Mais qui est donc Macky Sall ?

Dans un entretien exclusif accordé à Starafrica Macky Sall président de l'Alliance pour la République APR et candidat aux élections présidentielles sénégalaises retrace son parcours politique, évoque ses ambitions mais également ses craintes pour l'avenir du Sénégal.


Bonjour M. Macky Sall pourriez-vous nous dresser en quelques mots votre parcours ?


Je vais tout d’abord débuter par ma formation parce qu’elle impacte un peu sur mon cursus politique, je suis ingénieur de formation géologue et géophysicien. Je suis entré en politique juste à la sortie de l’école au PDS (Parti Démocratique Sénégalais) dirigé par Me Abdoulaye Wade, le principal parti d’opposition au parti socialiste à l’époque. J’ai occupé différentes fonctions aussi bien au niveau de la société des pétroles du Sénégal (PETROSEN) comme directeur général puis plusieurs postes ministériels dont celui des énergies, des mines et de l’hydraulique, j’ai été ministre de l’intérieur et des collectivités locales, premier ministre avant de devenir président de l’assemblée nationale. Il y a eu par la suite un différend très sérieux entre le président et moi sur la question du contrôle de l’exécutif par le parlement c’est à la suite de ce différend qu’une loi a été votée pour me destituer et tenter de me museler, après avoir évidemment refusé la demande de démission qui émanait du chef de l’Etat. Depuis lors j’ai crée mon propre parti politique l’Alliance pour la République (APR) et, fidèle à ma conscience, je poursuivi mes idéaux de démocratie et de développement pour le Sénégal.


Qu’est ce qui peut amener un entrepreneur comme vous initialement à s’engager dans la sphère politique ? Quel a été l’élément déclencheur ?


L’élément déclencheur de mon engagement politique a été la lutte contre les injustices, depuis ma tendre enfance j’ai toujours été horriblement choqué par les injustices. Mais j’ai aussi compris très tôt qu’il fallait se battre pour réussir et pour que le monde qui m’entoure soit plus juste et équitable. La démocratie était alors le meilleur moyen d’y parvenir, d’entendre et de faire respecter les droits des populations, le libéralisme social la meilleure voie pour libérer les énergies au service du social et du mieux vivre. La ligne directrice de mon programme pour 2012 est d’ailleurs : la justice sociale. C’est le combat de ma vie.


Vous êtes aujourd’hui candidat aux élections présidentielles sénégalaises ; dans un contexte politico-économique difficile ; quelles sont les propositions innovantes que vous faites aux sénégalais ?


Les propositions innovantes sont nombreuses dans mon programme qui s’intitule « Yoonu Yokkuté » en wolof ou « le chemin du véritable développement ». Mais au rang des mesures innovantes j’en citerai 3 : la Couverture Maladie Universelle, la Bourse de Sécurité Familiale et le Pacte Petite Entreprise et PME/PMI ou Pacte « 3P ». Mon programme est entier tourné vers la justice sociale et ce que j’appelle « la productivité développante ». Ma démarche s’appuie sur une de nos forces la solidarité dans les groupements, les organisations, les GIE et les familles. Nous ferons avec sénégalais et plus pour eux ni contre eux car cela a toujours échoué: voilà l’innovation et la rupture majeure que je propose aux jeunes, aux femmes et au monde rural en particulier. Nous agirons ensemble pour le développement.


La perception des sénégalais aujourd’hui est que l’opposition est fortement divisée malgré tous les efforts déployés pour l’unité des différents mouvements (rencontres et séminaires, etc.…) que répondez –vous à cela ?


On fait un mauvais procès à l’opposition, elle n’est pas plus divisée qu’ailleurs. Prenons l’exemple de la France pour aller aux élections présidentielles de 2012 le parti socialiste (PS) a aligné cinq candidats qui ont été à des primaires âprement disputées pour finalement sortir un leader. Voyons les Etats-Unis, le parti démocrate ou le parti républicain vont à des primaires avec plusieurs candidats au départ. Pourquoi voudriez vous que quand il s’agit des africains il y ait une candidature unique ? Je trouve qu’il y a un problème dans la perception même de ce que nous sommes, nous ne pouvons pas faire exception à ce qui se fait dans le monde entier. L’exemple de la Côte d’Ivoire récemment a montré que l’opposition est partie plurielle contre Gbagbo au 1er tour et Ouattara a gagné au 2ème. Au Sénégal dans l’opposition, il y a presqu’une quarantaine de formations politiques ou citoyennes. Ma conviction je l’ai souvent dit et répété est qu’en politique l’unicité n’existe pas, elle est réservée au domaine de la religion. J’en ai toujours appelé à l’unité dans la diversité car c’est une élection à deux tours et le meilleur moyen de mobiliser l’électorat pour la victoire finale est la participation de tous les candidats. Il nous faut mettre en synergie nos ressources humaines et que le meilleur d’entre nous puisse être le candidat de tous au second tour. Je pense qu’on ne peut pas faire mieux et ceux qui prétendent le contraire sont des idéalistes libres d’avoir leurs idées.


Cette division qui règne dans l’opposition sénégalaise ne risque t-elle pas de donner plus de légitimité au président A.Wade qui est perçu comme un leader à la tête d’un parti uni ?


Il n’y a pas de division mais une diversité parce qu’au moment ou j’arrivais dans l’opposition il y avait déjà d’autres mouvances politiques, au contraire nous avons fait l’effort d’être ensemble, d’avoir des unités d’action et nous nous sommes tous retrouvés au delà de « Bennoo Siggil Sénégal » avec d’autres forces politiques, de la société civile au sein du mouvement des forces vives du 23 juin. L’unique division qui existe porte sur la candidature unique ; les gens ne sont pas d’accord sur le fait qu’il y ait un seul candidat ce qui est normal c’est une élection à deux tours allons y et n’oublions pas que le choix incombe aux citoyens sénégalais, c’est à eux de désigner qui doit les représenter, qui sera leur nouveau Président. Ce n’est pas le rôle des chefs de parti ou autre, laissons les électeurs trancher sur la base de nos projets politiques. Pour en revenir à votre question, le fait qu’il y ait plusieurs candidats dans une élection proportionnelle nationale n’avance en rien le président A.Wade ; L’essentiel est que ces candidats de l’opposition réunissent autour de leur personne 50% des voix pour amener le président au second tour. Si nous représentons vraiment quelque chose devant l’électorat, nous ne devrions pas avoir peur d’affronter le président A.Wade à 3 ou 4. C’est ensemble que nous le battrons.


Il semblerait que l’article 104 du code constitutionnel soit à l’origine des divergences qui existent actuellement, quel est votre avis la dessus ?


Cet article est clair comme l’eau de roche, c’est justement lui qui a permis au Président de prolonger son mandat à sept ans entre 2000 et 2007. Il a été élu en 2000 pour un septennat donc son mandat devait prendre fin en 2007. Entre temps, en 2001, en cours de mandat il fait adopter une nouvelle constitution dans laquelle il propose la limitation des mandats à deux et la nouvelle constitution est d’application immédiate donc pour ne pas s’arrêter à cinq ans, du fait de la nouvelle constitution, il (ndlr : Président A. Wade) prend ce fameux article 104 qui précise que toutes les dispositions de la nouvelle constitution sont applicables à l’exception de la durée du mandat en cours qui ira jusqu'à 7 ans. C’est donc très clair, la durée de son 1er mandat a duré 7 ans et le 2ème a duré 5 ans. Les jeux sont faits le Président ne peut pas se présenter à un 3ème mandat, il n’y a aucune autre interprétation possible sauf à pratiquer un coup de force et une forfaiture.


Pourrions-nous connaître votre avis sur le récent séminaire organisé par le pouvoir qui a réuni d’éminents juristes sénégalais et internationaux, tous experts en droit constitutionnel, qui avait pour but de discuter de la recevabilité ou de l’irrecevabilité de la candidature du président A. Wade aux élections présidentielles ?


C’est une farce puisque au Sénégal, il n’y a pas de voix constitutionnalistes pour relayer le discours, il fallait bien aller chercher à l’étranger des voix nouvelles, mais cela n’a aucune importance par rapport à la réalité de l’inconstitutionnalité de la candidature du Président.


On arrive à un moment crucial de l’interview et j’ai choisi de vous soumettre un cas qui est celui du mouvement « Y en a marre » que vous devez certainement connaître ? Ce mouvement se revendique comme la voix du peuple sénégalais en particulier les jeunes ?


Je les aime bien, ils sont sympathiques et courageux. Ils ont su s’imposer à tous comme un mouvement patriotique, qui s’intéresse aux problèmes de la jeunesse mais aussi de la société sénégalaise, de plus ils ont eu le courage de s’appeler « Yen a marre » une expression qui caractérise parfaitement la situation vécue par la population sénégalaise, que ce soit la violation de la constitution, la cherté de la vie, les délestages, etc… Donc ces jeunes traduisent le désarroi général nous devrions les encourager à poursuivre ce combat. Plus généralement la politique ne doit pas être le monopole des hommes politiques et chacun avec ses outils, sa démarche et son imagination doit apporter quelque chose, dénoncer les injustices et s’impliquer dans la vie du pays. C’est par l’effort collectif et constant que nous relèverons les défis du Sénégal. Je gouvernerai dans un large rassemblement national avec les meilleures compétences issues de la vie politique ou citoyenne.


Quand on entend les déclarations de certains responsables de ce mouvement ne peut-on pas craindre des troubles pré ou post électoraux ?


Les troubles sont une menace réelle, si vous avez un Président qui a fini son mandat mais qui refuse de partir, qui veut briguer un 3ème mandat qui n’est pas constitutionnel et qu’en face vous avez un peuple qui tient à sa souveraineté et au respect de la volonté populaire, la confrontation est inévitable. Ne nous voilons pas la face ! Aujourd’hui seul le Président Wade peut aider le peuple à éviter une confrontation puisqu’il a toutes les cartes entre ses mains, il est à la tête de toutes les institutions, il peut renoncer à un mandat inconstitutionnel et sortir la tête haute ou ne pas avoir la hauteur de vue et finir comme certains c'est-à-dire en prison ou en résidence surveillée. Je souhaite qu’il soit à la hauteur pour éviter au Sénégal un bain de sang ou une situation très regrettable.


Quel avenir proposez vous à la jeunesse sénégalaise de la diaspora qui bénéficie d’une expertise et une reconnaissance étrangère mais qui a du mal à trouver sa place au Sénégal ?


Nous avons une diaspora extrêmement bien formée à l’étranger surtout en France, en Europe et aux Etats-Unis, il y a énormément de cadres sénégalais, africains qui sont en compétition dans les plus grandes firmes ou les meilleurs écoles. Le problème que nous avons c’est que ces hauts cadres qui évoluent dans la finance internationale, dans les grandes multinationales ont du mal effectivement à être utilisés puisque nous n’avons pas trouvé les cadres appropriés d’absorption. Il n’y a que l’Etat et la fonction publique qui ne sont pas adaptés puisque les salaires qui sont proposés sont trop faibles par rapport à ce qu’ils gagnent ailleurs. Mais ces hommes et femmes sont utiles et la réponse ne situe pas toujours dans un retour sec et définitif mais aussi dans des allers/retours et dans l’utilisation intelligente de cette expertise pour transférer des compétences dans des cycles réguliers de formation ou pour intervenir en expertise ponctuelle ou défendre nos intérêts dans des négociations internationales. Parce qu‘en réalité l’Afrique est souvent bernée et nos intérêts sont mal préservés dans beaucoup de secteurs : pêche, mines, télécommunications etc. à moins de recourir à des expertise hors de prix. Nous leur ouvrirons donc le Pacte Petite Entreprise et PME/PMI, un Small Business Act à la Sénégalaise élément clé de mon programme et de la productivité développante. Il permettra une « discrimination positive » dans des marchés publics. Ainsi des cadres sénégalais se regrouperont dans des bureaux d’études divers et auront des facilités de l’Etat au besoin. Cela permettra non seulement le transfert de technologies mais aussi d’accumuler au fil des ans des compétences qui seront profitables au Sénégal et à l’Afrique. En tout cas j’invite les diasporas africaines à entretenir des liens réguliers avec l’Afrique et leurs pays d’origine c’est avec eux que nous enclencherons la dynamique du véritable développement qui offrira les conditions d’un retour définitif. Ils ne doivent pas se décourager et la mise en place de la politique de diaspora que je propose les y aidera.


On arrive à la fin de cette interview, je vous laisse le mot de la fin


Le dernier mot serait une invitation à cette diaspora pour leur dire que le combat que nous menons n’est pas seulement un combat des hommes politiques. Il va au delà de cet aspect parce que lorsque la démocratie est en danger, lorsque la République est menacée, il est du devoir de chacun de s’impliquer qu’on soit homme politique, syndicaliste, qu’on soit dans une association, on se doit de répondre à l’appel du pays, donc de s’inscrire sur les listes électorales, de comparer les programmes et les méthodes et de voter en son âme et conscience le moment venu pour la consolidation de la démocratie, de la liberté et pour œuvrer au véritable développement celui en faveur de la population et pas de quelques uns.
Je les invite à nous rejoindre, à nous soutenir, à nous critiquer aussi au besoin mais l’essentiel c’est de venir participer à ce combat pour l’avenir du Sénégal, car notre pays ne sera que ce que nous en ferons ensemble. Je vous remercie.

(Starafrica.com )
Mercredi 7 Décembre 2011