Perspectives électorales, affaire des milliards de Taïwan: Macky se salit avec Karim Wade


Macky Sall, le président de l’Alliance pour la République (Apr), devra lever l’équivoque concernant ses relations avec Karim Wade, mais aussi apporter suffisamment de lumière, autre que par le silence, sur l’origine des 7 milliards de Taïwan que le Président Wade lui avait demandé de redistribuer entre différents ministères, alors que M. Sall était Premier ministre. Sa crédibilité, en tant que postulant parmi d’autres à la présidence de la République, en dépend en partie. Qu’ils aient signé ou non la Charte de bonne gouvernance issue des Assises nationales, tous les candidats déclarés à la Présidentielle, hormis le camp du Président sortant, Ab­dou­laye Wade, promettent, dans leur discours et dans leur profession de foi, une gestion transparente des deniers publics. S’il en est ainsi, c’est parce que, sans doute, ils mesurent l’immensité de la dévastation du champ financier pendant les 11 ans du régime libéral.

Pendant qu’on est en cette période où le Sénégal s’achemine vers un rendez-vous électoral historique, il importe d’ores et déjà que l’opinion publique soit édifiée sur la sincérité des uns et des autres. Que toutes les équivoques soient levées afin que les Sénégalais sachent à quel saint ils doivent confier leur destin. Or, le dernier entretien que Macky Sall a accordé à nos confrères de l’hebdomadaire Jeune Afrique n’est pas un modèle de clarté, surtout dans la partie où il aborde ses futures relations avec Karim Wade. Si par rapport à Idrissa Seck, son ancien prédécesseur à la station primatorale, Macky Sall a été sans équivoque, il n’en est pas de même concernant Wade-fils. En effet, M. Sall considère clairement qu’entre lui et Idrissa Seck, les «parcours» et les «projets politiques» sont «différents», non sans nier au passage avoir tenu, en 2006, des propos accusant le président de Rewmi de corruption (c’était dans l’affaire des Chantiers de Thiès). Ce que, du reste, l’histoire confinée dans des documents écrits et la lecture du pré-rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige), semblent démentir.

Sur les relations entre lui et Karim Wade, Macky Sall, dans l’entretien, n’adopte point une position tranchée. Certes, il reconnaît l’inexistence de relations avec Wade-fils, qui était allé pourtant chez lui, à Fatick pour lui présenter ses condoléances. Quand cette visite a été déflorée par la presse, Macky Sall, lui-même, avait re­con­nu avoir échangé avec Karim Wa­de par téléphone. Il l’a trouvé «gentil», mais a conseillé, peut-être en ironisant, ce dernier de le prévenir, la prochaine fois. A nos confrères de Jeune Afrique, Macky Sall a indiqué clairement qu’il n’envisage pas de travailler pour Karim Wade. Par contre, - et c’est là une équivoque à même de nourrir des suspicions justifiées ou légitimes - le président de l’Apr, candidat déclaré à la Prési­dentielle de 2012, n’exclut pas de travailler avec Karim Wade «dans une équipe qu’(il) dirige». Or, les mémoires respectives des Sénégalais sont toujours habitées par les misères faites à Macky Sall alors président de l’Assemblée nationale, par Wade en chef, parce que M. Sall s’est autorisé l’audace de convoquer son fils devant la représentation parlementaire pour rendre compte de la gestion des milliards de l’Anoci. Jus­qu’à présent, il n’y a pas eu de réédition des comptes dans cette gestion.

Or, en 2009, dans un ouvrage ayant eu un écho retentissant et intitulé : Contes et mécomptes de l’A­noci», le journaliste-écrivain, Abdou Latif Coulibaly a largement mis en relief les scandales inouïs survenus dans l’Organisation du Sommet islamique à Dakar. Il a montré et démontré que l’Anoci «n’a pas dépensé 72 milliards de F Cfa pour réaliser les travaux nécessaires à l’accueil du sommet» à Dakar. Dans ses investigations, M. Coulibaly fait ressortir que «plus du double» a été englouti par l’Anoci. A titre illustratif, l’ouvrage en indiquait quelques mécomptes : «Pour équiper ses bureaux dans les trois étages de l’immeuble qui abrite le siège de l’Anoci, Karim Wade a dépensé plus d’un demi-milliard de F Cfa (750 millions de F Cfa)… Le président de la République a signé un décret de virements de crédits en juillet 2007, en faveur de l’Agence que dirige son fils, pour un montant de 26 milliards de F Cfa, pour la construction de villas jamais sorties de terre.» Comment donc, face à une telle gestion dont il s’était vu l’interdiction d’apporter toute lumière, Macky Sall peut même envisager de travailler avec Karim Wade, fût-il dans une équipe que lui-même dirige ? L’attitude qui n’aurait nourri aucune suspicion aurait été d’indiquer clairement que Karim Wade est disqualifié à travailler dans une équipe d’alternative pour n’avoir pas fait la transparence sur l’argent des contribuables sénégalais. C’est la position de principe qui postule que demain, il s’agira de rendre compte en la matière. Surtout que, dans les salons douillets de Dakar, il se murmure que le Président Wade pourrait ne pas se présenter pour un 3e mandat et coacher ainsi la candidature de son fils Karim en le dotant de gros moyens lui permettant, s’il n’est pas calife, d’être quand même faiseur de calife. Macky Sall, un plan B de Wade ?

7 MILLIARDS DE TAIWAN : LA NEBULEUSE REFAIT SURFACE
7 ans après. Voilà que l’affaire des 7 milliards de F Cfa de Taïwan reflue dans les mémoires, à la faveur de l’interpellation de Idrissa Seck, lui aussi candidat déclaré à la Présidentielle. Une opération politique contre son potentiel grand challenger en février 2012 ? C’est de bonne guerre ! Mais, sous n’importe quel prétexte, Macky Sall qui a fait du respect des institutions de la République son cheval de bataille, ne peut et ne doit se soustraire à l’exigence de clarification sur l’origine de ce pactole, des modalités de sa gestion après qu’il l’a distribué à des ministres, sur instruction du Président Wade. Jusque-là, seul le ministre Djibo Kâ, dans un entretien avec L’Observateur, a abordé le cas délicat pour soutenir qu’il a bien reçu plus de 400 millions, pour le compte du ministère qu’il gérait. Mais, ça, c’est un autre cas qui ne renseigne toujours pas sur ce qui en a été fait des sommes distribuées contre toute logique de gestion dans un Etat normé.
Il est important de revenir ici sur quelques péripéties de cette grosse nébuleuse sous l’Alternance. Qu’on se souvienne : en décembre 2004, l’hebdomadaire Le Témoin avait fait état d’une lettre que le Président Wade avait adressée à son homologie de Taïwan pour solliciter l’appui de son pays dans le cadre de la réalisation de projets sociaux au Sénégal. Dans cette affaire, s’invite l’homme d’affaires, ami des Wade, Pierre Aïm, porteur de la fameuse lettre à Taïwan. M. Aïm lui-même attestera de cette mission dans un entretien avec Le Témoin. L’homme d’affaires reconnaît avoir reçu, en contrepartie d’une décharge la somme de 7,5 milliards de F CFfa. Des révélations qui ont eu un écho dans la presse, à cette époque, indiquent que la somme a fait l’objet d’un virement dans le compte de Pierre Aïm-fils aux Etats-Unis avant d’être logée dans un compte à Chypre. Il y a été ouvert au nom de la société Fitem Entreprises Limited appartenant à Jérôme Go­dard, le «bourreau des Industries chimiques du Sénégal» (Ics). En décembre 2005, Oumar Sarr, porte-parole de Idrissa Seck, évoque des comptes bancaires en Chypre et à Ni­cosie. Panique au sommet de l’Etat ! Le 5 janvier 2006, un surprenant communiqué du Conseil des ministres est publié pour signifier que le chef de l’Etat «a informé le Conseil du don personnel de 14 millions de dollars, qu’il a reçu et qu’il a décidé de réinvestir dans les secteurs so­ciaux». A l’époque, Premier ministre, Macky Sall est chargé de faire la distribution de ces 7 milliards aux différents ministres. Aucune traçabilité de cette somme faramineuse dans les comptes du Trésor public et dans le budget 2007-2008 ! Cela n’a pas fait l’objet non plus d’aucune Loi de finances rectificative.

On ne comprendrait donc pas, face à de telles pratiques aux antipodes de la transparence en matière de gestion de l’argent public, que la seule réponse de Macky Sall soit le silence. On aurait compris son silence, si les 7 milliards en question provenaient des fonds politiques frappés du secret et insusceptibles de contrôle. Ce n’est pas toujours que «le silence est d’or, quand la parole est d’argent». En plus , si Macky Sall a gardé le silence sur cette affaire, ça ne fait pas clair que ce soit les gens du pouvoir, les alliés de Wade et autre souteneurs qui montent au créneau pour le défendre avec une vigueur suspecte. De quoi donc, apporter la lumière sur cette affaire et sur ses relations futures avec Karim Wade, afin que nul n’en ignore déjà.

( Le Quotidien )
Mercredi 7 Décembre 2011