Nicholas Westcott, Directeur Afrique de l’Action extérieure de l’Union européenne : «Que tous les acteurs sénégalais respectent la Constitution»


De passage à Dakar la semaine dernière, le Directeur général pour l’Afrique du Service d’action extérieure de l’Union européenne a tenu à porter aux acteurs politiques de ce pays, le message d’appui de l’Europe pour des élections apaisées et transparentes. Il a insisté sur le respect par tous les acteurs, des dispositions de la Constitution et du calendrier électoral. En marge de sa visite, il a accordé un entretien conjoint au journal Le Quotidien et à la Radio France internationale (Rfi). Quel regard portez-vous sur la situation préélectorale du pays, où l’on constate une montée des tensions ?
J’ai parlé à toutes les parties concernées, l’opposition, le gouvernement, la société civile, le secteur privé… Evidemment, il y a certaines incertitudes, certaines préoccupations, mais il existe déjà des procédures entamées par le biais du comité de veille, d’un audit qui est réalisé sur le processus électoral. Ce qui montre qu’il est tout à fait possible de dépasser toutes ces inquiétudes avant l’élection, et il y a beaucoup d’avantages à le faire. Mais, il dépend des Sénégalais de clarifier la situation. Dans la mesure où ce serait utile que l’Union européenne accompagne ce processus, ou apporte un appui ; par exemple avec une assistance au processus électoral lui-même, ou par l’envoi d’une mission d’observation, nous sommes disposés à contribuer.

Quel sentiment avez-vous des tensions politiques qui montent au Sénégal ?
Nous avons suivi de très près les évènements du mois de juin, pour comprendre ce qui se passe. Nous avons vu que le gouvernement a répondu aux préoccupations qui ont été communiquées par les citoyens et la communauté internationale. Cela a été un bon signe qu’il est possible de répondre à ces préoccupations. Avec l’approche des élections de l’année prochaine, il est important de conserver le rythme normal du processus électoral, parce qu’ici au Sénégal, à ce jour, les élections se sont toujours tenues à des périodes régulières. Ce qui est une bonne chose car quand tout le monde sait à quel moment les élections auront lieu, les gens peuvent s’y préparer. Deuxièmement, il faut conserver un débat politique paisible. Les différences ne manquent pas entre les différents partis politiques, c’est normal. Il faut préserver la liberté d’expression, la responsabilité dans le débat politique, pour qu’il n’y ait pas une détérioration du climat politique. Et il ne faut certainement pas inciter à la violence, car cela ne sert à rien, selon mon expérience. Et il faut que chacune des parties comprenne les préoccupations des autres et y réponde de façon constructive.

Ne craignez-vous pas qu’avec l’approche des élections, la tension aille crescendo, surtout qu’on en est venu à emprisonner quelqu’un pour ses opinions ?
J’ai suivi plusieurs élections en Afrique. J’étais ambassadeur au Ghana pendant les dernières élections, ambassadeur en Côte d’Ivoire, avec les péripéties électorales, j’ai suivi aussi la situation au Kenya, il y a quelques années. Il y a toujours un certain élément de tension quand on approche des élections. C’était exactement le cas au Ghana. Il y a certains qui ont une rhétorique excessive. Mais en fin de compte, cela dépend si tout le monde connaît le prix de laisser la situation évoluer de manière à ce que tout le monde perde le contrôle de la situation, comme nous avons vu au Kenya. Il y avait évidemment de la contestation, pendant et après les élections. Mais il n’était pas nécessaire que cela aboutisse vers une situation de violence. Mais il faut que tout le monde ait une position responsable, suive la Constitution, respecte les règles du processus électoral. Le Sénégal a une longue tradition électorale, et j’espère que cela va continuer. C’est cela mon message.

Votre message est donc de respecter les normes, respecter la Constitution, notamment ?
Respecter le calendrier électoral. Tout ce qui est normal dans un processus électoral bien organisé

Le Sénégal est dans un environnement plein de tension, surtout avec le voisinage. L’un de ses voisins, la Gambie est souvent soupçonnée de nourrir la tension par le soutien au mouvement rebelle de Casa­mance. Vous revenez de la Gam­bie où vous avec parlé avec le Président Jammeh. Quel message lui avez-vous fait passer sur ce sujet ?
Je suis passé par la Gambie pour la première fois, avant de venir au Sénégal. Et c’est un message similaire que j’y ai porté, car là aussi il y aura des élections cette année. Et j’ai mis l’accent, dans mon entretien avec le Président Jammeh, sur l’importance d’un partenariat fructueux entre l’Union européenne et la Gambie, ainsi que la nécessité d’avoir un Etat de droit, d’assurer la liberté d’expression, la liberté d’assemblée dans ce pays, ainsi que toutes les règles de la démocratie. Normalement, s’il y a un système politique qui rend compte à ses citoyens, cela crée une situation où il ne sert à rien d’avoir des conflits politiques avec les voisins. Car cela n’aidera ni l’un ni l’autre. Donc, je n’ai pas discuté de la situation de la Casamance avec le Président Jam­meh, et je n’ai donc pas de réponse spécifique sur cette question. Mais cela reste approprié, pour la situation en Gambie, d’avoir un système politique qui rende compte à ses citoyens, aux électeurs.

Si je comprends bien, vous dites que s’il y avait un peu plus de démocratie en Gambie, les relations avec les voisins al­laient s’améliorer ?
C’est mon avis. Il y a un deuxième élément, qui est économique. La Gambie est un petit pays, entouré par de grands pays. On ne peut atteindre un niveau de croissance économique plus élevé, sans qu’il n’y ait libre échange, qui demande une situation de paix entre les deux pays. Donc, pour leur prospérité, il est indispensable d’avoir de bonnes relations aussi bien économiques que politiques avec ses voisins.

Quel est justement le diagnostic que vous faites sur l’état des libertés politiques en Gambie, et quel message souhaitez-vous adresser aux Gambiens à ce sujet ?
Là aussi, j’ai discuté avec de nom­breux acteurs politiques en Gambie. J’ai pris contact avec l’opposition et la société civile. Ils avaient des préoccupations, des inquiétudes, dont nous avons discuté dans le cadre de notre dialogue politique normal avec la Gambie. Nous avons eu une longue et explicite discussion avec le Président, sur certaines situations. Donc, il y a une volonté d’aborder certaines situations, et c’est un bon début.

De manière générale, que pensez-vous de la gouvernance en Afrique de l’ouest, et quelles réponses pensez-vous y apporter ?
Nous avons une forte préoccupation de la situation autour du Sahel, suite aux crises en Afrique du nord, en particulier en Libye, et nous avons proposé plusieurs cadres stratégiques pour assister les pays et les peuples de la région à assurer leur développement et leur sécurité. Parce que ces deux éléments sont tout à fait liés. Et là pour les pays les plus engagés de la région, Mauritanie, Mali, Niger, ainsi que pour d’autres pays qui entourent cette région, comme l’Algérie, le Nigeria, le Tchad, le Burkina Faso, et même le Sénégal, il est nécessaire d’identifier les éléments-clés où nous, en tant qu’Union européenne, pouvons assister en apportant l’assurance de la sécurité et d’un développement plus accéléré de la région, pour créer des emplois, des opportunités et se débarrasser du banditisme et de la contrebande dans cette région. Nous avons eu des échanges approfondis et assez fructueux avec les pays de la région, et nous sommes en train de mesurer notre aide au développement et notre assistance technique, pour diminuer les risques de contagion des conflits, avec la dissémination des armes lourdes, et même des armes légères.

Quelles sont vos craintes par rapport à cette zone sahélo-saharienne ?
Il y a eu des éléments encourageants aussi, comme la démocratie au Niger, où il y a eu un coup d’Etat contre le régime de Tandja, qui a essayé de prolonger son mandat au-delà de ce que permettait la Cons­titution. Il y a une démocratie assez fragile, qu’il est important de renforcer, parce notre crainte est que la poursuite des conflits et la multiplicité des violences peuvent déstabiliser les pays. Il y a le cas du Mali aussi, où il y a une tradition démocratique assez solide. Mais là aussi, il y a des risques de déstabilisation, avec la situation dans le nord du pays. Si nous ne sommes pas en mesure d’assister pour aider à renforcer les efforts de l’Administration à établir un Etat de droit, cela peut avoir aussi un impact sur les économies. Les transferts d’argent de l’étranger ont diminué, parce que les travailleurs migrants sont retournés dans leur pays. Et ce retour a aussi gonflé le nombre d’habitants, créant de nouveaux défis. Chacun de ces défis peut déstabiliser un gouvernement démocratique, et c’est notre devoir de renforcer cette tradition démocratique qui devient de plus en plus établie dans la région.

Pendant le long règne de Kadhafi, son régime a servi de tampon pour les potentiels migrants d’Afrique noire qui voulaient aller en Europe. Ne craignez-vous pas que sa disparition fasse sauter ce verrou en Libye ?
Pour chaque migrant qui est passé par la Libye, il y a certainement une douzaine qui sont retournés sur leurs pas dans leur pays d’origine, Mali, Burkina, Niger. Pour le moment, le risque évoqué n’est pas encore grand. Mais nous voulons travailler avec le nouveau gouvernement, pour assurer que l’on peut aménager le risque de migration illégale. Mais cela est un problème qui se pose partout en Afrique de l’ouest et dans les pays du Maghreb. Et cela demande de mettre en place en Libye un gouvernement efficace et responsable.

L’Union européenne a mis en place le système Frontex dont on a vu les limites. Quelles sont les autres solutions dont vous disposez pour freiner la migration illégale ?
Nous sommes en train de négocier avec plusieurs Etats de l’Afrique de l’ouest, un partenariat pour organiser la migration. J’ai travaillé, comme je l’ai dit tantôt, au Ghana et en Côte d’Ivoire. Dans ces deux pays, nous avons un système d’information public et d’éducation, pour travailler ensemble avec les services du ministère de l’Intérieur et de l’Im­migration au Ghana, pour réduire le flux des migrants illégaux. C’est la même chose que l’Union européenne fait, avec l’assistance des gouvernements de l’Espagne, l’Italie, etc. avec des pays comme la Mauritanie, et même le Sénégal. C’est plutôt dans un système de partenariat avec les pays de la région que l’on peut trouver une solution. Par exemple au Ghana, cela coûte environ 3 000 dollars pour trouver un passeur. C’est beaucoup d’argent. Si on l’investit dans une activité sur place, c’est plus rentable et cela profitera plus à l’individu et à sa communauté. Mais payer un passeur avec cet argent, c’est une perte pour la communauté. Mais on comprend aussi que pour beaucoup de jeunes, il y a ce rêve de devenir peut-être un grand footballeur en Europe.

( LE Quotidien )
Mardi 25 Octobre 2011