Où va le Sénégal ? (Par Cheikh Yérim Seck)


DAKARACTU.COM  Les dés sont jetés. Le Conseil constitutionnel a rendu son arrêt et sa décision n’est plus susceptible d’aucun recours. Les « 5 sages », comme on les appelle, ont validé la candidature d‘Abdoulaye Wade et invalidé celles de Youssou Ndour et de Kéba Keinde en particulier. Cette décision est lourde de dangers et ouvre une page qui risque d’être d’une rare violence tant les acteurs politiques sont résolus d’un bord comme de l’autre à faire valoir leurs droits légitimes. Le projet du chef de l’Etat de se représenter contre vents et marées a pris forme il y a bien longtemps et s’est déroulé avec un implacable chronogramme. Le scénario tant dénoncé par le Mouvement des forces vives du 23 juin (M23) trouve son épilogue cette nuit du 29 au 30 janvier dans les faubourgs de Dakar, dans le quartier huppée des Almadies, écrit par une institution bunkérisée, cible des critiques les plus vives. Son président, le juge Cheikh Tidiane Diakhaté, ajoute une ligne à son histoire personnelle mouvementée. Déjà aux premiers jours de l’alternance, cet homme qui, des années durant, du temps du régime socialiste, s’était appliqué à traduire l’opposant Wade devant les tribunaux au nom du délirant principe de flagrant délit continu, s’était, selon des sources libérales proches du cénacle, rendu au palais de la République pour peut-être s’excuser de son attitude contre le nouveau maître de céans, et demander grâce. Le nouveau chef de l’Etat était sur le point de le mettre dehors avec pertes et fracas, lorsque son directeur de cabinet de l’époque, Idrissa Seck, lui proposa au contraire de le garder, lui disant en substance qu’ils auraient toujours besoin d’un tel homme à l’échine si souple. Il ne croyait pas si bien dire, tant aujourd’hui la suspicion pèse sur le président et les autres juges qui ont eu la maladresse d’accepter, à quelques jours de la délivrance de son épineuse et cruciale décision, une hausse salariale de 5 millions assortie d’un octroi de limousines de luxe.  
C’est toutefois la classe politique qui est responsable dans son ensemble de la situation délétère qui prévaut actuellement dans le pays. Elle a fait de la question de la candidature d’Abdoulaye Wade une question juridique. Et a fermé la porte à toute réponse politique, refusant tout dialogue… Les partisans de Wade ont fait de sa candidature un viatique à leur survie politique et financière, s’arcboutant sur elle comme s’il en allait de leur existence. Aucun argument politique ou patriotique n’est venu étayer leur argumentaire. Du côté de l’opposition, le départ de Wade devenait plus incantatoire et servait de programme politique à lui tout seul, sans proposition qui ouvrait des perspectives de dialogue constructif avec le pouvoir sur une nouvelle République. La société civile elle-même s’est fourvoyée, alignée qu’elle a été sur les lignes des partis politiques dont elle est venue renforcer les états-majors. L’affrontement devenait inévitable.
Aujourd’hui, le ton utilisé par les uns et les autres montre à l’envi que nous sommes au bord d’une crise qui risque de dépasser le seul cadre institutionnel pour envahir l’espace public et citoyen. Le Sénégal est un pays au bord de la crise de nerfs. Et les propos volent bas. On invoque des mots comme « haute trahison », comme « forfaiture », comme « coup d’Etat constitutionnel », qui peuvent mener loin certains responsables politiques comme de la société civile. Wade martèle qu’il ne tolérera aucune contestation de nature à troubler l’ordre public. A la suite de la décision définitive du Conseil constitutionnel, l’opposition exprime clairement sa volonté de s’opposer à la tenue d’élections avec Wade, mais aussi de récuser les juges du Conseil Constitutionnel, sous l’égide desquels elle ne se voit pas aller en compétition. Donc même cas de figure prévue : pas d’élection en février. Les Sénégalais sont pris en otage par leur classe politique. L’expression de leurs désirs de mieux-être est reportée aux calendes grecques, c’est-à-dire quand les politiques auront fini leurs propres réglages par rapport à leurs horloges biologiques respectives. Où va le Sénégal ? Dans le mur si on n’y prend garde,  et encore… nous y allons en klaxonnant. Car, comme le promet un leader comme Ousmane Tanor Dieng, « il faudra organiser, encadrer, et diriger cette résistance pour bloquer le pays ». Le pays comme ils disent est pris en otage. Nous sommes comme sur un radeau en perdition, attendant d’aller nous fracasser sur les rochers de leurs incompétences conjuguées qui nous ont menés dans une telle dérive. Et si la classe politique écoutait enfin son peuple auquel elle ne cesse de se référer pour lui arracher des suffrages dont elle ne respecte jamais l’expression. Plutôt que d’allumer un grand brasier dont les pyromanes vont se confondre avec les pompiers… de service.
Lundi 30 Janvier 2012