Le rappeur Thiat n’a pas peur de s’exprimer sur les problèmes qui touchent son pays natal, le Sénégal. Il chante sur la corruption, le chômage et les coupures électriques. Nombreux sont les Sénégalais qui se reconnaissent dans sa colère. Dernier volet de la série "Ma petite révolution".
Nait-on en tant que révolutionnaire ? "Ça a commencé quand j’avais 6 ans, à l’école primaire", raconte Thiat. Le jeune Thiat se mettait régulièrement debout sur sa chaise pour dénoncer les injustices : "Le maître fume dans la classe! ; Il n’y a plus de craies ! ; le programme éducatif est mauvais !" Trois décennies plus tard, il chante sur les problèmes qui touchent son pays. Sur le président Abdoulaye Wade qui contrôle le parlement et les juges. Sur la population sénégalaise qui est de plus en plus réduite au silence. Sur la corruption et la mauvaise gouvernance dont il a plus qu’assez. Comme la plupart des Sénégalais.
Banlieue de Dakar
Thiat n’est pas facile à trouver. A l’aide d’instructions floues, je traverse des quartiers de la banlieue de Dakar en Taxi. Nous stoppons à un carrefour, appelons pour de nouvelles instructions, puis je donne le téléphone au chauffeur, qui reçoit d’autres instructions en Wolof. Puis nous arrivons dans une rue poussiéreuse où nous attend un maigre personnage avec la tête rasée, avec un grand sourire aux lèvres. Il s’appelle Fou Malade et me conduit vers un appartement, où on entend encore les bêlements de chèvres dehors. Dans le salon se trouve le rappeur Thiat. Un jeune homme musclé avec le cheveux en tresses coiffés en arrière.
Fou Malade (il s’appelle ainsi, car "seul un fou malade ose dire la vérité") me dit de m’asseoir à coté de lui sur un canapé rouge. Il ouvre son ordinateur portable et me montre des clips sur YouTube des manifestations que leur mouvement a provoqué. Sur l’écran, je vois comment six agents emmènent un jeune homme de force, le tenant par les pieds et les mains, car il se débat dans tous les sens. Puis je reconnais Thiat, qui au même moment est en train de me servir une tasse de café.
La vérité
"Les choses ne vont pas bien au Sénégal, dit le rappeur. Notre président Wade ne fait rien pour réduire le chômage des jeunes et les prix alimentaires. Il préfère dépenser des millions à une statue et donner des emplois à des membres de sa famille. Les riches restent riches, les pauvres restent pauvres. Mais le plus grand problème est peut-être l’électricité. Les gens paient leurs factures, mais le gouvernement ne fournit pas."
Un ami leur dit : "Vous rappeurs, vous pouvez faire quelque chose. Car beaucoup de gens écoutent le rap, qui est associé avec la vérité". Thiat appela Fou Malade, un rappeur qui était connu pour ses textes politiquement explicites. "Pas de grosses voitures et de femmes à moitié nues chez nous", dit Fou Malade. "Nous faisons une guérilla urbaine avec de la poésie, nous restons près des gens".
Puis ils ont arpenté les quartiers de la banlieue de Dakar pour conscientiser politiquement les jeunes, souvent analphabètes. Les rappeurs ont provoqué beaucoup d’émotions, d’abord à Dakar, puis dans le reste du Sénégal, où des nombreux jeunes se sont rangés de leur côté. Des dizaines de milliers de jeunes ont participé à leurs manifestations, annoncées par Facebook. C’est dans la rue qu’est né ce nouveau .
Confrontation
La première confrontation avec le président Wade a eu lieu l’été passé. Il voulait changer la constitution pour créer un poste de vice-président. Tout le monde au Sénégal savait qui Wade avait en tête : son fils Karim Wade, qui devrait le succéder. Détail saillant : Karim est responsable des coupures de courant, en tant que ministre des infrastructures, de la coopération internationale et de l'énergie.
"Y'en a marre" organisa une manifestation, la participation fut énorme. Thiat fut arrêté. Mais lorsque la manifestation continua pendant plusieurs jours, la police libéra le rappeur et Wade annula ses plans d’adaptation de la constitution. Après cette victoire "Y'en a marre" devint un mouvement populaire. "Même les vendeurs de poisson sur le marché, les chauffeurs de taxi et les instituteurs se joignent à nous", raconte Thiat.
Billet de vote
"Nous allons dégager Wade de son trône lors des prochaines élections présidentielles de février 2012. Pour cela, il faut surtout que les jeunes s’inscrivent sur les listes électorales. Nous allons dans toutes les villes", raconte Fou Malade. Le jeune homme chante en rap : "C’est l’heure du réveil, ton billet de vote est ton ticket pour la liberté". C’est le langage que les jeunes comprennent, selon les rappeurs. Et s’ils vont réellement se faire réveiller par "Y'en a marre", le président doit se préparer, car les trois quart des Sénégalais ont moins de 25 ans. Et selon plusieurs sources, les nouvelles inscriptions sur les listes électorales ont été très nombreuses au cours des derniers mois.
A mon départ, Thiat me donne un t-shirt mauve avec les mots "Y'en marre". A titre d’essai, je mes le t-shirt et je me vais me promener dans plusieurs quartiers de la ville. Ils sont nombreux à me faire des sourires, à lever le pouce et à claxonner. Sur le marché, un groupe de jeunes femmes rigolent : "Nous adorons ‘Y en a marre".
( rnw.nl )