Le rêve brisé de Karim Wade (Par Cheikh Yérim Seck).


DAKARACTU.COM - Pour Karim Wade, tout s’est effondré comme un château de cartes, à une vitesse supersonique. Celui qui, il n’y a pas longtemps, avait la haute main sur les affaires de l’Etat, faisait et défaisait les carrières, paraissait promis au destin du Gabonais Ali Bongo Ondimba… est aujourd’hui au creux de la vague. Aussi paradoxal que cela puisse être, le fils du chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, est le plus grand perdant des soulèvements populaires des 23 et 27 juin. Le 23 juin, ceux qui se sont élevés aux quatre coins du pays pour exiger le retrait du projet de réforme constitutionnelle voyaient dans ce texte une manœuvre d’Abdoulaye Wade pour se faire succéder par son fils. Cette lecture à haute voix de la loi par l’opposition et la société civile a mobilisé des milliers de manifestants qui ont bravé la répression pour faire échec au projet de succession dynastique. La renonciation forcée de Wade père à modifier la Constitution a ainsi été interprétée comme le fiasco d’une basse manœuvre orchestrée au profit de Wade fils. Encore une fois, derrière le chaos et le désordre a plané l’ombre de Karim Wade. Le 27 juin, il était directement dans le viseur des manifestants qui se sont violemment élevés contre son incapacité, en tant que ministre de l’Energie, de fournir du courant électrique. Le visage décomposé, les traits tirés, le regard sombre, il est apparu à la télévision nationale, à côté du directeur général de la Société nationale de distribution d’énergie électrique (Senelec) chargé, dans le rôle du fusible, de donner des gages de rétablissement du courant et de lancer un appel au calme.
 
Celui qui a toujours pris les protestations des Sénégalais pour des menaces d’écolier en classe, vite oubliées à la sortie de l’école, a brutalement appris que le Sénégal est beaucoup plus complexe que le pays qu’il imaginait. Et que son peuple, quoique pacifique, est loin d’être servile. Mais aussi et surtout que son président de père n’a plus de marge de manœuvre pour lui céder le fauteuil douillet qu’il occupe.
 
Même son maintien au gouvernement est devenu subitement problématique. Réunis au sein du Mouvement des forces vives du 23 juin (M23), les partis d’opposition, les associations de la société civile, les mouvements de jeunes, les syndicats… réclament son départ et la fin du népotisme familial au sommet de l’Etat. Paniqué par un déferlement aussi large qu’inattendu, Karim Wade a réagi par une lettre ouverte adressée aux Sénégalais. Les réactions qui se sont ensuivies ont été aussi incisives que diverses. Signe des temps, aucune voix dans la sphère du pouvoir ne s’est élevée pour le défendre. Tout au contraire, des responsables de partis et de structures de la mouvance présidentielle ont fait des sorties publiques pour réclamer sa démission ou son limogeage. Ils ne sont pas les seuls à le voir comme un boulet, une sérieuse hypothèque sur la victoire de leur camp politique en 2012. Le tabou est tombé au cours des consultations initiées par Wade au lendemain des soulèvements populaires. Les langues ont commencé à se délier et les proches du président n’ont pas hésité à lui dire d’examiner la question relative à son fils. Certains lui ont conseillé de réduire son très vaste département ministériel (Infrastructures, Transports aériens, Coopération internationale et Energie) pour lui confier un seul de ces secteurs. D’autres, plus intimes et plus téméraires, lui ont suggéré de le sortir purement et simplement du gouvernement. A l’un d’entre eux, Wade a dit, laconique et imprécis : « Je verrai avec lui. En septembre je statuerai. »
 
Pour rassurer et remobiliser son camp, Abdoulaye Wade lui-même a donné des gages, en réunion restreinte puis en comité directeur : « Je n’ai jamais nourri un projet de succession dynastique. Je ne veux pas transmettre le pouvoir à mon fils. » C’était la première fois que Wade se montrait précis sur le sujet. S’il a toujours nié, il a toujours nuancé son propos par les expressions « pour le moment », « pas encore », « on verra le moment venu »… Il lui est même arrivé de déclarer que « Bongo et Eyadéma qui ont été remplacés par leur fils ne sont pas plus manœuvriers que » lui.
 
Deux manifestations populaires et une grosse frayeur plus tard, il est revenu à la raison. Karim Wade lui-même lui a facilité la tache, qui a signé sa mort politique dans sa lettre ouverte en renonçant à toute ambition politique pour montrer patte blanche.
 
Depuis, le fils du président ne fait plus peur. Beaucoup se démarquent d’ailleurs de lui pour ménager l’avenir. Abdoulaye Baldé, qui passait pour un des piliers de son mouvement, la Génération du concret (GC), renforce son ancrage au sein du parti présidentiel et son autonomie. Hassan Bâ, le théoricien de la GC, avait disparu auparavant, emporté par l’échec de ses choix à l’occasion des élections locales de mars 2009. Habib Sy, un de ses hommes qu’il a placé au poste stratégique de directeur de cabinet du président, n’a plus la confiance de celui-ci. Abdoulaye Wade a récemment confié à un de ses visiteurs : « mon directeur de cabinet n’a pas suffisamment d’étoffe pour remplir son fauteuil. »
 
Robert Bourgi, sur qui il comptait s’appuyer pour obtenir un quitus international, l’a abandonné, non sans le vilipender dans la presse. Claude Guéant, qu’il a connu par le canal de Bourgi, a pris ses distances. Tout comme le chef de l’Etat français, Nicolas Sarkozy, qui l’a lâché avec son père, comme l’indique la virulente sortie de son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, fustigeant la tentation autocratique de Wade père. Barack Obama, le président des Etats-Unis qui lui a serré la main à Deauville, par l’entremise de Sarkozy, a pris cette mise en scène pour « une comédie » (le mot est d’un des piliers du sous-secrétariat Afrique du département d’Etat). Une comédie de mauvais goût, toutefois, qui a irrité le numéro un américain quand il a appris l’exploitation politicienne qui a été faite d’un geste naturel. Abandonné de tous, accusé de tous les péchés d’Israël, comme il le constate lui-même dans sa lettre ouverte, Karim Wade est l’unique homme public sénégalais au sujet duquel l’opinion n’est pas divisée.
 
Il n’est pourtant pas coupable de tout ce dont on l’accuse. On lui prête quelquefois trop. Le procès en incompétence qui lui est facilement fait est injuste. Il n’est pas incompétent, ne manque pas d’idées ni de capacité à mobiliser des fonds pour les réaliser. Il est risqué pour son père de dire à sa mère, Viviane, qu’il a bien travaillé dans le cadre de l’Anoci, si on confronte l’ampleur des sommes engagées dans les travaux d’embellissement de Dakar et le résultat engrangé. Mais Karim Wade n’a pas mal travaillé dans le montage de Sénégal Airlines. Et il rendra un grand service au pays s’il termine l’aéroport de Diass. Et s’il met en œuvre le Plan Takkal, destiné à restaurer une desserte correcte en énergie électrique. Contrairement à une opinion répandue, le fils du président doit conserver le poste de ministre de l’Energie. Pour être ce qu’il est, il accédera à tous les crédits nécessaires pour financer Takkal qui, de l’avis de beaucoup de spécialistes, est apte à juguler le cauchemar des délestages.
 
Mais si Karim Wade estime pouvoir être porté par tout cela et par la position de son père pour accéder au pouvoir, il commet une grave erreur d’appréciation. Son rêve de diriger ce pays est irréaliste. Le Sénégal et les Sénégalais sont trop complexes pour admettre la trop simple transmission du pouvoir de père en fils.
Jeudi 4 Aout 2011