Moustapha Diop, Aboubacry Guèye et Moussa Mbaye ou la machine à recruter pour Boko Haram et la branche libyenne de l'Etat islamique


Le procès dit de l'Imam Ndao et Cie a bouclé son quinzième jour jeudi passé. Une audience qui était très attendue eu égard au profil de l'accusé qui devait été interrogé par les trois parties de cette affaire, à savoir le président de la chambre criminelle, le procureur et ses avocats. Finalement, ce ne sont que les deux premières citées qui ont pu auditionner l'Imam Aliou Ndao, présenté par l'accusation comme le guide religieux des Sénégalais qui auraient ambitionner d'implanter une cellule jihadiste au Sénégal. Aussi bien le président Samba Kane que le substitut du procureur ont essayé de faire parler le religieux de Kaolack, mais c'est sans compter sur la ferme résolution de ce dernier de se désolidariser de toute idée d'accompagner des jeunes dans une folle idée de transposer au Sénégal ce qui se passe sur un pan considérable du territoire nigérian. Mais si Imam Ndao a nié avoir un quelconque rapport avec la bande à Matar Diokhané dans ce que l'accusation a présenté comme une tentative d'installer une insurrection jihadiste au Sénégal, il est apparu que d'autres Sénégalais n'ont pas lésiné sur les idées et même sur les zéros pour grossir les rangs des jihadistes. Que ce soit au Nigeria, en Libye ou en Syrie. C'est l'une des révélations majeures du procès qui est en train d'abattre ses dernières heures.
Il a fallu que les événements de Diourbel surviennent pour que de jeunes sunnites qui se sentaient déjà à l'étroit dans leur pays où la charia n'est pas en vigueur sortent de leur bulle. L'agression dont a été victime l'Imam Abdou Karim Ndour par des talibés mourides qui n'ont pas aimé qu'il prohibe le fait de se prosterner pour un être humain a servi de prétexte à ces radicaux pour mettre ce qu'ils ont appelé un “groupe d'auto-défense”. L'un des accusés et non des moindres a fait l'aveu. Matar Diokhané ou Abou Anwar a révélé à la barre que c'est suite à cet incident qui remonte à 2012 qu'il a été approché par un certain Moussa Mbaye pour qu'ils réfléchissent sur la mise en place d’une structure qui prendrait désormais la défense des sunnites au Sénégal. Non seulement, ce groupe verra le jour mais sera l'ancêtre de ce que beaucoup de Sénégalais, nageant dans le déni, ont toujours pris pour de la fanfaronnade : le militantisme de Sénégalais au sein des groupes djihadistes. Force est constater que c'est parce qu'il y avait des noms comme Mouhamed Lamine Diop ou Moustapha Diop, Aboubacar Guèye ou encore Moussa Mbaye pour pousser les jeunes vers ces mouvements radicaux qui prônent la lutte armée pour redorer le blason de l'Islam.
Moustapha Diop, émir et machine à recruter
Etudiant au département des Hadiths de l'Université de Médine, en Arabie saoudite, Moustapha Diop alias Abou Hatem qui aurait embrassé la branche radicale de l'Islam dans ce pays où la religion musulmane a vu le jour vers les années 600, s'est illustré en finançant le voyage de tous ses compatriotes qui voulaient se rendre au Nigeria ou en Libye. D'abord, il a fait convoyer 65 000 euros à Matar Diokhané alors que ce dernier se trouvait en Mauritanie. “Alors que je me trouvais en Mauritanie, j'ai reçu un appel de Moustapha Diop. Il m'a félicité pour l'aide que j'apportais à mes compatriotes basés en Mauritanie. J'en ai profité pour lui soumettre mes besoins de financement. Il m'a promis de donner une suite favorable à ma demande”, raconte Matar Diokhané au tribunal lors de son interrogatoire en date du 30 avril 2018. Cette somme colossale qui représente 44 millions FCFA quitte l'Arabie saoudite et atterrit au Sénégal où l'attendait son destinataire qui a dû quitter son pays d'accueil, la Mauritanie. L'argent en poche, Diokhané le confie à sa deuxième épouse Coumba Niang. Moustapha Diop ou Mouhamed Lamine Diop ne se limite pas là avec son “ami” Matar Diokhané. Il parvient à lui décrocher un poste d'enseignant très alléchant à Handaq, un quartier périphérique d'Abadam du Nigeria. C'est Diokhané lui-même qui met la chambre criminelle à formation spéciale dans le secret. “Moustapha Diop m'a trouvé un contrat d'enseignement au Nigeria à raison de 1500 euros par mois. C'est un Tchadien du nom d'Abou Sahid qui était mon employeur”, a avoué l'accusé Diokhané qui, pour rejoindre son poste, a également bénéficié des largesses de son bienfaiteur...Moustapha Diop qui lui a fait parvenir 150 000 francs pour payer le ticket de transport. Il n'en a pas fini avec lui. Une fois au Nigeria, l'enseignant a souhaité la présence de sa troisième épouse. Quand la demande a été faite, c'est encore Moustapha Diop qui a mis la main à la poche. Matar Diokhané a nié au cours de l'audience avoir été employé par Boko Haram. Mais cela, son financier attitré ne l'ignorait certainement pas, lui qui a fini par devenir l'émir des jihadistes sénégalais à Syrte, en Libye courant 2015/2016. Il ne s'en cachait pas. En compagnie d'autres Sénégalais, ils ont occupé les réseaux sociaux, kalachnikovs en main, pour faire la propagande de l'Etat islamique. Moustapha Diop n'a pas seulement sponsorisé Matar Diokhané. Le procès de l'Imam Ndao a révélé qu'il était derrière le voyage de la plupart des onze (11) accusés qui ont été au Nigeria. Attrait à la barre, l'ancien étudiant au département de Géographie, Abdou Aziz Dia a affirmé sans ambages que c'est Moustapha Diop qu'il a connu en Mauritanie qui lui a donné les moyens psychologiques et financiers pour aller au Nigeria. En effet, en sus de lui vanter les mérites de l'hégire qui ferait de tout candidat un martyr s'il mourrait en cours de route, le natif du quartier Gouye Mouride de Rufisque a reconnu que son recruteur lui a remis la somme de 200 000 francs pour le voyage. Expérience qu'il a regrettée devant la barre pour n'avoir pas vu ce qu'il était allé chercher au Nigeria : “le savoir”. Parallèlement, celui qui se faisait appeler Abou Hatem se charge de faire venir le maximum de jeunes en Libye, où l'Etat islamique avait sous son contrôle des villes situées à l'Ouest de Tripoli comme Syrte, Ben Jawad, Nowfilia, Qasr Abou Hadi et tentait de prendre Sabratha. Arrêté en Mauritanie et rapatriés en même temps que huit de ses compatriotes soupçonnés de vouloir rallier les bastions des jihadistes, Ibrahima Ndiaye n'a pas nié avoir été approché par Moustapha Diop par le biais d'Abdourahmane Mendy, le “ndiago jihadiste” de Syrte. Mais avant qu'il ne prenne le départ prévu le 19 février, il est interpellé par la police mauritanienne qui avait fini d'établir sa connexion avec Mouhamed Ndiaye alias Abou Youssouf. Rentré du Nigeria au même titre que Matar Diokhané et Ibrahima Diallo, ce pêcheur a regagné la Mauritanie où il était établi avant de côtoyer Boko Haram. Mais de peur d'être arrêté pour avoir fréquenté le groupe jihadiste qui continue de déstabiliser le nord du Nigeria, Mouhamed Ndiaye répond favorablement à l'invitation...Moustapha Diop. La police mauritanienne ne lui laissera pas le temps. Pour l'accusation, Abou Youssouf avait l'intention de poursuivre en Libye le jihad déjà commencé à Gwoza et Sambisa, au Nigeria. Le ministère public est convaincu que dans ce projet, l'accusé Mouhamed Ndiaye devait s'accompagner aussi de Lamine Coulibaly alias Abou Jafar, un autre vétéran du jihad au Nigeria jugé devant la chambre criminelle à formation spéciale. De retour au Sénégal après un séjour carcéral à Gaidam (Etat de Yobé, Nigeria) au cours duquel l'un de ses compatriotes, Moustapha Faye a trouvé la mort, Lamine Coulibaly s'est vu proposer à nouveau de retenter l'aventure, mais cette fois ci, en Libye. Encore une fois, Abou Hatem est aux manettes. Pendant la même période, l'émir sénégalais de l'Etat islamique en Libye tente de recruter le nommé El Hadji Mamadou Bâ dit Mame Bâ. Etudiant à l'Université Virtuelle du Sénégal (UVS) où il était en première année de Sciences économiques et gestion, Mame Bâ reconnait avoir été en contact avec Moustapha Diop. Accusé d'actes de terrorisme par association de malfaiteurs, d'actes de terrorisme par menace ou complot visant à troubler l'ordre public, blanchiment de capitaux dans le cadre d'une activité terroriste, financement du terrorisme en bande organisée et apologie du terrorisme, l'étudiant a reconnu avoir été démarché par celui qui était aussi connu sous le nom de Mouhamed Lamine Diop. D'ailleurs, c'est ce dernier qui lui a conseillé, avec son ami Abdoul Ahad Diop, d'aller en Gambie pour échapper à la police. Un conseil que Mame Bâ n'a pas suivi pour une raison simple : il n'a rien à se reprocher. Tout le contraire de son ami, Abdoul Ahad Diop au mépris de “toutes mes tentatives de lui faire entendre raison”. “Je lui ai dit que s'il partait, il risquait de me compromettre mais il ne voulait pas avoir des soucis judiciaires. Il a préféré partir en Gambie sans avertir sa famille. J'ai été convoqué à la gendarmerie après une plainte de sa famille qui croyait que j'ai quelque chose à voir avec sa disparition”, se souvient Mame Bâ qui ajoute que c'est après cet épisode qu'il a coupé tout lien avec la mouvance jihadiste de Libye, dirigée par...Moustapha Diop. Dans sa logique d'embrigader tout ce qui pouvait l'être, il n'a pas épargné son propre frère. Collégien dans un CEM de la banlieue, Alioune Diop s'est vu proposer par son frère de le rejoindre en Libye. Proposition rejetée par le jeune collégien qui a clairement fait savoir à son frère ainé que jihad ne l'intéressait pas. Pour ferrer son "frangin", il lui fait croire que contrairement aux informations distillées ça et là, c'est lui traquait lesAméricains mais ce discours ne rassure pas son interlocuteur. 
Moustapha Diop qui n'aurait pas survécu à la bataille de Syrte (février/décembre 2016) a directement financé des candidats à l'hégire. A-t-il cependant eu recours à des secondes mains pour assurer le transport à d'autres ? Tout porte à le croire car nombreux ont été les accusés pour avoir cité Ibrahima Bâ quand il s'est agi de livrer le nom de leur financier. C'est le cas d'Oumar Yaffa “Abou Hafsa”, Lamine Coulibaly “Abou Jafar”, Cheikh Ibrahima Bâ “Abou Khaled”, Ibrahima Mballo “Abou Moussa”. Seulement, Oumar Yaffa a dit à la chambre qu'il a été convoyé par un Mauritanien du nom d'Abdou Aziz. Selon lui, c'est ce dernier qui l'a mis en rapport avec Ibrahima Bâ pour avoir de quoi payer le ticket qui lui aura permis d'accomplir ce qu'il considérait comme un moyen d'absoudre tous ses péchés. C'est sans doute l'argument maitre de Aboubacry Guèye pour convaincre ses élèves Aboubacry Diallo ou Abou Diallo et Latyr Niang.
Aboubacry Guèye, recruteur pour Boko Haram
Également recruteur au profit de Boko Haram, Aboubacry Guèye, qui tenait un “daara” à Rosso, dans le nord du Sénégal, a mis son talent d'orateur au service de Boko Haram. Convaincu par son maitre, Abou Diallo qui avait pris le surnom d'Abou Jendel a expliqué au tribunal que son voyage a été financé par Moustapha Faye. Quant à Latyr Niang, il a reconnu que c'est suite à une discussion avec Aboubacar Guèye alias Abou Hamza qu'il a pris la décision de se rendre au Nigeria. C'est son récit qui a levé le voile sur l'influence de son maitre Aboubacry Guèye au sein de Boko Haram. Le baron sénégalais du jihad a intercédé en faveur d'un homme qui devait être exécuté pour shirk (associationnisme). Il a rembobiné le film de son arrestation lorsqu'il a refusé de se prêter à un exercice pour le moins atroce, à savoir regarder des vidéos d'exécution. Là aussi, c'est son maitre Guèye qui est venu le libérer. Très introduit dans les cercles des décideurs de Boko Haram, Aboubacry Guèye était en mesure de trouver une épouse à qui voulait en disposer. La proposition a été faite à Latyr Niang qui après, tout ce qu'il a vu, ne songeait qu'à une seule chose rentrer au Sénégal. Il estime que Abou Hamza l'a trahi. De retour au Sénégal après avoir fui du fief de Boko Haram, Latyr Niang a pourtant rencontré à nouveau son convoyeur à Guédiawaye. C'est d'ailleurs ce dernier qui demandé à Ibrahima Diallo alias Abou Omar de lui remettre 4 millions de francs. Laquelle somme, selon l'accusation, était destinée à l'achat d'un terrain pour l'installation d'une base jihadiste. Ce que dément Latyr Niang qui dit ignorer la provenance de l'argent. Aboubacry Guèye qui semblait pourtant bien à l'aise dans Boko Haram a trompé la vigilance des hommes de Shekau et a réussi à sortir. A ce jour, il est difficile de savoir ce qu'il est advenu de ce recruteur. Dans tous les cas, un sénégalais qui avait le même nom de guerre faisait feu de tous bois à Syrte et semblait très introduit dans la chaine de commandement de l'Ei dans cette ville libyenne.
À l'initiative du groupe d'auto-défense, il y avait Moussa Mbaye...
Avant de prendre congé de Shekau et de ses compatriotes, Aboubacry Guèye s'est disputé avec Moussa Mbaye au sujet du takfir (excommunication). Cette altercation rapportée à Shekau par Malam Omar, l'hébergeur des Sénégalais à Gwoza et Sambisa, aura le don de fâcher le chef de Boko Haram. Une rencontre est planifiée avec Shekau qui sermonne ses hôtes sur l'endurance. Après quoi, Aboubacar Guèye a quitté les lieux. Même s'il a juste déménagé dans un autre village, Moussa Mbaye trouvera la mort au Nigeria au cours des combats ayant opposé les extrémistes islamistes aux troupes nigérianes. C'est dire le degré d'implication de ce maitre coranique qui s'était déjà illustré au Sénégal. Rappelez-vous, c'est lui qui a été à l'initiative de l'installation d'un groupe d'auto-défense sunnite après les événements de Diourbel. D'après l'accusé Ibrahima Ndiaye qui l'a côtoyé de près, c'est une déclaration de Me Ousmane Ngom, alors ministre de l'Intérieur qui a radicalisé Moussa Mbaye. “Me Ousmane Ngom avait laissé entendre que la minorité doit se soumettre à la loi de la majorité. Cette phrase a fait trop mal à Moussa Mbaye”, se rappelle Ibrahima Ndiaye. Qui reconnait que Moussa Mbaye était devenu invivable au Lac Rose où il enseignait le Coran et dirigeait la prière à la mosquée du quartier Ibadou de Keur Marième Mbengue. Village qui a alimenté en hommes aussi bien Boko Haram que la branche libyenne de l'Etat islamique. “Son discours était tellement radical qu'il a été destitué”, renchérit l'accusé Ibrahima Ndiaye. Ce qu'il n'a pu vivre au Sénégal, c'est à dire une application rigoriste de la charia, Moussa Mbaye le croyait possible au Nigeria. Il y est allé mais a aussi contribué au départ de son élève Cheikh Ibrahima Bâ. Originaire du sud du Sénégal, ce dernier est venu à Dakar pour intégrer le “daara” de Moussa Mbaye au Lac Rose jusqu'au jour où il a reçu le billet pour le rejoindre à Gwoza, ville contrôlée par Boko Haram de juin 2014 à mars 2015. Preuve qu'il était sous les ordres de son “guide”, lorsque des Sénégalais ont décidé, à partir de Gwoza de rentrer, lui, était convaincu qu'il avait embrassé le meilleur des commerces. Ce n'est qu'après la disparition de son Serigne daara qu'il a songé rebrousser chemin. Avec lui, dix (10) de ses compatriotes. L'interdiction de sortie qui pesait sur eux a été levée après l'intervention de Matar Diokhané auprès de Shekau. Le cacique sénégalais de Boko, titre dont il s'est départi devant la barre, a réussi à faire revenir Shekau à la raison après 07 heures de temps de plaidoirie. Très gêné par le titre de recruteur au profit de Boko Haram qui lui colle à la peau depuis le début de cette procédure, Matar Diokhané a pourtant admis s'être proclamé émir de ses compatriotes qu'il venait d'extirper des jougs de Boko Haram. “Je leur ai fait comprendre qu'ils devaient se soumettre à mon autorité et qu'une fois au Sénégal, ils ne devaient rien entreprendre sans mon aval. La troisième condition consiste à accepter d'être remis à un sage qui les mettrait à l'abri de tout manipulateur”, répète le “père des lumières” (signification de son surnom Abou Anwar). Mais l'homme nie porter un projet jihadiste contre son pays. Ce que le ministère public a du mal à gober, surtout qu'après son entrevue avec Shekau, ce dernier lui a offert par l'entremise d'un Nigerian du nom de Aboubacar Mainock, la somme de 6 millions de nairas (15 millions FCFA). Par contre, il reconnait avoir reçu le message des Sénégalais de la branche libyenne de l'Etat islamique. Message qui décrit étape après étape comment le Sénégal, la Gambie et les deux Guinée doivent être mis à genou et placé sous l'autorité des jihadistes.

Par Abdou Khadir Cissé
 
Lundi 7 Mai 2018
Daddy Diop