Mali : Contre les djihadistes, Wagner est-elle la solution ?


Après huit ans d’intervention contre les groupes armés terroristes, la situation sécuritaire au Mali ne s’est pas améliorée. Les organisations djihadistes se sont regroupées au sein d’entités plus fortes et se déploient dans d’autres pays. C’est dans ce contexte que la France, qui est la principale grande puissance occidentale à agir au Sahel, a décidé de retirer une partie de ses troupes. Une décision qui intervient après le deuxième coup d’État du Colonel Assimi Goita, déjà auteur du putsch du 18 en août 2018 qui a abrégé le second mandat d’Ibrahim Boubacar Keïta. Avant de passer à ce nouveau cap, Paris avait déjà suspendu ses opérations militaires avec les Forces armées maliennes et l’avait justifié par les velléités de Bamako à négocier avec des djihadistes. Si ces opérations avec l’armée malienne ont repris, la réorganisation de Barkhane qui cède la place à une coalition internationale anti-terroriste est plus que d’actualité.

Le 13 septembre, Reuters révèle que Bamako serait proche d’un accord avec la société paramilitaire russe Wagner. Citant des sources diplomatiques et sécuritaires, l'agence de presse ajoute que cet accord devrait déboucher sur l’envoi d’un millier de personnels dont les missions tourneront autour de la protection des autorités et de la formation des militaires maliens. Pour ce service, le groupe russe serait payé 6 milliards de francs FCFA par mois. La mèche vendue, Bamako parle de rumeur. Une rumeur tenace. Il faut attendre la tenue de la 76eassemblée générale des Nations-Unies pour que le Kremlin avoue. Par la voix de son ministre des Affaires étrangères, la Russie reconnaît l’existence de pourparlers entre le Mali et une compagnie privée de sécurité. Par contre, Sergueï Lavrov précise que le Kremlin n’y est pas mêlé. Dans son allocution à la tribune des Nations-Unies, le Premier ministre malien, Choguel Maiga, évoque sans mentionner Wagner, la nécessité pour le Mali d’explorer les voies et moyens pour mieux assurer sa sécurité après avoir été abandonné en « plein vol » par la France. Un peu plus tôt, le ministre des Affaires malien s'affiche avec son homologue russe, Serguei Lavrov et annonce la volonté des deux pays à renforcer leur partenariat dans les domaines de défense et de sécurité, du développement économique et social. Là non plus, pas d'allusion à Wagner.

Wagner, une jeune compagnie de sécurité qui fait trembler le monde

Créée en 2014 par Evgueni Prigogine, un proche de Vladimir Poutine, Wagner est commandé par un autre homme. Son nom : Dmitri Outkine. Cet ancien officier présenté comme un néo-nazi a fait carrière dans le renseignement militaire russe. C’est lui qui aurait donné le nom de Wagner à cette compagnie, en référence au compositeur allemand Richard Wagner ou en hommage à Robert Wagner qui dirigea l’organisation anti-communiste et le SAIMR (South African Institute for Maritime Research) pendant la guerre froide. 

Malgré son jeune âge, Wagner s’est forgé une réputation sulfureuse dans des conflits surmédiatisés ayant lieu dans des pays comme la Syrie, la Libye, le Mozambique et en République centrafricaine. C’est en Afrique centrale que la compagnie russe a surtout fait parler d’elle. Ce pays qui a connu des années de trouble a besoin de retrouver sa quiétude. Élu à la tête du pays à la suite d’une transition de 3 ans conduite par Catherine Samba-Panza, Faustin Archange Touadera veut rétablir l’ordre en équipant les Forces armées centrafricaines. Pour cela, il compte sur le traditionnel partenaire du pays qu’est la France. Mais l’ancienne puissance coloniale échoue à transférer des armes aux forces centrafricaines. Les Russes qui se sont pourtant opposés à cette opération comme le souligne Afrique XII, sautent sur l’occasion pour proposer un autre deal à Touadera. En 2017, la Russie obtient des Nations Unies une levée partielle de l’embargo sur les armes qui vise la Centrafrique depuis 2013. Le site opex360 visité à Dakaractu énumère 900 pistolets Makarov, 5200 fusils d’assaut, 140 armes de précision, 840 fusils mitrailleurs, 270 lance-roquettes et 20 armes anti-aériennes ». Des armes qui arriveront à Bangui accompagnées, car Moscou a convaincu les autorités centrafricaines de l’envoi d’au moins 170 instructeurs russes. Des instructeurs qui se sont trouvés être des agents de Sewa Security Services qui serait la succursale de Wagner en Centrafrique. Son directeur  Jean Mexin Atazi Yeke soutient dans un démenti envoyé à RFI que cette société n’a pas de lien avec Wagner encore moins avec la Russie. 

Quoi qu’il en soit, des russes sont aperçus dans la garde rapprochée du président Faustin Archange Touadera et leurs tenues sont assez parlantes sur leur appartenance à Sewa Security Service alors que la Russie continue ses livraisons d’armes à la Centrafrique pour l’aider à tenir face aux rebelles de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC). Mais comment faut-il lire ce regain d’importance du continent africain pour la Russie ? Une note titrée « Le Grand Retour de la Russie en Afrique » de l’IFRI rédigée par Arnaud Kalika s’est consacrée à l’analyse. 

La Russie en Afrique 

 « La Relance de la politique à partir de la fin 2014 peut s’expliquer par la conjonction de trois facteurs : les sanctions occidentales adoptées contre la Russie, après l’annexion de la Crimée, l’entrée en vigueur de l’Union européenne eurasiatique (UEE) et le début des frappes aériennes russes en Syrie », amorce l’auteur de la note. « En outre, les autorités russes cherchent de nouvelles ressources financières et économiques hors du champ d’application des sanctions européennes et américaines », découvre-t-il non sans noter qu’en 2017 le poids des échanges commerciaux entre l’Afrique et la Russie était de l’ordre de 5 milliards de dollars, selon des chiffres officiels. Si on inclut les chiffres de l’Afrique du nord, ce chiffre monte à 17 milliards de dollars alors que ceux avec l’UE avaient atteint 275 milliards de dollars. Même les relations économiques avec la Turquie se portaient mieux.  Dans le marché de l’armement, c’est l’Algérie qui polarise la plus grande partie de l’exportation russe avec 78% alors que le reste du continent se contente de 13%, nous apprend la même note lue à Dakaractu. Poursuivant, elle indique : « de 2013 à 2017, les exportations ont baissé de 32% par rapport à la période 2008 -2012. Les chiffres de Rosoboronexport sur la période 2011-2015 indiquent pour leur part que la Russie représente 30% des importations d’armement pour l’Afrique subsaharienne ». 

Il est donc apparent que le Kremlin a besoin de gagner des parts de marché en Afrique avec un accent sur la coopération militaro-technique et l’exploitation des ressources naturelles. En République centrafricaine, on n’est pas loin d’un tel schéma, avec d’un côté Sewa Security Service qui s’occupe de la sécurité et Lobaye Invest Sarlu dont les activités se tournent vers l’exploitation des ressources minières. Mais c’est très souvent au détriment du respect des droits humains. Une enquête menée par l’ONG The Sentry et CNN met en cause des mercenaires russes dans des cas de torture et de meurtres de civils en République centrafricaine. 

Wagner citée dans plusieurs cas d’exactions contre des civils en RCA

Cette enquête qui s’est concentrée à Bambari, dans le centre du pays, a documenté des cas d’exactions commis sur des civils sur l’autel de la traque des membres de la milice des Seleka. « Un rapport compilé par la force de maintien de la paix des Nations-Unies en RCA, connue sous le nom de Minusca, a déclaré qu’à Bambari, les FACA et les forces bilatérales, en particulier les Russes et les éléments soupçonnés d’être des syriens, peuvent avoir commis des crimes de guerre, en particulier en exécutant des civils et d’autres personnes qui ne prenaient pas part aux hostilités », dévoile l’enquête conjointe. À la Mi-mars 2021, la Minusca a indiqué que trois hommes auraient été exécutés par les FACA/Forces russes alors qu’ils n’étaient pas armés. Dans la même période, des experts des Nations-Unies se sont inquiétés du recrutement et de l’utilisation des sous-traitants militaires privés et étrangers en matière de sécurité par le gouvernement centrafricain et leurs contacts étroits apparents avec les soldats de la paix de l’ONU. 

Pour le groupe de travail, cette réduction des frontières entre les opérations civiles, militaires et maintien de la paix pendant les hostilités crée une confusion sur les cibles légitimes et augmente les risques de violations généralisées des droits de l’homme et du droit humanitaire. Dans les zones riches en ressources naturelles, les populations civiles seraient expulsées par des mercenaires russes. The Sentry cite l’exemple de Ndassima, dans la préfecture de Ouaka où une concession de 25 ans a été accordée à Midas Ressources, réputée proche de la Russie. Malgré ses 500 milliards d’investissement pour développer le site et ses activités connexes, Axmin a dû faire sien l’adage contre mauvaise fortune, bon cœur. Pour Bangui, la société canadienne a violé la loi en abandonnant ses opérations après la crise qui a éclaté en 2012 et qui a occasionné l’occupation du site par des orpailleurs clandestins. 

Au Mali, les richesses du sous-sol intéresseraient ces nouveaux seigneurs de…la paix dont l’arrivée semble imminente. Reuters affirme que l’accord pourrait garantir à la société russe de sécurité l’accès à trois gisements miniers, deux d’or et un de magnésium.  Il reste maintenant à savoir si Bamako trouvera son compte dans l’intervention de cet acteur qui n’est pas bien vu par les autres partenaires. « Le gouvernement de transition joue avec un risque extrêmement élevé s’il cherche une compagnie privée militaire comme Wagner pour répondre aux dynamiques sécuritaires au Mali », s’inquiète Adam Sandor, chercheur associé au Centre FrancoPaix en résolution des conflits et Missions de paix de l’Université de Montréal. 

Wagner face à l’échec de l’approche militaire

Choguel Maiga a refusé de livrer le nom de la société avec laquelle le gouvernement malien est en négociation. En revanche, le Premier ministre de la Transition assure qu’un accord sera bientôt trouvé.  Ce qui devrait perturber davantage le sommeil d’Emmanuel Macron qui ne cache pas son hostilité à l’implication de forces paramilitaires russes dans la guerre contre le terrorisme.

 Son amertume sera d’autant plus grande que les forces françaises se sont employées ces derniers mois à décimer la branche sahélienne de l’État Islamique. Le dernier gros coup réussi par Barkhane remonte au 17 août dernier avec l’élimination d’Adnan Abou Walid al Sahraoui qui était le chef de l’ex EIGS. Mais ce ciblage des têtes de pont du jihad sahélien s’est révélé inefficace sur le long terme. La preuve que le tout sécuritaire est loin d’être la solution à la crise actuelle que traversent le Mali et ses voisins. « Une approche militariste au lieu d'une approche politique ne peut qu’accentuer la violence dans le contexte d'aujourd'hui », prévient Adam Sandor. 

Le chercheur est surtout préoccupé par le rapport de Wagner au respect de la Convention de Genève. Pour lui, contrairement à Barkhane qui est tenue de respecter cette convention même si elle est responsable de quelques bavures, les mercenaires russes auraient une flexibilité énorme dans l’usage de la violence armée. Ce qui risque d’augmenter de façon significative les risques d’explosion de la violence au Mali, notamment contre les populations civiles. Il est fortement attendu des autorités de la transition qu’elles tiennent compte de ce paramètre si tant est qu’elles veulent « sécuriser les personnes et les biens ». De son côté, renseigne le service russe de BBC, Wagner aurait déjà lancé le processus de recrutement de son personnel au Mali.
Mardi 28 Septembre 2021