d’Etat, Niasse est à l’heure actuelle le mieux placé pour incarner une candidature de l’unité et du rassemblement. Les socialistes ne le verront peut-être pas de cet œil. Parce qu’en toute objectivité, ils disposent d’un appareil politique plus structuré et mieux préparé à l’exercice du pouvoir. Le reste est une affaire de patriotisme et de dépassement. C’est le moins que l’on attend d’eux
Samba Kandji
AFP, Rouen
Seulement, dans les conditions actuelles de notre évolution politique, où s’impose avec force la référence au 19 mars 2000, Moustapha Niasse nous semble le mieux placé pour incarner les aspirations de progrès et de changement du peuple sénégalais. Bien entendu, cette analyse ne reposera pas que sur des arguments ad hominem. Elle essaiera le plus possible de prendre en compte les déterminants sociaux, politiques et économiques qui fondent une élection, présidentielle de surcroît.
Les sénégalais ne regrettent pas l’Alternance
A défaut d’avoir des sondages d’opinion fiables, une tendance assez solide s’impose : les sénégalais jugent très positivement l’Alternance de mars 2000 en tant qu’évènement politique majeur ; en tant que manifestation souveraine du peuple qui a mis à terre un système UPS/PS à bout de souffle qui avait fini par se scléroser. Malheureusement pour Tanor, il apparaît, à tort, comme le seul héritier, donc l’unique responsable d’un système dont les « barons » sont soit hors-course, soit complètement recyclés par le pouvoir en place. Les socialistes nous ont légués un Etat de droit dans le sens où l’entendait Raymond Aron, c’est-à-dire « apaisé à l’intérieur et respecté à l’extérieur ». Mais dans le même temps leur gestion s’est soldée par une indigence infrastructurelle très perceptible et difficilement acceptable. De la sorte, il n’est pas surprenant d’entendre le citoyen lambda dire que le « Vieux a travaillé » ; qu’il a construit des routes, des ponts, des écoles, des universités et un nouvel aéroport. Même s’ils sont de plus en plus nombreux à s’offusquer du versant assombri de ces réalisations : la gabegie institutionnalisée, les scandales financiers à répétition, l’enrichissement rapide et sans cause de chômeurs invétérés ou mieux, de garçons de course sans foi ni loi. Bref, s’il y a beaucoup à redire sur la mise en œuvre de cette victoire historique du peuple, les sénégalais ne regrettent pas l’Alternance comme marqueur important de leur trajectoire historique. Or, la candidature de Tanor, pour légitime qu’elle soit, serait en butte contre cet état de fait. Elle donnerait l’impression d’un retour à l’ordre ancien que les sénégalais n’ont pas forcément envie de vivre. De plus, le camp d’en-face a déjà éprouvé sa redoutable machine de propagande qui consiste à opposer, du point de vue des infrastructures, la décennie de l’Alternance aux quarante années de règne socialiste. La méthode est certes perfide. Elle ne prend pas en compte tous les torts que les Libéraux ont causés à ce pays. Mais elle reste efficace dans un pays où la majorité, à l’image de Saint Thomas, « ne croit que ce qu’il voit ».
Dans ces conditions précises, la meilleure arme serait de « vendre » à nos concitoyens la réappropriation de l’Alternance par ceux qui en furent les véritables inspirateurs. En jargon marxiste-léniniste, l’on parlerait de « rectification » de ce qui pourrait être une révolution. Pour nous, l’Alternance en était une. Mais elle a été confisquée par un clan, aux fins d’enrichissement sans cause et de satisfaction d’un besoin irrépressible de gloire personnelle, d’entrer dans l’Histoire, quel qu’en soit le prix. Cette Alternance réclame justice. Et Moustapha Niasse nous semble le mieux disposé à sa réhabilitation.
Niasse candidat de la réhabilitation de l’Alternance
En plus de sa qualité d’acteur majeur de cet évènement, Moustapha Niasse était en quelque sorte sa caution en termes de culture étatique. Directeur de Cabinet de Senghor, deux fois Premier Ministre, diplomate chevronné et apprécié, il était, de loin, celui qui jouissait la plus grande expérience en matière gouvernementale. Loin devant Abdoulaye Wade dont les deux piges comme Ministre d’Etat sans portefeuille, dans des cabinets socialistes, n’ont pas été très concluantes. Pour preuve, le sémillant opposant s’est révélé un piètre gouvernant et mieux, les choses ont commencé à dévisser avec la défénestration de Niasse de l’appareil d’Etat. La banalisation des institutions, la bamboula dans nos représentations diplomatiques, la liquéfaction des symboles et rituels républicains sont autant de tares dont on aurait pu se passer si de véritables hommes d’Etat se trouvaient encore à la tête de ce pays.
Si l’on reconnaît que la déconstruction de l’Etat et l’ « informalisation » de notre pays en tant que sujet de droit international sont des faits tangibles, il serait urgent d’y apporter les correctifs nécessaires. Abdoulaye Wade confiait il y a peu à un journal étranger qu’il s’était séparé de Moustapha Niasse parce que ce dernier disait à des autorités ivoiriennes qu’il (Wade) est un pyromane et que lui (Niasse) était souvent amené à jouer les pompiers. L’argument peut paraître farfelu, mais il dénote l’état de tension que le Pape du Sopi a introduit dans nos relations intérieures comme extérieures. Il ne se passe pas un seul jour sans qu’une communauté ne soit opposée à une autre. Les chrétiens font l’objet d’attaques répétées et totalement injustifiées. Les communautés villageoises sont exposées à la voracité d’intérêts privés aux contours mafieux. La violence politique et sociale a atteint un seuil tel que les plus optimistes prédisent des lendemains funestes pour notre pays. Un pays devenu méconnaissable parce que tous les secteurs sont corrompus par l’argent que le Président distribue à tort et à travers. Le Palais de la République est devenu un gigantesque spectacle dans lequel un « roi » de près de 90 ans s’amuse. Le Conseil des Ministres s’est transformé en un médiocre « One man show » digne du Théâtre du Rond-Point, dans lequel des béni-oui-oui boivent sans réserve les anecdotes douteuses d’un Maître ès-digressions. Cette pâle figure est malheureusement celle qu’affiche notre pays naguère cité en modèle.
En fin de compte, l’Alternance a été une chance historique pour le peuple sénégalais mais elle a été dévoyée par la mégalomanie d’un sinistre individu, doublé d’un aventurier à l’ego démesuré. Si Ousmane Tanor Dieng a fini de convaincre sur son humilité, sa constance et ses grandes qualités d’homme d’Etat, Niasse est à l’heure actuelle le mieux placé pour incarner une candidature de l’unité et du rassemblement. Les socialistes ne le verront peut-être pas de cet œil. Parce qu’en toute objectivité, ils disposent d’un appareil politique plus structuré et mieux préparé à l’exercice du pouvoir. Le reste est une affaire de patriotisme et de dépassement. C’est le moins que l’on attend d’eux
Samba Kandji
AFP, Rouen