DAKARACTU.COM La décision de mettre Hissène Habré dans un avion à destination de N’Djamena ce lundi est lourde de dangers et d’incertitudes. Il y a d’abord un problème de base juridique. On n’est pas dans une procédure d’extradition, qui supposerait une demande du Tchad, l’arrestation de Habré et un jugement définitif autorisant son acheminement vers son pays d’origine. On est dans une procédure d’expulsion. Or, Hissène Habré, à qui a été accordé l’asile politique au Sénégal en 1990 en vertu d’un décret qui n’a jusqu’ici pas été rapporté, ne peut pas être expulsé. D’autant qu’il n’a violé aucune règle régissant son séjour au Sénégal, observant une réserve totale. S’il ne peut l’exprimer publiquement, Habré est convaincu, au vu de tout ce qu’il a connu depuis l’avènement d’Abdoulaye Wade au pouvoir en 2000, que l’asile qu’Abdou Diouf lui avait accordé s’est transformé en prise d’otage. Il goûte trop peu la façon dont Abdoulaye Wade, qui ne l’a jamais vu, parle de lui, et les nombreuses fois où il le présente comme un hôte encombrant. L’inimitié que voue Wade à Habré a des origines lointaines. L’ancien président tchadien a été le chouchou de tous les adversaires de Wade. Léopold Sédar Senghor aimait l'intellectuel fin en lui. En quittant le pouvoir, il l’a recommandé à son successeur, Abdou Diouf, qui lui a accordé l’asile en 1990. Wade n’est pas l’ami de l’ami de ses ennemis. Et cela se voit au point que Hissène Habré a pensé un moment quitter le Sénégal pour l’Arabie Saoudite. Mais le Comité des Nations unies contre la torture, l’Union africaine et les organisations de défense des droits de l’homme ont exigé que Wade le retienne à Dakar.
Retenu au Sénégal contre son gré depuis plusieurs années, Habré n’acceptera pas d’être expulsé vers le Tchad où il a été condamné à mort par contumace, le 15 août 2008, pour crimes contre l’humanité par un tribunal de N’Djamena. Ce lundi s’annonce houleux. Différentes organisations de la société civile, des leaders d’opinion, des marabouts de Touba et de Tivaouane comptent manifester pour s’opposer à son départ du pays. Les associations de défense des droits de l’homme vont elles aussi se mobiliser pour défendre un principe général du droit : l’interdiction de livrer un individu à un Etat susceptible de lui appliquer la peine de mort. Saisi par dakaractu.com, Alioune Tine, président de la Raddho, confie : « Nous avons interpellé le secrétaire général des Nations unies et le haut commissaire des Nations pour les droits de l’homme pour qu’ils demandent à Wade de renoncer à son projet. Nous demandons également à l’opinion nationale de s’opposer à l’expulsion d’un être humain dans un pays où existent la peine de mort et la torture. »
Il n y a pas que cela. Hissène Habré, qui va vers l’humiliation et la peine capitale dans son pays, peut être tenté par une mort utile au Sénégal. A l’un de ses amis qui l’a joint au téléphone dans la nuit d’hier, il a confié : « J’en ai marre d’être traité de manière arbitraire et brutale depuis plusieurs années. J’ai gagné tous mes procès, et on a révisé la Constitution pour pouvoir continuer à me poursuivre. Si on veut me retirer l’asile, on doit me laisser trouver une autre terre d’accueil. Je n’accepte pas qu’on me conduise vers l’échafaud. Je ne vais pas me laisser faire. Je vais résister jusqu’à la mort. » Ces propos ont leur sens quand ils sortent de la bouche d’un guérilléro, leader de la première révolution maoïste qui a triomphé en Afrique. Mais comment va-t-il s’y prendre pour « résister » ? Avec quels hommes et quels moyens ?
En tout état de cause, ce lundi s’annonce trouble si le gouvernement du Sénégal persiste à vouloir expulser Habré. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Une première tentative de l’expulser vers le Nigeria s’était heurtée en novembre 2005 à un tir de barrage des Sénégalais. Le président en exercice de l’Union africaine (UA), Teodoro Obiang Nguema, et le président de la commission, Jean Ping, à qui Wade a écrit pour les informer de sa décision, sont susceptibles de s’opposer à l’expulsion vers le Tchad. La position de l’UA est claire : le Sénégal doit juger Habré ou l’extrader vers la Belgique qui a décerné un mandat d’arrêt international contre lui. Or, Abdoulaye Wade ne veut pas commettre l’erreur symbolique de remettre un ancien chef d’Etat africain à un juge européen, comme il l’a dit dans ses correspondances adressées à Nguema et à Ping.
Reste une question pressante : Pourquoi Wade soulève-t-il le lièvre Habré dans ce contexte précis de graves menaces contre son pouvoir ? Si l’opposition parle de diversion pour détourner l’attention des Sénégalais des cafouillages du régime, un membre de la famille de Habré explique : « La raison de tout cela est mystique. On veut chasser Hissène pour ses biens. Il y a un futur candidat à la présidentielle qu’un mage a convaincu qu’il sera élu s’il passe une nuit dans la maison d’un ancien chef d’Etat en vie. »