Malick Mbaye : «Le peuple sénégalais subit un acharnement psychologique de la part de Karim Wade»


De la plainte du journal Le Quotidien contre Karim Wade à la prochaine présidentielle, en passant par les contradictions au sein de Bennoo, Malick Mbaye, le président de Conscience citoyenne s’exprime, entre autres, sur ces questions. M. Mbaye estime que Karim Wade inflige un «acharnement psychologique» sur le peuple sénégalais. L’actualité, c’est la plainte du journal Le Quotidien contre le ministre d’Etat Karim Wade. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je me refuse de commenter cette action comme toute plainte pendante devant la Justice. Dans la mesure où le ministre d’Etat Karim Wade est souvent prompt à porter plainte, à traduire en Justice ceux qui semblent ternir son image, je crois qu’il montrera tout le respect dû à notre Justice pour aller répondre devant elle. Main­tenant, je suis gêné, surpris, sidéré de voir l’homme à qui revenait la lourde charge d’offrir aux Séné­galais en quantité et en qualité ce dont ils ont le plus besoin, l’énergie, au lieu de mobiliser toute sa force, tout son savoir-faire, au profit de ce sacerdoce, se mettre à porter plainte ou à répondre par des coups médiatiques à des citoyens.
L’affaire de la drogue à l’aéroport de Casablanca est grotesque et très sérieuse. On ne peut pas la régler par le biais de la communication. Ceux qui gèrent la communication de Karim Wade, se trompent. Ils croient que la communication est une panacée et que, avec elle, on peut régler tous les problèmes. Alors que là, c’est un problème de responsabilité morale, de référence républicaine. Il s’agit de l’image du Sénégal qui est bafouée. Donc, on n’a pas besoin de coup médiatique. La seule personne capable de répondre, de laver son honneur, de permettre aux Sénégalais d’avoir au moins une idée claire de sa personne, c’est Karim Wade lui-même. Et nous, Mouvement Alter­na­tive citoyenne/Gueum sa Bopp, nous répétons : il doit se démettre de ses fonctions, porter plainte et se mettre à la disposition de la Justice. Nous ne pouvons pas comprendre que Karim Wade ait tout les droits sur nous. Je ne serais pas gêné si Karim était candidat à la présidence de la Répu­blique, parce que c’est un Sénégalais, au moins de premier ascendant sénégalais. Donc, il a le droit de se présenter à la Magistrature suprême, de briguer toutes les fonctions que peut briguer un Sénégalais. Mais en retour, il faudra qu’il s’érige en bandoulière la culture du rendre compte. Aujour­d’hui, pour régler cette affaire, ce n’est pas la presse marocaine qui peut la régler en nous disant qu’il y a homonymie, confusion. C’est assez gros comme un baobab et on ne peut pas le terrasser de cette manière ! Il faudra que Karim Wade pose un acte majeur. Le président de la Républi­que nomme qui il veut au poste de ministre. Le seul critère qui vaille, c’est celui de la confiance. S’il continue d’avoir la confiance du Président, cela ne nous gêne pas ; mais quand sa responsabilité, ne serait-ce qu’au conditionnel, est établie dans un fait, on ne peut pas concevoir qu’il se mette à se battre contre tous les medias. Ceux qui disent qu’il y a un acharnement sur Karim Wade doivent comprendre que c’est le peuple sénégalais qui subit un acharnement psychologique de sa part. Personne ne sait ce qui va se passer, mais il est au centre de toutes les préoccupations. Si j’étais à sa place, parmi ceux qui le conseillent, je lui dirais : «Ecoute, démal, pars, même si c’est pour revenir deux jours après, mais pour mettre tout le monde à l’aise !»

Et à son père aussi, vous allez demander de partir ? Le Prési­dent Wade vient de déposer une plainte contre Robert Bourgi pour l’affaire des sommes d’argent offertes à Chirac et à De Villepin ?
Cette affaire Bourgi est moins importante que celle de la drogue à l’aéroport de Casa. Il ne faut pas s’attendre aujourd’hui à avoir plus d’éclairage sur cette affaire Bourgi que sur l’affaire Segura. Il y a de jeunes Sénégalais qui, par inadvertance, se trouvent pris avec 250 grammes de chanvre indien et qui se retrouvent en taule pour deux ans. Nous ne pouvons pas comprendre qu’une affaire aussi grotesque puisse être posée sur la tête de quelqu’un qui a une responsabilité sociale parce que sa filiation le renvoie à la famille présidentielle, et une responsabilité républicaine en tant que ministre d’Etat de tout ce que vous savez. Nous du Mouvement Alternative citoyenne, l’affaire Bourgi ne nous intéresse pas grandement. Par contre, cette affaire-là (de drogue) doit être tirée au clair et aujourd’hui, ce n’est pas par des élucubrations, des démenties médiatiques qu’elle sera réglée. C’est une question de responsabilité morale et individuelle qui est posée et c’est à lui et à lui seul de l’assumer. A défaut de dé­missionner, qu’il tienne au moins un point de presse et s’adresse aux Séné­galais. C’est ce mépris-là qui dérange. Vous ne pouvez pas avoir toutes les charges qu’il a, et toujours répondre par l’entremise de quelqu’un. Tant qu’il ne le fera pas, à nos yeux, il est disqualifié à assumer des charges républicaines.

On assiste actuellement à une véritable bataille entre l’opposition et le pouvoir sur la question de la candidature de Wade. Quelle est la position de votre mouvement sur la question ?
La candidature du Président, avant d’être un problème juridique, est un problème social. J’ai des difficultés à comprendre qu’une personne au-delà de 85 ans puisse continuer à assumer les plus hautes charges dans un pays. Dans la famille qui est la cellule de base de la Nation, quand vous avez 75 ans, 80 ans, vous êtes déchargé de toute décision. A la limite, on vous informe ; on ne vous avertit pas. Donc, je ne peux pas comprendre qu’une personne âgée de plus de 80 ans puisse assumer les plus hautes charges dans une Nation tout en sachant ce que cela demande, ce que c’est qu’une campagne électorale, ce qu’est la charge présidentielle qui requiert la maîtrise de la totalité des capacités physiques et intellectuelles d’une personne. J’ai énormément de respect pour le Président Abdoulaye Wade. Et je suis de ceux qui croient qu’il a fait tout ce qu’il pouvait faire. Il a du mérite parce que ses réalisations sont visibles. Ceux qui disent qu’il n’a rien fait n’ont rien compris. Mais ceux qui disent également que Wade va être réélu par son bilan ne comprennent pas qu’au Sénégal, on ne vote jamais sur la base d’un bilan. On vote toujours parce qu’on a de l’espoir par rapport à la suite. Dans une Présidentielle, c’est le coefficient personnel de l’individu qui est mis en jeu. Le candidat à une Présidentielle doit faire rêver le peuple. Au-delà de 80 ans, on ne peut plus faire rêver le peuple.

Maintenant, il y a trop de pressions sur le Conseil constitutionnel. Je continue à lui faire confiance. Mais le capitaine du bateau n’a pas 70 ou 75 ans ; il en a 85 et plus. Aujourd’hui, il mérite un repos et, en partant, d’avoir tous les honneurs dus à son rang.

Et la posture de Bennoo qui n’arrive pas à se mettre d’accord sur une candidature unique ?
Au niveau de Bennoo Siggil Sene­gaal, malheureusement, ils sont en train de se perdre dans des contradictions extrêmement graves. Ben­noo, dans tous les discours de ses leaders, fait croire au peuple que Abdoulaye Wade, en aucun cas, ne peut être candidat. Mais s’il n’est pas candidat, quels sont la portée et le sens de la candidature unique ? Cela n’a pas de sens. Dans l’absolu, c’est très clair. Vous êtes joueur, on vous dit que vous n’êtes pas qualifié, il n’y a que deux choses : soit vous ne participez pas ; soit si vous participez, nous portons réserve et nous ne reconnaissons pas les résultats du match. Je vois les gens de Bennoo faire le tour du mon­de ! La bataille, au lieu d’être in­ter­na­tionale, a besoin d’être plutôt locale.

Pourquoi maintenant cette candidature unique est impossible ? Au sein de Bennoo, les principales forces en présence, ce sont le Parti socialiste (Ps), l’Alliance pour la République (Apr) et l’Alliance des forces de progrès (Afp). Pour le Ps, est-ce que vous pouvez imaginer que le parti le plus représenté, le plus ancien au Sénégal puisse se dire, pour quelque raison que cela soit, «pour cette élection-là, je ne vais pas me présenter ; je vais faire une coalition et me mettre derrière quelqu’un d’autre». Il n’y a pas de sens qu’une élection se passe au Sénégal, historiquement, sans la présence du Ps. Quand vous parlez de l’Afp, Moustapha Niasse est en train de vivre les cinq ou sept dernières années de sa vie politique active. M. Niasse qui a également écrit une bonne partie de la page de l’Alter­nance, avec tout ce qu’il représente comme symbole dans la scène politique sénégalaise, vous le voyez dire qu’il va se mettre derrière quelqu’un d’autre au nom de la logique de candidature unique ? Parlons de Macky Sall qui a fait défection des rangs du Parti démocratique sénégalais (Pds), qui a besoin d’un espace d’affirmation de sa légitimité personnelle, qui est en train de parcourir le Sénégal, et le monde même, vous croyez qu’il va accepter pour faire plaisir à quelqu’un d’autre de se ranger derrière le candidat de Bennoo ? A ce niveau, on se trompe. Et Houphouët Boigny avait l’habitude de dire que «la politique, c’est le réel avant d’être l’idéal». L’idéal, c’est ce qu’on veut ; le réel, c’est ce qui est possible, le normatif et le positif, ce qui est là et ce qui devrait être.

Maintenant, je voudrais rappeler aux forces de l’opposition et de la société civile ceci : il faudra que nous tous sachions, au moment où nous parlons, que les dernières élections au Sénégal attestent que la mouvance présidentielle est en termes de voix, majoritaire dans ce pays. Vous me direz que c’est une majorité politique, ce n’est pas une majorité sociologique, parce qu’ils ont perdu les grandes villes. Mais pour gagner une Présidentielle, on n’a pas besoin de gagner des symboles ! Ceux qui croient que le match est plié doivent s’en rendre compte. Mais ma position ne légitime pas que Wade doit se présenter. Je constate seulement que les forces unies autour de la mouvance présidentielle sont plus représentatives. Dans le camp du Pds, il devrait aussi y avoir d’autres profils capables de porter la candidature de la mouvance présidentielle. Si après 26 ans d’opposition, 12 ans de pouvoir, Wade peine à trouver une personnalité capable de porter le Pds, c’est que politiquement le Pds a échoué.

Il faut aussi décrier un fait, c’est la foultitude de candidatures à la Présidentielle. Une élection présidentielle, c’est une élection sérieuse. Et ce sur quoi les gens doivent se battre, c’est de limiter le nombre de candidats. C’est la raison pour laquelle, à défaut d’être augmentée, la caution de 65 millions doit être maintenue. Parce qu’il fallait dire malheureusement, soit il y a une pré-candidature qui dit que pour être président de la République, il faudra, au moins, avoir été porté par 15 maires, par 2 présidents de Conseil régional. Les signatures, ça n’a pas de sens. Mais en attendant, il faut qu’on joue sur l’argent. Je ne crois pas pour autant que ceux qui sont plus riches doivent nous diriger. Mais quand on est élu président de la République, on a une signature sur nos deniers publics à hauteur de 2 000 milliards. Donc, 10 000 milliards seront sous votre signature en plus de votre caisse noire. Maintenant qu’on nous dise de ne pas parler d’argent parce que c’est gênant, je ne suis pas d’accord. Autant l’aspect moral est important, autant il faut qu’on pense à cet aspect financier. Quand vous aspirez à diriger un pays, alors que vous ne valez pas 65 millions, vous n’avez pas autour de vous des gens qui vous soutiennent et qui peuvent mettre sur la table 65 millions, c’est qu’on ne mérite pas de l’être.

L’autre point, c’est que le nombre de candidats influe sur le taux de participation. Si un électeur doit rentrer dans un bureau de vote, choisir entre dix candidats et voter, s’il doit mettre trois minutes, s’il doit choisir entre 20 candidats, cela va lui prendre 6 minutes et à l’arrivée, il y aura des gens qui n’auront pas voté. Le nombre de candidats influe aussi sur le Trésor public. En plus, il y a aujourd’hui des candidatures farfelues qui s’annoncent et il faut le regretter. Un Président doit répondre à deux questions : qui es-tu ? Où étais-tu ? Si on te pose la première, c’est qu’on ne te connait pas et que tu n’as aucune chance de nous diriger. Et quand on te pose la deuxième aussi, c’est parce que tu n’as participé à aucun combat qui concerne le pays. Il y a des gens qui sont là, qui ont participé dans leurs domaines respectifs, à tous les combats. Il y a des candidatures fantômes qu’on ne voit jamais à deux élections successives. Il faut qu’on respecte les Sénégalais, le jeu démocratique au Sénégal.


Le Quotidien
Samedi 24 Septembre 2011