DAKARACTU.COM - Le Parti socialiste (PS) a atteint les limites de sa patience. Son premier secrétaire également. Ousmane Tanor Dieng est braqué. Il était pourtant modéré il y a peu. Et a même rappelé à l’ordre Aïssata Tall Sall, lorsque celle-ci a rejeté le dialogue politique initié par le Groupe des six. Avant de devenir aujourd’hui plus radical qu’elle. Le déclic est intervenu le 14 juillet, quand il a fini d’écouter le premier discours – tant attendu – d’Abdoulaye Wade après les soulèvements populaires des 23 et 27 juin. La tonalité globale du speech, les attaques contre l’opposition et des passages choquants comme « maa wakhoon wakheet » (« j’avais dit, je me dédis », en wolof) ont profondément heurté Ousmane Tanor Dieng. Au point qu’il n’ait pas pu attendre jusqu’au lendemain pour répliquer. C’est en effet tard dans la nuit de ce jour-là que le PS a rendu publique sa déclaration réagissant au discours. Avant de convoquer, deux jours plus tard, le 16 juillet, une réunion de toutes ses instances qui a duré plusieurs heures.
Devant tous ceux que sa formation compte comme responsables, « Tanor », comme l’appellent les Sénégalais, a décrit le discours d’Abdoulaye Wade comme un défi lancé à chaque Sénégalais dans son amour-propre et son patriotisme. Avant d’asséner que le PS doit relever ce défi. Plus vieille formation de l’échiquier politique national, qui a gouverné le pays de 1958 à 2000, le parti de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf, les deux premiers présidents du Sénégal indépendant, a décidé d’aller à l’assaut du pouvoir d’Abdoulaye Wade. Le premier secrétaire, né comme le parti en 1948, est un homme mûr au propre comme au figuré. Influent pour avoir dirigé le pays au plus haut niveau en qualité de directeur de cabinet d’Abdou Diouf, il jouit d’un épais carnet d’adresses international. Les 1er et 2 juillet, il a pris part, à Athènes, à la réunion du Conseil de l’Internationale socialiste, et a mis à profit cette rencontre pour sensibiliser ses interlocuteurs sur la situation au Sénégal. Vice-président de l’Internationale socialiste depuis 1996, introduit dans de nombreux palais et cercles d’influence, en Afrique et ailleurs, « Tanor » compte jeter ses forces dans la bataille de l’opinion à l’échelle internationale.
A l’intérieur du Sénégal, il a décliné à ses proches sa stratégie de combat : « Il ne faut plus laisser à Abdoulaye Wade la latitude de dicter le tempo. Il a perdu l’initiative. C’est à nous de tracer la voie à suivre et de dicter les conditions. » Après avoir hésité un moment sur l’opportunité de saisir l’offre de dialogue faite par Abdoulaye Wade le 5 juillet en recevant le Groupe des six, le PS a tranché qu’il est absolument inutile de discuter avec un président de la République qui a proclamé le 14 juillet que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ». Et qui a répondu « maa wakhoon wakheet » à ceux qui lui rappellent qu’il avait déclaré ne pas pouvoir être candidat à la présidentielle de 2012. Doutant dorénavant de tout ce que dit le chef de l’Etat, le PS est convaincu que ce dernier n’a renoncé à rien, pas même au schéma de dévolution monarchique du pouvoir. A ses proches, « Tanor » a récemment confié que l’intronisation à la tête de l’Union des jeunesses travaillistes et libérales (UJTL) de Bara Gaye, un des pions de Karim Wade qui travaille dans son cabinet ministériel, est la preuve que le fils du président poursuit son opa sur le parti au pouvoir. Avant de faire remarquer qu’ont subsisté dans le régime les seuls protégés, inconditionnels ou parrains de Karim Wade, après les purges successives d’éléments récalcitrants.
Le 16 juillet, le premier secrétaire a appelé les responsables de son parti à cesser de penser que le soulèvement du 23 juin a altéré les plans de Wade. Et à se rendre compte que l’heure est venue d’en finir avec le régime libéral. Non sans entonner ce cri de ralliement : « Si nous voulons travailler pour l’avenir, sachez que l’avenir c’est dès maintenant. » Joignant le geste à la parole, il a demandé à Khalifa Sall, chargé de la vie politique du parti, à Serigne Mbaye Thiam, chargé des élections et des affaires juridiques, à Mame Bounama Sall, chargé de l’administration et des finances, et à Aïssata Tall Sall, chargée de la communication, ainsi qu’à leurs adjoints respectifs, de ranimer toutes les structures du parti, veiller à ce qu’elles redémarrent le travail politique, renforcer l’ancrage de leur formation dans Bennoo Siggil Senegaal et le Mouvement des forces vives du 23 juin, ouvrir le parti aux mouvements sociaux, à la société civile, aux mouvements religieux, aux femmes…
Dans le rôle d’un général qui prépare la guerre, « Tanor » cherche à renforcer les effectifs de la troupe. Le PS va activer la vente des cartes de membre, s’atteler à récupérer les déçus du régime d’Abdoulaye Wade, accueillir dans ses rangs jeunes, étudiants, travailleurs des administrations publique et privées… Le grand nombre est l’arme absolue pour le vote et pour la surveillance du scrutin sur l’ensemble du territoire. Mais pas seulement. Ousmane Tanor Dieng a instruit tous les dirigeants des instances de son parti de se « préparer à toute éventualité ». Dans la bouche de ce diplomate de formation, mesuré au point d’apparaître faible, cette tournure veut dire que l’heure est au combat frontal.