Susan Xenarios s'en va en vacances en Grèce, le plus loin possible de New York. "Cette affaire me rend folle", nous confie la directrice du Crime Victims Treatment Center (Centre de traitement des victimes de crime, CTVC), à l'hôpital St. Luke's-Roosevelt de Harlem, au nord de Manhattan.
c'est elle qui, la première, a examiné Nafissatou Diallo, conduite par les policiers du NYPD, samedi 14 mai, quelques heures après avoir déposé plainte pour tentative de viol contre Dominique Strauss-Kahn, alors directeur du FMI. C'est elle qui a recueilli le premier témoignage dela femme de chambre de l'hôtel Sofitel, évoqué par le New York Times, mardi 5 juillet.
"Cela fait plus de quarante ans que je fais ce métier, et je n'ai jamais, jamais, vu une histoire pareille, dit Mme Xenarios : la frénésie médiatique, les fuites dans les journaux, l'enquête elle-même… tout est insensé." Le Centre de traitement des victimes de crime se trouve derrière une petite porte discrète, dans un bâtiment annexe de l'hôpital, sur la 114e rue, à Harlem.
L'intérieur tranche nettement avec le reste de l'immeuble, vieillot, aux escaliers grinçants : les victimes y sont accueillies dans un petit salon cosy couleur crème, avec tapis, fauteuils et cheminées, une affiche de Degas, des estampes, un ours en peluche posé à côté d'une lampe de table. Tout pour mettre à l'aise les personnes brisées qui franchissent le seuil de la salle d'attente. Sur les murs, des prospectus informent sur les cours d'autodéfense, l'art de retrouver la confiance en soi, les numéros d'urgence à appeler.
"MME DIALLO EST ARRIVÉE EN ÉTAT DE CHOC"
"Mme Diallo est arrivée en état de choc, très secouée, très affectée, nous dit Mme Xenarios. Elle ne savait manifestement pas qui était la personne qui l'avait agressée lorsqu'elle est arrivée aux urgences. Elle était capable de parler et se montrait coopérative."
La directrice du CTVC, qui accueille essentiellement des victimes de crimes sexuels et de violences domestiques, refuse de donner plus de précisions, mais ajoute : "Je n'ai pas mis en doute son témoignage. Et notre équipe est constituée de personnes formées et très expérimentées pour écouter les personnes ayant été violentées. Le verdict des procès correspond généralement à nos diagnostics."
A 64 ans, cette femme souriante aux cheveux blancs, fondatrice du centre il y a trente ans et devenue une figure dans le traitement des traumatismes psychologiques, a construit son métier sur une expérience intime et sur la résilience. Elle a été victime d'un viol à l'âge de 28 ans, sur le toit d'un immeuble de Harlem où elle était travailleuse sociale. C'était en 1974, juste avant Thanksgiving. Un homme l'a agrippée dans la cage d'escalier, raconte-t-elle, et l'a entraînée sur le toit en la menaçant d'un couteau.
Le fait que Nafissatou Diallo ait pu se rendre dans une autre chambre après son agression supposée dans la suite 2806, ne semble "pas anormal" à la directrice du Centre. Elle-même n'avait pas immédiatement appelé à l'aide après son agression, a-t-elle rapporté en 2007 au New York Times. Mme Xenarios, notait le quotidien, "est d'abord restée le cœur battant dans la cage d'escalier. Elle a assisté à la réunion qui était prévue à l'hôpital de Harlem. Au milieu de la réunion, elle s'est effondrée en pleurs".
Les heures suivantes ont déterminé sa carrière. Mme Xenarios a été conduite aux urgences où elle a été interrogée par un policier et un médecin en même temps qu'elle subissait un examen gynécologique. Son agresseur n'a jamais été retrouvé. "J'ai essayé de comprendre ce qui m'arrivait et je n'y arrivais pas, raconte-t-elle au quotidien. J'ai éprouvé beaucoup de colère."
Elle a dû ensuite dépenser beaucoup d'énergie à aider son mari, grec, dont la culture méditerranéenne conduisait à subir comme une honte le fait d'être marié à une femme violée. Elle a mis des semaines à oser l'avouer à ses parents. Le Centre qu'elle a fondé à l'hôpital St. Luke's-Roosevelt de Harlem est le fruit de ces douleurs. Il s'est enrichi au fil des années d'un matériel technologique capable d'examiner et de photographier les blessures dans les parties génitales.
L'HYPOTHÈSE D'UNE TENTATIVE DE VIOL N'EST PAS ÉCARTÉE
Les derniers rebondissements de l'affaire DSK préoccupent Mme Xenarios : "Tout cela est très négatif pour les victimes de crime sexuel. Venir se faire examiner, témoigner, demander de l'aide après une agression sexuelle est une démarche difficile, douloureuse, humiliante. La plupart des victimes vivent leur traumatisme en silence. L'image surmédiatisée d'une femme violée qui aurait menti et serait en fait une prostituée est extrêmement dommageable."
Dans son édition du 5 juillet, le New York Times rend compte du rapport rédigé par un conseiller du CTVC, après le passage de Mme Diallo. Ce rapport, qui a été transmis au procureur et à la défense, est la transcription du premier récit donné par la victime présumée. Il laisse penser à la réalité d'une agression, tout en soulignant les incohérences qui apparaîtront plus tard dans le récit de Mme Diallo. Elle indique notamment avoir vu M. Strauss-Kahn se rhabiller avant de quitter la chambre, alors qu'elle a assuré ensuite en être sortie avant lui.
Ce rapport comme les observations de Mme Xenarios rappellent que l'hypothèse d'une tentative de viol n'est pas écartée. Le procureur n'est cependant plus en mesure de la soutenir : les mensonges répétés de Mme Diallo, même s'ils sont sans lien avec ce qu'elle a éventuellement subi dans la suite 2806, mettent en doute la crédibilité de son témoignage et ont déjà jeté l'opprobre, dans l'opinion publique, sur sa personne. Sans renoncer à son enquête, le procureur Cyrus Vance Jr semblait prêt, mercredi 6 juillet, à renoncer aux poursuites contre M. Strauss-Kahn.
c'est elle qui, la première, a examiné Nafissatou Diallo, conduite par les policiers du NYPD, samedi 14 mai, quelques heures après avoir déposé plainte pour tentative de viol contre Dominique Strauss-Kahn, alors directeur du FMI. C'est elle qui a recueilli le premier témoignage dela femme de chambre de l'hôtel Sofitel, évoqué par le New York Times, mardi 5 juillet.
"Cela fait plus de quarante ans que je fais ce métier, et je n'ai jamais, jamais, vu une histoire pareille, dit Mme Xenarios : la frénésie médiatique, les fuites dans les journaux, l'enquête elle-même… tout est insensé." Le Centre de traitement des victimes de crime se trouve derrière une petite porte discrète, dans un bâtiment annexe de l'hôpital, sur la 114e rue, à Harlem.
L'intérieur tranche nettement avec le reste de l'immeuble, vieillot, aux escaliers grinçants : les victimes y sont accueillies dans un petit salon cosy couleur crème, avec tapis, fauteuils et cheminées, une affiche de Degas, des estampes, un ours en peluche posé à côté d'une lampe de table. Tout pour mettre à l'aise les personnes brisées qui franchissent le seuil de la salle d'attente. Sur les murs, des prospectus informent sur les cours d'autodéfense, l'art de retrouver la confiance en soi, les numéros d'urgence à appeler.
"MME DIALLO EST ARRIVÉE EN ÉTAT DE CHOC"
"Mme Diallo est arrivée en état de choc, très secouée, très affectée, nous dit Mme Xenarios. Elle ne savait manifestement pas qui était la personne qui l'avait agressée lorsqu'elle est arrivée aux urgences. Elle était capable de parler et se montrait coopérative."
La directrice du CTVC, qui accueille essentiellement des victimes de crimes sexuels et de violences domestiques, refuse de donner plus de précisions, mais ajoute : "Je n'ai pas mis en doute son témoignage. Et notre équipe est constituée de personnes formées et très expérimentées pour écouter les personnes ayant été violentées. Le verdict des procès correspond généralement à nos diagnostics."
A 64 ans, cette femme souriante aux cheveux blancs, fondatrice du centre il y a trente ans et devenue une figure dans le traitement des traumatismes psychologiques, a construit son métier sur une expérience intime et sur la résilience. Elle a été victime d'un viol à l'âge de 28 ans, sur le toit d'un immeuble de Harlem où elle était travailleuse sociale. C'était en 1974, juste avant Thanksgiving. Un homme l'a agrippée dans la cage d'escalier, raconte-t-elle, et l'a entraînée sur le toit en la menaçant d'un couteau.
Le fait que Nafissatou Diallo ait pu se rendre dans une autre chambre après son agression supposée dans la suite 2806, ne semble "pas anormal" à la directrice du Centre. Elle-même n'avait pas immédiatement appelé à l'aide après son agression, a-t-elle rapporté en 2007 au New York Times. Mme Xenarios, notait le quotidien, "est d'abord restée le cœur battant dans la cage d'escalier. Elle a assisté à la réunion qui était prévue à l'hôpital de Harlem. Au milieu de la réunion, elle s'est effondrée en pleurs".
Les heures suivantes ont déterminé sa carrière. Mme Xenarios a été conduite aux urgences où elle a été interrogée par un policier et un médecin en même temps qu'elle subissait un examen gynécologique. Son agresseur n'a jamais été retrouvé. "J'ai essayé de comprendre ce qui m'arrivait et je n'y arrivais pas, raconte-t-elle au quotidien. J'ai éprouvé beaucoup de colère."
Elle a dû ensuite dépenser beaucoup d'énergie à aider son mari, grec, dont la culture méditerranéenne conduisait à subir comme une honte le fait d'être marié à une femme violée. Elle a mis des semaines à oser l'avouer à ses parents. Le Centre qu'elle a fondé à l'hôpital St. Luke's-Roosevelt de Harlem est le fruit de ces douleurs. Il s'est enrichi au fil des années d'un matériel technologique capable d'examiner et de photographier les blessures dans les parties génitales.
L'HYPOTHÈSE D'UNE TENTATIVE DE VIOL N'EST PAS ÉCARTÉE
Les derniers rebondissements de l'affaire DSK préoccupent Mme Xenarios : "Tout cela est très négatif pour les victimes de crime sexuel. Venir se faire examiner, témoigner, demander de l'aide après une agression sexuelle est une démarche difficile, douloureuse, humiliante. La plupart des victimes vivent leur traumatisme en silence. L'image surmédiatisée d'une femme violée qui aurait menti et serait en fait une prostituée est extrêmement dommageable."
Dans son édition du 5 juillet, le New York Times rend compte du rapport rédigé par un conseiller du CTVC, après le passage de Mme Diallo. Ce rapport, qui a été transmis au procureur et à la défense, est la transcription du premier récit donné par la victime présumée. Il laisse penser à la réalité d'une agression, tout en soulignant les incohérences qui apparaîtront plus tard dans le récit de Mme Diallo. Elle indique notamment avoir vu M. Strauss-Kahn se rhabiller avant de quitter la chambre, alors qu'elle a assuré ensuite en être sortie avant lui.
Ce rapport comme les observations de Mme Xenarios rappellent que l'hypothèse d'une tentative de viol n'est pas écartée. Le procureur n'est cependant plus en mesure de la soutenir : les mensonges répétés de Mme Diallo, même s'ils sont sans lien avec ce qu'elle a éventuellement subi dans la suite 2806, mettent en doute la crédibilité de son témoignage et ont déjà jeté l'opprobre, dans l'opinion publique, sur sa personne. Sans renoncer à son enquête, le procureur Cyrus Vance Jr semblait prêt, mercredi 6 juillet, à renoncer aux poursuites contre M. Strauss-Kahn.