Le dernier méchant «Sultan»


Le régime de Recep Tayyip Erdogan a installé dans la banlieue d’Istanbul, à côté d’un refuge pour chiens errants, une «hainler Mezarligi» ou «cimetière des traitres». Ce lieu reçoit les dépouilles des personnes tuées pour avoir participé à la tentative avortée de coup d’Etat du 12 juillet 2016. Les personnes enterrées n’ont pas droit à une pierre tombale, encore moins, ne sont dignes de recevoir une prière ou un quelconque rite ou service religieux. Aucun respect ne leur est consenti. Bien au contraire, les pensionnaires de ce sinistre cimetière spécial sont jetés à la vindicte populaire. Ils sont traitres à la Nation et leurs dépouilles doivent être traitées comme celles de chiens galeux. Le cimetière n’est pas encore ouvert au public, mais on peut augurer que quand il le sera, tous les partisans du Président Erdogan pourront s’y rendre pour pisser ou cracher sur les tombes ou les lapider. Quel respect peut-on avoir pour un chef d’Etat qui traite ses adversaires de manière aussi abominable ?
 
Plus d’une fois, nous l’avons dénoncé dans ces colonnes. Recep Tayyip Erdogan est un autocrate, un despote. Les médias l’affublaient du titre de «Sultan», en raison de son égocentrisme, de son narcissisme prononcé et surtout de sa volonté hégémonique pour reconstituer le grand empire ottoman et d’être l’unique citoyen de la Turquie à rayonner ou à être reconnu à travers le monde. Le Premier ministre Erdogan ne pouvait se contenter de ce statut d’avoir une quelconque autorité au-dessus de lui, et il initiera une réforme constitutionnelle pour changer le régime politique de son pays. Il a instauré, à son propre profit, un présidentialisme fort. La volonté de puissance de l’homme est sans limite et il s’échinera à écarter toutes les personnes qui pourront lui faire ombrage ou qui pourraient prétendre à un destin national. Tayyip Erdogan ne peut ainsi souffrir de l’aura de l’imam Fethullah Gulen, qu’il a poussé à se réfugier en Pennsylvanie aux Usa. La grande renommée de «Ogefendi» lui est intolérable, surtout que partout où il va dans le monde, les interlocuteurs du Président Erdogan lui citent l’exemple de la belle réussite des écoles turques, initiées par le mouvement Hizmet, de son ennemi juré Fettullah Gulen et qui sont présentes dans plus de 117 pays. Il demande à tous ses homologues chefs d’Etat de fermer les écoles de Hizmet. Le Président Obama lui avait rétorqué que ce sont d’excellentes écoles où les élites américaines, dont son secrétaire d’Etat à la Défense, envoient étudier leurs enfants. Au Sénégal, par exemple, encore une fois, les écoles de Hizmet ont produit les meilleurs résultats des écoles privées au Concours général. Seulement, certains chefs d’Etat comme Yaya Jammeh de la Gambie ou le Président somalien, qui emploient les mêmes méthodes que lui, ont obtempéré aux injonctions de Erdogan en fermant les écoles dans leurs pays, au grand dam des élèves et de leurs parents, qui recherchaient les meilleurs enseignements pour leurs progénitures. A Ankara, un de ses ministres m’avait jeté un regard courroucé, quand je lui avais indiqué que ces écoles sont les meilleurs ambassadeurs de la Turquie dans le monde.
L’attendrissant prédicateur musulman, Fethullah Gulen, connu pour ses enseignements œcuméniques et ses actions de promotion d’un islam de tolérance, de paix, d’ouverture et de dialogue entre les peuples et les religions du monde, a été un allié important de Tayyip Erdogan. Seulement, les autocrates ne partagent pas leur pouvoir ou ne souffrent pas d’avoir à leurs côtés un alter ego, disait quelqu’un. Le chef de l’Etat turc dirige son pays d’une main de fer. Nul ne peut cependant lui dénier le mérite d’avoir réussi à impulser ou à accélérer la cadence du développement économique de son pays. La Turquie sous Erdogan a réalisé de gros progrès économiques et sociaux. Mais force est de dire, qu’à l’image de nombreux dictateurs illuminés comme Mouamar El Kadhafi, Saddam Hussein, Bel Ali, le Président turc est en train de détruire tout ce qu’il a construit de positif ou même, de pousser son pays dans le gouffre ou le chaos. Il fait un pied-de-nez au monde. Il fait un bras d’honneur à l’Union européenne et aux Etats-Unis, qui s’émeuvent de ses exactions. Le début du processus de la «banalité du mal», doit-on relever. Aucun secteur de la vie turque n’est épargné. Les journalistes sont persécutés, les journaux, les radios, les télévisions et les maisons d’édition qui donnent la parole aux opposants sont fermés et confisqués au profit des partisans du régime. Certains médias ont été sanctionnés simplement parce qu’ils ont été prudents pour ne pas se prononcer, à la va-vite, sur un putsch intervenu dans des circonstances obscures, qui peuvent rendre sceptiques les personnes les plus crédules. De toute façon, tout individu qui a eu à émettre la moindre critique ou la moindre désapprobation de l’action du Président Erdogan se trouve désormais dans la ligne de mire de la purge systématique qui a cours en Turquie. Les hommes d’affaires, les commerçants, les enseignants, les industriels, les policiers, les juges, les procureurs, les officiers et militaires de rang, les élèves des académies militaires, les avocats, les journalistes et même les hôtesses, les «stewards» et les pilotes de la compagnie Turkish Airlines, sont radiés, persécutés, emprisonnés et bannis par le régime. C’est à croire que des centaines de milliers de personnes, provenant de tous les secteurs de la société turque, avaient participé à l’organisation, la planification et l’exécution du projet de coup d’Etat contre Erdogan ! Si c’est le cas, le Président Erdogan devait être le seul à n’avoir pas été mis au parfum du putsch qui se préparait contre lui. Pourtant, au moment du putsch, comme par hasard, il avait pris soin de ne pas se trouver dans ses bureaux ou dans aucun de ses palais. Il était dans les airs, à bord de son avion présidentiel, escorté par des avions F16 de l’Armée turque. Tayyip Erdogan continuera d’être implacable contre les auteurs de la tentative de putsch intervenue de façon aussi «opportune» (!) pour son régime. Qu’ils sont des amateurs, ces auteurs du putsch ! Et dire qu’ils compteraient parmi eux plus de 145 généraux de l’Armée, comme voudrait nous le faire croire la propagande du régime de Erdogan. Un tel putsch a été anéanti en quelques petites heures et des milliers de putschistes arrêtés au pas de charge, comme si les listes étaient déjà prêtes ! Ces drôles de putschistes ont eu l’outrecuidance d’invoquer dans leur manifeste, des idées d’une autre illustre personnalité turque, Moustapha Kemal Ata Turc, le père de la Turquie moderne. Erdogan ne voudrait faire de concession aux kémalistes et il est à s’attendre à ce que le portrait de Ata Turc soit bientôt retiré de tous les lieux officiels pour faire place nette à celui de Erdogan. L’homme constitue un cas pathologique. Pourquoi les Etats-Unis accueillent-ils Fethullah Gulen, sa tête de turc (sans aucun jeu de mot), alors que lui Erdogan est en quête vaine de reconnaissance outre Atlantique ? Il espérait saisir l’opportunité des obsèques du champion du monde de boxe, Muhammad Ali, pour s’imposer à l’Amérique et au monde musulman. Ses déconvenues lors de cette cérémonie du 10 juin 2016 l’auront encore rendu plus furieux. Erdogan avait voulu tenir la vedette à cette occasion mais la famille du défunt champion du monde lui avait refusé tout privilège ou honneur particulier, et en réaction, il finira par bouder la suite de la cérémonie mortuaire.
Le régime de Erdogan est connu pour ses pratiques, au grand jour, de la corruption et de toutes les formes de concussion. Il avait été accablé pour ses liens avec Daesh, notamment dans les transactions liées au pétrole pompé des zones occupées en Syrie et en Irak par l’organisation terroriste internationale. Le régime de Erdogan n’avait pu s’en sortir qu’en agitant le spectre de jeter des hordes de millions de réfugiés sur les frontières européennes. Ce chantage a été payant. Erdogan avait insinué des accusations contre les Américains et l’Otan, d’être derrière le putsch ; comme pour user de la stratégie des propagandistes, qui voudrait que l’ennemi envahisseur vienne toujours de l’extérieur ! La manœuvre était trop risquée et il se ravisa très vite, d’autant que Vladimir Poutine et la Russie n’ont pas encore fini de solder tous leurs comptes avec le régime de Erdogan. Fethullah Gulen demeure le bouc émissaire idéal, responsable de tous les malheurs de la Turquie. Erdogan compte épurer son pays de tous les amis et fidèles de Fethullah Gulen, au mépris de toutes les lois et des droits les plus élémentaires de la personne humaine. Il fait confisquer les patrimoines personnels de ses adversaires politiques au profit de ses proches. Seul le régime hitlérien avait agi de la sorte à l’égard des juifs ! Les citoyens turcs, amis ou sympathisants de Gulen qui se trouvent à l’étranger, voient leurs passeports annulés. Mais jusqu’à quand Erdogan pourra-t-il continuer de sévir ? L’histoire de l’humanité est remplie d’exemples du genre, dont la fin a toujours été dramatique et tragique. Aux amis turcs, on ne peut que leur dire, «la nuit est longue mais il fera jour». Nous devons témoigner de notre tristesse et de notre solidarité à nos confrères de Turquie. 
Madiambal Diagne  
 
Samedi 6 Aout 2016
Macdush D