Mamour Diallo sur les 94 milliards : « Moi, je ne vois même pas d’argent, pas un sou. Je ne gère que du papier et je ne suis ni au début ni à la fin de la procédure. Sonko n’est pas un homme politique, c’est un petit caïd assoiffé d'argent »

Jamais l’homme n’a accordé d’interview à la presse. Jamais Mamour Diallo n’a cru bon répondre, malgré les lourdes accusations de Ousmane Sonko contre sa personne. Même quand les réseaux sociaux convulsaient de son nom et fantasmaient sur les supposés 94 milliards Cfa détournés par le Directeur des domaines, l’homme est resté zen. Droit dans ses bottes et quitte avec sa conscience. «Je parlerai un jour», répondait-il aux différentes sollicitations. Comme pour rappeler qu’il faut éviter de hurler avec les loups, si on ne veut pas courir avec eux. Une attitude presque islamique face à la tourmente («Dieu est avec les endurants»), qui l’a fait rester serein. Rencontré à son bureau sis à la Direction des Impôts et domaines, Mamour Diallo n’a pas joué sur les flots. Sans haine ni peine. Il a certes parlé avec les crocs, histoire de démontrer que cette affaire qu’il démonte point par point, est une cabale. Entretien !


Au cours de sa conférence de presse du 16 octobre 2018, le leader du Parti Pastef et candidat à l’élection présidentielle, Ousmane Sonko, vous a accusé d’avoir détourné 94 milliards de FCFA. Il a réitéré plusieurs fois ses accusations, auxquelles vous n’avez jamais répondu, en tout cas pas de manière publique. Ce silence n’a pas manqué d’ailleurs de laisser beaucoup de gens perplexes. Pourquoi jugez-vous utile à présent de parler ? 

Je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez de pouvoir enfin m’exprimer sur cette affaire. Je commencerai par dire une chose très simple : contrairement à Ousmane Sonko, moi je suis attaché à la déontologie qui lie le fonctionnaire.
Je n’avais pas voulu m’adresser à la presse car cela m’aurait forcément conduit à évoquer les détails d’un dossier administratif en cours de traitement, parce que c’est de cela qu’il s’agit avant tout. Et, ça, c’est contraire à notre code de déontologie. Car l’administration, c’est d’abord la confidentialité. Dévoiler dans un organe de presse le contenu d’un dossier, même pour laver son honneur, c’est porter atteinte à la vie privée de certains citoyens, ainsi qu’au secret légitime dont ils souhaitent entourer leurs affaires. 

Mais, vous n’êtes pas qu’un fonctionnaire, vous êtes aussi un politique et Ousmane Sonko, leader de Pastef, vous attaque en tant que responsable de la majorité présidentielle... 

Le fonctionnaire, même lorsqu’il fait de la poli- tique, n’a pas le droit de s’épancher dans les médias sur n’importe quel sujet. Nous n’avons pas la même liberté que, par exemple, les députés. J’ai prêté serment il y a plus de 27 ans, lorsque, très jeune, j’intégrais l’administration pour servir mon pays. Ce serment est encore gravé dans ma mémoire et il a du prix à mes yeux. Il est vrai que nous vivons une époque où ces principes peuvent paraître surannés, mais j’accepte d’appartenir à la vieille école.
Néanmoins, c’est une position très difficile à tenir, lorsqu’on est la cible d’attaques et de  calomnies, mais telles sont les règles de l’Administration et j’ai voulu m’y conformer jusqu’au bout. J’ajouterai une chose: je n’avais pas voulu parler parce que, aussi, je refusais d’offrir à Ousmane Sonko ce qu’il cherchait à obtenir : le bruit médiatique.
La fameuse conférence de presse dont vous parlez, rappelez-vous du contexte dans lequel elle s’était tenue : Sonko était en grande difficulté après la révélation par certains de vos confrères de propos ignobles qu’il avait tenus à l’endroit des anciens présidents de la République du Sénégal. Il a convoqué les médias pour s’expliquer. Et, qu’est-ce qu’il a fait ? Il a changé de sujet et s’en est pris à Mamour Diallo, avec cette histoire abracadabrantesque de 94 milliards. C’est ce qu’on appelle faire de la diversion...
Et, malheureusement, je m’excuse de le dire, mais, vous les journalistes êtes complètement tombés dans le panneau. Du coup, personne n’a plus parlé des insultes de Sonko contre les grands hommes qui ont bâti ce pays et tout le monde n’a retenu que le chiffre de 94 milliards FCfa. 

Quel a été votre sentiment quand il a porté l’accusation contre vous ?

J’ai été estomaqué par son outrecuidance ! C’est ce jour-là que j’ai compris le vrai sens de la phrase de Joseph Goebbels : «Plus le mensonge est gros, plus ça passe.» Mais je me suis dit qu’en répliquant, je ne ferais que relancer la polémique et qu’il valait mieux traiter tout cela par le mépris. J’ai préféré faire confiance à l’intelligence des Sénégalais pour qu’ils se rendent compte eux-mêmes de la bêtise des accusations d’Ousmane Sonko.
Quand on occupe des responsabilités dans l’administration, surtout dans un département aussi sensible que le ministère des Finances, on est parfois obligé d’avaler des couleuvres et de laisser glisser sur soi les pires offenses. Etre attaqué comme je l’ai été et ne pas pouvoir se défendre, ni en justice ni même devant les médias, fait malheureusement partie de ces couleuvres. Mais, c’est cela aussi le service de l’Etat au haut niveau : savoir encaisser, savoir dépasser, savoir retenir ses coups... 

Comment vous le dites, vous aviez opté pour le mépris, qu’est-ce qui a changé aujourd’hui pour que vous décidiez de parler ?

Ce qui a changé, c’est que, aujourd’hui, ma hiérarchie s’est rendue compte que le dossier est, de toute façon, sur la place publique. Car il ne faut pas perdre de vue une chose : je suis un directeur et je suis soumis à une chaîne hiérarchique que je respecte.
Au-dessus de moi, il y’a un coordonnateur, un directeur général, et deux ministres entourés d’un cabinet, pour ne pas parler des échelons supérieurs. Or, les accusations de Ousmane Sonko dépassent ma seule personne.
Un chef de service qui détourne 94 milliards FCfa et continue de vaquer à ses occupations comme si de rien n’était ? Convenez avec moi que s’il y a une once de vérité dans ces affabulations, alors c’est toute la chaîne de responsabilité du ministère des Finances qui devrait être virée voire emprisonnée. Je me suis dit que ce n’était pas moi seulement qui étais attaqué, mais l’Etat tout entier et que la riposte ne devait pas être personnelle mais administrative et officielle. 

Pourquoi donc n’a-t-on pas entendu le ministère des Finances, par ses canaux officiels, se prononcer sur cette affaire ? 

Je comprends que mes supérieurs, des haut-fonctionnaires nourris aux mêmes principes que moi, n’aient pas voulu rejoindre Sonko sur son terrain favori, car la polémique alimente la polémique. C’est pourquoi je ne vous cache pas que j’ai dû beaucoup insister pour qu’on me per- mette, cette fois-ci, de laver mon honneur en public. Car, on a beau avoir le sens de l’Etat chevillé au corps, on a beau se forger une carapace contre la fourberie d’individus comme Ousmane Sonko, à un moment donné les conséquences dépassent votre seule personne et touchent votre famille, vos proches, vos amis, même vos collègues de travail qui vous pratiquent quotidiennement, vous connaissent depuis des années et souffrent de vous voir traîné dans la boue.
Pourtant, mes parents sont restés stoïques et m’avaient demandé de traiter ces mensonges avec indifférence, de m’en remettre à Dieu Qui, d’une manière ou d’une autre, fera éclater la vérité un jour. Mon épouse, dont je salue ici l’extrême dignité, a appris à vivre avec les torrents d’infamies que crache la bouche de Ousmane Sonko. Car comme le dit l’adage, le mensonge a fini de faire le tour du monde pendant que la vérité n’a pas terminé de mettre ses chaussures. 

Maintenant que vous avez décidez de parler, pouvez-vous nous donner votre version de ce qu’il est convenu d’appeler «l’affaire des 94 milliards FCfa» ? 

Tout à fait ! Aujourd’hui, je suis plus à l’aise. Car je vous l’ai dit : autant j’estimais qu’un dossier administratif en cours ne devait pas être exposé sur la place publique, autant je suis obligé de constater que ce dossier est désormais dans la rue. Ce qui rend d’autant plus nécessaire et urgent de corriger les nombreuses contrevérités distillées par les petits calomniateurs de Pastef. Je vais essayer d’être le plus concis possible car c’est une affaire longue et techniquement assez complexe. Le titre foncier (TF) n°1451/R, d’une superficie de 258 hectares, datant de 1959, appartenait à deux familles de Lébous de Rufisque. Il avait été vendu en 1979 à la société immobilière Saim Indépendance, une vente qui a été contestée en justice à partir de 1995 par les héritiers des deux familles.
En 1997, l’Etat du Sénégal a exproprié le TF 1451/R et indemnisé la société immobilière qui, jusqu’à cette date, en était le propriétaire légal.
Mais, en 2012, au terme d’une longue bataille judiciaire, les héritiers lébous ont obtenu l’annulation de la vente intervenue en 1979.
Du coup, ils ont commencé à émettre des prétentions sur le TF 1451/R, alors que celui-ci était passé dans le patrimoine de l’Etat depuis longtemps, du fait de l’expropriation ! En droit, n’importe quel juriste vous le confirmera, l’annulation judiciaire d’un contrat a un effet rétroactif : les parties sont replacées dans la situation qui était la leur avant la transaction.
Autrement dit, les Lébous redevenaient les propriétaires, au sens juridique du terme, du TF. Ce qui était un problème, car les terres n’étaient même plus disponibles puisque affectées à des projets de l’Etat, au profit notamment de la Sn HLM.
En d’autres termes, ce que les familles léboues possédaient en réalité, ce n’était plus un bien physique, à savoir des terrains, mais un bien incorporel, en l’occurrence une créance sur l’Etat.
En 2016, les héritiers ont choisi de céder à l’institution financière Sofico leurs droits, actions et créances sur l’ensemble du TF. Ce n’est pas à moi de mentionner le prix, mais, en journaliste expérimenté, vous savez sans doute que la transaction s’était chiffre à plusieurs milliards FCfa. 

Donc, c’est suite à l’intervention de Sofico que les choses ont commencé à se brouiller... 

Ecoutez, je ne peux pas m’exprimer à la place des parties à propos de cette transaction qui ne me concerne pas, mais je peux vous dire une chose et elle est facilement vérifiable : dans les dossiers fonciers importants, les cessions de créances sont monnaie courante, elles constituent même la règle. Quand vous possédez une créance sur l’Etat, qui atteint plusieurs milliards FCfa et résulte d’un contentieux, croyez- vous qu’il soit facile de se faire payer ?
Ce n’est un secret pour personne: l’Etat gère beaucoup de contraintes et, au moment des arbitrages de trésorerie, certaines dépenses ne sont pas des priorités. On peut comprendre très facilement 
l’intérêt de la cession de créances pour des familles sénégalaises modestes, composées de nombreux membres, qui plus est épuisées par plus de vingt années de procédures judiciaires et administratives. Vu que les banques et les établissements financiers qui rachètent ces créances sont des investisseurs institutionnels, ils possèdent les moyens de gérer la complexité des procédures. Mais, surtout, ils ont du temps, un temps que ne possèdent pas forcément des personnes physiques, des pères de famille qui aimeraient bien jouir de leur bien sans devoir attendre plusieurs années encore. «Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras» : ce n’est pas autre chose. 

D’accord, mais jusque-là, on ne voit pas ce que le directeur des Domaines que vous êtes fait dans l’opération...

Je vous ai dit tout à l’heure que les familles léboues ne possédaient plus des terres à propre- ment parler, puisqu’il s’était écoulé 34 ans entre leur cession et l’annulation de la vente; il ne leur restait qu’un droit de créance sur l’Etat, droit qu’ils ont revendu à un investisseur. Le problème qui se posait alors était celui de la valorisation de ce droit. Autrement dit: combien l’Etat devait-il à présent payer en contrepartie des terres qu’il avait expropriées vingt ans plus tôt ? 

Donc, c’est vous qui avez fixé le montant ? 

Absolument pas ! C’est la compétence d’une commission, celle-là même prévue à l’article 3 du décret n°97-563 du 3 juillet 1997 portant application de la loi de 1976 sur les expropriations pour cause d’utilité publique. Sofico a introduit un recours devant cette commission seule habilitée à fixer les modalités de l’indemnisation. 

Etiez-vous le président de la commission ? 

Du tout. Je n’en suis même pas membre. La commission est présidée par le Gouverneur de région, avec le Receveur des Domaines. Le Directeur des Domaines que je suis est juste informé, a posteriori, de ses décisions car, par contre, c’est à moi qu’il incombe d’exécuter celles-ci. A ce titre, mon rôle consiste à préparer les actes d’acquiescement. Et laissez-moi vous dire une chose : ces fameux actes d’acquiescement, qui suscitent tant de fantasmes chez les gens de Pastef, sont tout banalement des documents qui constatent l’accord intervenu entre la Commission et les personnes expropriées.
Ce ne sont pas des actes créateurs de droits, mais des actes déclaratifs qui entérinent et formalisent un accord préalable. C’est la loi qui les exige et c’est effectivement ma responsabilité de les préparer. Bref, la commission s’est réunie le 21 août 2017 et a retenu une base d’indemnisation, avec une forte décote. Malgré cette décote, la dette de l’Etat vis-à-vis de Sofico, qui s’était substituée aux Lébous, s’élève à 94 milliards FCfa. Voilà d’où vient ce fameux chiffre de 94 milliards ! Vous comprenez donc pourquoi, lorsque Ousmane Sonko m’accuse de détournement sur cette somme, j’en tombe de ma chaise... 

Mais 94 milliards FCfa, c’est énorme. On peut dire que la commission n’y est pas allée de main morte... D’où les suspicions...

Je ne vous laisserai pas dire cela. Même si je ne suis pas membre de la commission, et donc pas comptable de ses décisions, j’ose affirmer ici qu’elle a fait du bon travail puisqu’elle a permis à l’Etat d’économiser beaucoup d’argent. Car il existait un rapport d’expertise qui, sur une base scientifique, avait évalué la valeur des terrains expropriés et fixé un prix au mètre carré de 75 000 FCfa. Savez-vous le prix au mètre carré que la commission a retenu de son côté ? 37 000 FCfa !
Autrement dit, moins de la moitié du  prix déterminé à dires d’expert. On l’a échappé belle d’ailleurs, car si Sofico avait contesté en justice la décision de la commission, il est certain que l’addition aurait été beaucoup plus salée. L’expérience prouve que les tribunaux sénégalais sont soucieux de protéger les droits des particuliers face à l’Etat et ont une forte tendance à arrêter des prix d’indemnisation proches de la valeur vénale. On parle ici d’une superficie de 258 hectares, faites le calcul... Et, comme Sofico est un investisseur aguerri, dis- posant de toutes les ressources en termes d’avocats, d’experts, etc., je vous laisse deviner l’issue probable d’une éventuelle bataille judiciaire. Heureusement, la société a préféré négocier. Grâce soit donc rendue au Gouverneur de Dakar d’avoir réussi à imposer un prix qui fait plus que diviser par deux ce que l’Etat aurait réellement dû débourser. 

A la date d’aujourd’hui, l’Etat a-t-il libéré les 94 milliards au profit de l’investisseur ?

A ce jour, l’Etat a payé très exactement 3 445 475 000 francs. Car, par la suite, j’avais été informé de l’existence d’un litige entre certains héritiers lébous et Sofico, au sujet du rachat de leurs créances. Comme mesure conservatoire, j’avais immédiatement suspendu la procédure et, depuis lors, le dossier n’a pas bougé d’un iota. C’était bien avant les élucubrations de Ousmane Sonko. Mais je suppose que c’est plus porteur pour lui de m’attaquer sur 94 milliards que sur 3 milliards FCfa. 

Vous dites que seuls 3 milliards FCfa sont payés par l’Etat alors que Ousmane Sonko évoque 46 milliards. Il dit même connaître la banque dans laquelle le virement a été effectué ? 

Qu’il le dise et qu’il apporte ses preuves ! 

Sur quoi exactement porte ce litige entre Sofico et une partie des héritiers ?

Qu’est-ce que j’en sais ? Pardon de le dire ainsi, mais le fond de leur litige ne m’intéresse nulle- ment. La seule précaution que j’avais en tête et que j’ai prise, c’était de bloquer les paiements en attendant que ce contentieux entre personnes privées se dénoue.  
Car j’ai voulu éviter que se répète ce qui était arrivé à l’Etat il y a plusieurs années. Rappelez- vous : en 1997, on exproprie le terrain et on indemnise Saim Indépendance, propriétaire depuis 1979. En 2012, la justice annule le contrat par lequel Saim Indépendance s’était portée acquéreur et, du coup, l’Etat se retrouve avec de nouveaux propriétaires, les familles léboues, qu’il faut indemniser à nouveau, alors qu’entre temps, la valeur du terrain a augmenté. 
Concrètement, vous voulez donc dire que les 94 milliards ne sont pas de la trésorerie, mais que c’est juste une créance de Sofico sur l’Etat... 
Du papier ! De l’argent virtuel ! Voilà ce que sont ces fameux 94 milliards FCfa. Et, vu les contentieux qu’il y a autour de cette affaire, je me demande même si Sofico va un jour arriver à entrer dans ses fonds, au regard des milliards qu’elle a déjà décaissés au moment du rachat de la créance. 

Pourtant, Sonko a démenti ce propos ; il a révélé, le 18 janvier dernier, la délivrance à Sofico d’une lettre de confort adressée à une banque de la place et portant sur 46 milliards... 

Je n’en sais absolument rien. Posez donc la question à Ousmane Sonko puisque c’est lui qui a évoqué cette soi-disant lettre. Personnellement, je n’ai jamais vu, jamais aperçu, jamais lu, jamais entendu parler d’une lettre de confort dans cette affaire. Je répète que le directeur des Domaines ne gère qu’une chose dans ce type de dossier : la préparation des actes administratifs et réglementaires devant aboutir au paiement des indemnités fixées par la Commission de conciliation.
Je suis un maillon d’une chaîne administrative qui part de la Direction générale du Budget, qui met en place les crédits permettant de couvrir la dépense, jusqu’au Trésor, qui paie effectivement les indemnités. Moi, je ne vois même pas d’argent, pas un sou. Je ne gère que du papier et je ne suis ni au début ni à la fin de la procédure. Comment aurais-je pu détourner ne serait-ce qu’un centime ? J’aurais pu penser que Ousmane Sonko était simplement victime de son incompétence, mais puisqu’il a des intérêts dans ce dossier, cela signifie juste qu’il fait preuve d’une mauvaise foi extrême. 

Justement, à propos de ces prétendus intérêts de Ousmane Sonko dans ce dossier, pouvez- vous les prouver ?

Mais vous avez vu les révélations faites par vos propres confrères ! Sonko était le conseiller de certains des héritiers lébous, à travers non pas un, mais deux cabinets de conseil gérés par le même homme de paille.
Par l’intermédiaire de ces officines, il s’activait beaucoup dans le business du foncier, jouait les intermédiaires, encaissait des commissions, etc. Je n’ai pas besoin de fournir des preuves puisque celles-ci sont désormais sur la place publique, notamment l’enregistrement audio dans lequel on l’entend faire affaire avec les Lébous, sur un ton de mafioso. Dans ce dossier, il avait tout simplement des attentes financières, en tant que représentant d’une des parties, et c’est quand il a vu que ses attentes allaient être déçues qu’il s’est mis à employer son arme fétiche: le dénigrement.
Son vrai combat dans cette affaire n’a rien à voir avec la transparence ou avec la bonne gouvernance : c’est tout simplement une histoire de gros sous. J’imagine qu’il comptait peut-être sur ses honoraires dans ce dossier pour financer sa campagne électorale. Mais, lorsque les menaces et le chantage, des armes dont il se vante dans le document audio, n’ont pas fonctionné, ses plans ont été bousillés.
Vous savez, cette affaire n’est même pas une affaire politique, ce serait faire trop d’honneur à Sonko que de la classer dans le registre politique. Il s’agit tout simplement d’une médiocre tentative de vengeance, motivée par des intérêts personnels et bassement matériels qui ont été contrariés.
Sonko n’est pas un homme politique, c’est un petit caïd assoiffé d’argent. Je lui reconnais un seul talent: celui de savoir brouiller les cartes, détourner l’attention, lancer les gens sur des fausses pistes et esquiver les vraies questions. Quand il est acculé, sa tactique c’est d’ouvrir un front ailleurs. Ou alors, il répond par l’insulte et une fausse dérision à ceux qui lui posent des questions gênantes, ce qui est confortable puisque cela lui évite d’y répondre. 

Vous n’êtes pas tendre avec lui. Auriez-vous un problème personnel avec Sonko ?

Un problème personnel non, même si l’obsession négative qu’il semble nourrir pour ma personne peut laisser penser le contraire. Vous savez, je connais Sonko depuis plus de quinze ans. On a servi ensemble dans les mêmes structures: d’abord le Centre des impôts de Pikine- Guédiawaye, ensuite au Centre des Grandes entreprises. Jusqu’à une époque assez récente, je le considérais, naïvement, comme un jeune frère. Mais j’ai été témoin de sa transformation et j’ai été sidéré de voir l’individu mégalomane, hystérique, mythomane et pour tout dire foncièrement méchant qu’il est devenu. Ousmane Sonko était le secrétaire général du syndicat qui a décroché beaucoup d’acquis sociaux pour le compte des agents des Impôts et Domaines. Je suis le premier à le reconnaître, même si je déplore sa tendance à tirer la couverture sur lui seul et à zapper le travail des autres.
Car ce syndicat ne se résumait pas à la personne de Sonko : beaucoup d’autres collègues s’y étaient investi, s’étaient battu autant sinon plus que lui et pourraient revendiquer avec la même légitimité les résultats obtenus. Mais, comme toujours dans les œuvres collectives, c’est toujours l’élément le plus bavard que le public reconnaît, celui qui recherche en permanence la lumière même s’il n’est pas le plus méritant. 

Mais, il a pu porter le syndicat des impôts et domaines au-devant la scène...

C’est le succès de ce syndicat qui a grisé Sonko. Et, comme il ne pouvait pas le diriger éternelle- ment, il lui fallait une autre tribune qui lui permette d’exprimer sa folie des grandeurs. C’est comme cela que Pastef est né.
Vous, les journalistes, si vous faisiez une enquête sur ce parti, vous vous rendriez compte que les éléments les plus brillants qui étaient aux côtés de Sonko, comme membres fondateurs du parti, ont tous quitté le navire, certains au bout d’à peine quelques semaines. Ils n’ont pas supporté l’autoritarisme de Sonko et je pense aussi qu’ils ont découvert à quel point sa personnalité et ses actes étaient éloignés du discours moralisateur qu’il rabâche à longueur de journée.
Ne sont restés dans Pastef que les éléments moyens voire médiocres, ceux qui acceptent de lui vouer un culte de la personnalité ainsi que ceux qui, en mal de carrière, trouvent dans ce parti un exutoire pour leurs frustrations professionnelles. C’est un parti créé et dirigé essentiellement par des fonctionnaires.
Or, nous nous connaissons tous. Faites vos propres investigations, vous verrez qu’ils sont très loin d’être catalogués comme des agents brillants, à commencer par leur leader dont la carrière a été davantage portée par des postures syndicales que par une densité intellectuelle reconnue par ses pairs. La preuve: le nombre de bêtises qu’il profère tous les jours avec aplomb, sur la fiscalité, sur le pétrole, sur le franc CFA, j’en passe et des meilleures.

Il se dit que Sonko ne vous pardonne pas de n’avoir pas donné suite à certaines sollicitations dans le passé. 

Il est vrai que j’ai eu, à deux reprises, à lui refuser une faveur car j’estimais qu’il me demandait de tordre le cou à la loi. La première fois, je n’étais que receveur des Domaines. L’ancien directeur du Cadastre, Tahibou Ndiaye, lui avait offert un terrain agricole de plusieurs hectares. Sonko a eu un litige sur ce terrain et il a voulu m’imposer que l’Etat lui en donne un autre en échange. Bien entendu, j’avais dit niet : au nom de quoi, un problème privé qui ne con- cernait que lui devait être pris en charge par la collectivité ?
La deuxième fois, c’était en tant que directeur des Domaines. Il a débarqué un jour dans mon bureau en disant qu’il avait repéré un terrain libre et bien placé dans Dakar, sur lequel il voulait construire le siège de son parti, et dont il voulait que je régularise la situation au plan administratif.
Là aussi, j’ai refusé. Encore que ce n’était pas un refus définitif: je lui avais simplement fait observer qu’il fallait suivre une certaine procédure et faire preuve de patience car Pastef ne méritait pas plus un terrain que les innombrables partis politiques, associations, ONG et divers groupements qui se trouvent aussi en location. Je pense effectivement que ces deux incidents ne sont pas étrangers à la cabale haineuse qu’il mène contre moi.
Car Ousmane Sonko ne supporte pas qu’on lui dise non. Menaces, chantage, intimidation, terrorisme médiatique... sont ses armes. Devant celles-ci, beaucoup de gens préfèrent s’écraser pour ne pas subir ses foudres. Pas moi. 

Vous mettez donc en cause sa probité ?

A 100% ! Ne vous laissez pas tromper par sa barbichette, son côté donneur- de-leçons et ses hypocrites discours de Monsieur Propre. J’invite les jour- nalistes à se rendre à la Direction générale des impôts et des domaines où ils pourront vérifier très aisément que lorsque Ousmane Sonko en était le secrétaire général, la gestion des terrains attribués au syndicat était très subjective, très clanique. Des agents ont reçu des parcelles de terrain alors qu’ils ne remplissaient pas les critères, uniquement parce qu’ils étaient ses amis (notamment ses compagnons de route depuis l’université).
D’autres agents, qui remplissaient les critères, se sont vu blacklister par Sonko et ses affidés et n’ont pas eu de terrains, uniquement parce qu’ils s’étaient opposés à lui sur des questions de principe. Le vrai Ousmane Sonko est très différent de l’image qu’il cultive. Moi, je le connais trop pour me faire avoir par sa stratégie de mystification. Il est très vénal, malgré les apparences.
Sonko s’est fait vendre par la Sicap sa maison de la Cité Keur Gorgui pendant qu’il était en vérification fiscale dans cette société.
C’est plus qu’un conflit d’intérêts, c’est du trafic d’influences, à la limite de la corruption. L’homme est également assoiffé de pouvoir, rancunier, mais surtout, pour quelqu’un qui se pare de principes religieux, c’est un individu schizophrénique, d’une profonde mauvaise foi, d’où sa facilité à salir la réputation des gens.

Pour finir avec les accusations portées contre vous par Sonko, quelle suite comptez-vous donner à cette affaire ? Allez-vous porter plainte ? 

Mon premier réflexe avait été de porter plainte, de demander à la justice de mon pays de me blanchir de ces accusations aussi insensées que malveillantes, mais aussi de punir le calomniateur qui les a proférées. Mais, pour toutes les raisons que je vous ai expliquées au début de notre entretien, j’avais décidé de ne pas judiciariser ce dossier. Car je sais très bien ce que recherche Ousmane Sonko. Il est devenu drogué au buzz. Il faut tout le temps qu’il fasse la une de l’actualité. De préférence, en se plaçant dans une position de victime. N’ayant aucune base électorale, son action politique repose totalement sur Facebook, WhatsApp et les micros que les journalistes lui tendent de temps en temps. Je n’ai aucune envie de lui rendre service en le traînant en justice dans le contexte actuel.
Il va transformer la première convocation devant la police en meeting de lancement de sa campagne. Je vais attendre jusqu’après l’élection présidentielle, quand le peuple sénégalais lui aura infligé la raclée qu’il mérite et qu’il ne pourra plus prétendre que ma plainte est une stratégie de l’Etat pour torpiller sa campagne. Mais je peux vous dire que mes avocats piaffent d’impatience de le traîner en justice. 

Mais, au fond, est-ce que toute cette affaire des 94 milliards FCfa n’est pas symptomatique du problème foncier qu’il y’a au Sénégal ? 

Vous savez, la question foncière est très complexe car elle brasse beau- coup d’enjeux. C’est d’abord un enjeu anthropologique car nous sommes des Africains et nous avons un lien très fort avec la terre. On considère qu’une personne n’a pas complète- ment réussi sa vie tant qu’elle n’a pas construit sa maison. Cela crée évidemment une demande immense alors que l’offre, c’est-à-dire des terrains bien placés, n’est pas extensible à l’infini.
Or, quand il y’a un tel déséquilibre entre l’offre et la demande, la porte est ouverte à toutes les dérives. Heureusement que la politique des nouveaux pôles urbains du Président Macky Sall va permettre de décongestionner la capitale et donc de rééquilibrer l’offre et la demande, au moins pour Dakar qui concentre l’essentiel des enjeux, et donc des litiges, sur le plan foncier. L’autre problème, c’est la complexité des normes et des procédures qui régissent le foncier.
Nos textes ont vieilli: la loi sur le domaine national date de 1964 et le Code du domaine de l’Etat remonte à 1976. Or, ce sont les deux textes les plus importants. Nous avons donc un système complexe, pas toujours adapté à nos réalités socio-économiques, surtout celles du XXIème siècle, de surcroît dans un pays où il y’a beaucoup d’analphabètes. 

Qu’est-ce que le directeur des Domaines que vous êtes a fait pour prendre en charge ce problème ?

Sur la modernisation des normes, j’ai des idées très précises tirées de mes 27 années d’expérience administrative. Mais je dois rappeler que le président de la République avait institué, bien avant ma nomination, une Commission nationale de réforme foncière chargée du même chantier. Je n’ai donc pas voulu prendre des initiatives qui auraient donné l’impression d’une concurrence entre la Direction des Domaines et la Commission dirigée par le Professeur Sourang, un homme pour qui j’ai la plus grande estime. Nous avons préféré, nous les techniciens de l’administration domaniale, contribuer le plus utile- ment possible aux travaux de cette commission. Toutefois, dans un registre plus opérationnel, j’ai lancé plusieurs chantiers de modernisation des procédures, dans la limite de mes attributions réglementaires, avec pour optique de renforcer la transparence dans la gestion des dossiers et de faciliter la vie des usagers. 

Un mot sur la politique pour finir : qu’est-ce qui a motivé Mamour Diallo à s’engager en politique ?

Les raisons de mon engagement politique sont multiples et, honnêtement, j’aurais du mal à les hiérarchiser.
Mais je peux vous dire que cela faisait plus de quinze ans que certains de mes proches, surtout dans le quartier où j’ai grandi, me poussaient à prendre des responsabilités politiques. Mais j’avoue que je n’avais jamais été tenté ; au contraire même. J’étais un technocrate, ma carrière administrative se déroulait à merveille et ma nature réservée ne me destinait pas, selon ma propre analyse, à jouer les tribuns...
Toutefois, à un certain stade de la vie, on a envie de rendre à son pays un peu de ce qu’il vous a donné. Je me suis rendu compte qu’il y’avait une certaine forme d’égoïsme à se replier sur son confort personnel, avec sa famille, en gérant tranquillement sa carrière loin du tumulte de la vie publique. J’ai donc cherché la meilleure manière d’être utile et, puisque je n’ai pas la prétention de considérer que j’ai un destin national, je ne suis pas Ousmane Sonko (Rires), j’ai choisi l’échelon régional pour essayer d’améliorer la vie des gens.
Car Louga est dans mon Adn. J’y suis né, j’y ai grandi, mes parents y vivent toujours, j’y possède une maison, même si je n’ai jamais eu la chance, sur le plan professionnel, d’y être affecté. Je me suis dit que c’était le devoir des enfants de Louga, surtout ceux à qui la vie avait souri, de revenir vers leur terroir, de se mettre à son service et de se battre pour en faire l’une des régions les plus attractives du Sénégal. Je rajouterai enfin que ce choix a été facilité par la personnalité ainsi que la politique du président Macky Sall, qui m’a nommé directeur des Domaines sans m’avoir jamais rencontré : un leader exceptionnel qui est en train de mener le Sénégal vers un horizon très prometteur.
A le regarder faire, j’ai eu envie moi aussi de rejoindre le champ de bataille et d’apporter ma contribution à ce combat qui est le plus noble des combats: celui pour l’émergence économique et sociale de notre nation. 

L'Observateur 

 
Jeudi 24 Janvier 2019




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