Après le coup d’accélérateur du Discours de La Baule de 1990, suite au coup d’envoi du printemps arabe donné par la Tunisie, en 2011, c’est le temps du ressac démocratique. Un reflux illustré par un catalogue – incomplet mais garni – de syndromes particulièrement fatals à l’essor de la démocratie sur le continent africain. La tache d’huile du refoulement s’élargit sans cesse, en noircissant davantage des pays figés au seuil de la démocratie et en salissant d’autres qui, jusque-là, renvoyaient des images quasiment immaculées de vitrines démocratiques ou de laboratoires potentiellement très prometteurs.
En tête de liste et en bonne place dans le catalogue, se fixe solidement le « syndrome Pierre Nkurunziza », du nom du Président burundais. Un syndrome qui est, à la fois, un débordement constitutionnel et une entorse aux fameux Accords d’Arusha. Un scénario inflexiblement assumé par Pierre Nkurunziza qui, lui, n’a cure ni des équivoques ni des oripeaux. L’homme fort de Bujumbura a opéré un passage en force, maté son opposition, contrecarré victorieusement un coup d’Etat militaire et, in fine, relevé le défi des sanctions infligées par la communauté internationale. Le pari risqué mais gagné a ainsi ouvert le boulevard à nombre de ses pairs moins courageux mais non moins désireux de se défaire de l’étau constitutionnel que représente la Ligne Maginot du deuxième et ultime mandat. Inutile de consacrer un chapitre à l’inamovible Denis Sassou Nguesso qui a agréablement trouvé dans la très musclée jurisprudence Nkurunziza, l’aubaine et, singulièrement, le moyen de matérialiser deux rêves : gouverner jusqu’à son dernier souffle et, surtout, récupérer le leadership laissé vacant par Omar Bongo, en Afrique centrale.
Frontalière du Burundi, la République Démocratique du Congo (RDC) a évidemment et attentivement observé la tambouille concoctée à côté. En émule surdoué, Joseph Kabila a transposé et amélioré le « syndrome Nkurunziza », en y injectant une dose de combine qui rappelle la collusion Poutine-Medvedev, à la sauce bantou ou équatoriale. Après avoir organisé une élection présidentielle délibérément chaotique, le malin Joseph (le fils de Laurent Kabila) a servi – sur un plateau d’argent et de deal – une victoire piégée à Félix Tshisekedi. En effet, le nouveau Président congolais est ceinturé par une haie législative et un mur sénatorial. S’y ajoute, depuis hier, le barrage administratif que représente l’écrasante victoire du FCC (le camp Kabila) à l’élection des gouverneurs de provinces qui, en RDC, sont des chefs d’Etat à l’échelle provinciale. Victoire paralysante pour le Président Félix Tshisekedi, d’une part, et avenir prometteur pour l’ancien Président Joseph Kabila, d’autre part. Lors d’un sommet des chefs d’Etat d’Afrique australe, Kabila avait dit à ses pairs : « Au revoir » ! Et non Adieu ! Tel est le syndrome Kabila qui gèle toujours la formation du gouvernement à Kinshasa. Près de trois mois, après l’investiture du nouveau Président Felix Tshisekedi.
En Mauritanie, sur les rivages de l’Atlantique, on respire avec volupté, le parfum du « syndrome Nkurunziza », en provenance des Grands Lacs. Comme tout militaire doublé d’un nomade, le Général Mohamed Abdelaziz est friand de stratégie et recru de finesse. Il a opté pour le « syndrome Kabila » dans sa version la plus verrouillée qui rappelle également les deux vases communicants de Poutine et de Medvedev, sur le mode d’un arrangement scellé au « kaïma » et sous la tente. Pour la présidentielle de juin 2019, le Président sortant ne pulvérise pas le verrou constitutionnel du troisième mandat. Aziz est un adepte de l’alliance entre la baïonnette et le bulletin de vote. A ce titre, il positionne son joker, le Général Mohamed Ould Cheikh Mohamed dit Ghazouani, issu de la tribu maraboutique des Ideboussat. La manœuvre a deux buts non antinomiques. Premièrement, l’ex-CEMGA gagne la présidentielle, sécurise physiquement, financièrement son prédécesseur et, à l’issue du mandat 2O19-2024, renvoie l’ascenseur, en balisant le chemin du retour à son ami Mohamed Abdelaziz. Deuxièmement, le Général Ghazouani arrache un second mandat qui ancre davantage l’armée dans les entrailles de la vie politique. Ce schéma dérivé du syndrome de la complicité des larrons en foire, résistera-t-il aux aléas de la politique ? Talleyrand disait : « En politique, la trahison est une affaire de dates. On a trahi, hier, on trahit aujourd’hui, ou on trahira demain ». Le Général Aziz a trahi, sans hésitations ni états d’âme, deux Présidents : Sidi Ould Cheikh Abdallahi et Ely Ould Mohamed Vall. En tout cas, le Général Ghazouani appartient à une tribu dont les membres sont bourrés de retenue, de réserve, de raffinement et de…mystère. D’où leurs desseins insaisissables.
En Guinée-Conakry, la terre semble historiquement fertile pour l’ensemencement, la croissance et la floraison de tous les syndromes fatals à la démocratie. Contre toute attente, le Professeur Alpha Condé, pourfendeur de du totalitarisme politique de Sékou Touré et contempteur de la dictature militaire de Lansana Conté, affiche son goût immodéré pour des mandats illimités. Chez Alpha Condé, l’unique verrou constitutionnel et limitatif des mandats est le cercueil. Dans l’optique du troisième mandat, tout est fin prêt. Aussi bien la détermination chez les tenants du pouvoir que les documents d’ordre juridique, déjà élaborés. Le tout sur fond d’arguments et de justifications d’essence plus impériale (nostalgie perceptible de Samory Touré et admiration mal masquée pour feu Sékou Touré) que démocratique. Ainsi les thuriféraires du régime rappellent que deux anciens chefs d’Etat guinéens ont totalisé ensemble une cinquantaine d’années de pouvoir. Par voie de conséquence, les avocats du troisième mandat questionnent : pourquoi Alpha Condé qui a fait cinquante ans d’opposition, n’aurait pas droit à une prolongation de cinq années ? Ah bon ! Cinquante ans d’opposition donnent-ils automatiquement plus de légitimité que la Constitution votée par le peuple souverain de Guinée ? Une Constitution sans laquelle, lui (Alpha) ne serait pas le chef des forces de l’ordre qui obéissent et tirent sur les manifestants. Voilà une conception de la légitimité aussi fatale à la démocratie que le « syndrome Nkurunziza ».
Au Sénégal, pousse et croît le « syndrome Macky Sall ». De prime abord, moins affreux et moins effrayant, mais aussi pernicieux et pervers pour la démocratie que le « syndrome Nkurunziza ». Ici, c’est l’arme de la réforme qui ouvre des chantiers institutionnels jamais achevés. Même le référendum au coût exorbitant (2016) n’a pas stoppé la boulimie des modifications illustrées par la Loi sur le parrainage et la suppression (soudainement décidée) de la Primature. Le Président Sall ne laisse pas aux institutions, le temps de produire un rendement optimal qui correspond à la durée indispensable pour mieux les évaluer. Le septennat écoulé a connu une pollution judiciaire sans précédent (traque des biens mal acquis, emprisonnement de Khalifa Sall) dans l’Histoire politique du Sénégal indépendant. Le quinquennat s’amorce dans la confusion des réformes qui reconfigurent un Exécutif déjà fort et érodent des pouvoirs législatif et judiciaire presque flasques. L’exercice donne le tournis aux Sénégalais plus friands de richesses matérielles que de réformes institutionnelles. A ce propos, les pénuries d’eau à Thiénaba et à Yayène, le sous-équipement du service des Eaux et Forêts non outillé pour capturer vivant un hippopotame, la capacité (exclusive) de l’armée française à dissiper un nuage mortel d’ammoniac sur le sol sénégalais – après un demi-siècle d’indépendance – mettent en gros plan, l’absurdité suspecte qui escorte la série de réformes en cours. L’ennemi numéro 1 de la démocratie, c’est l’indigence. Cette pauvreté qui est la tombe de toutes les institutions. N’est-ce pas pire que le syndrome Nkurunziza ?
PS : j’ai volontairement exclu du catalogue, les actualités algériennes et les évènements soudanais qui fourmillent de syndromes et de symptômes intéressants à décrypter. Deux pays géographiquement situés en Afrique mais politiquement nichés sur d’autres planètes. Deux Etats qui appartiennent au « club des pays » où l’on ne peut rien faire, sans l’aval ou l’implication des armées. A Alger comme à Khartoum, l’armée pilote ou co-pilote la vie institutionnelle. Dans ces deux pays, chaque fois que la société est grosse de révolution démocratique, l’armée intervient et agit en sage-femme : soit elle provoque l’accouchement de la démocratie, en l’encadrant ; soit elle provoque l’avortement de la démocratie, en l’étouffant mortellement. Sans l’armée et les services de renseignement, le FIS aurait démocratiquement pris le pouvoir. Dans la foulée, Abassi Madani et Ali Belhadj auraient expérimenté la « Révolution islamique » en Algérie, dans les années 90. En cette année 2019, l’armée pèse lourdement sur l’après-Bouteflika.
En tête de liste et en bonne place dans le catalogue, se fixe solidement le « syndrome Pierre Nkurunziza », du nom du Président burundais. Un syndrome qui est, à la fois, un débordement constitutionnel et une entorse aux fameux Accords d’Arusha. Un scénario inflexiblement assumé par Pierre Nkurunziza qui, lui, n’a cure ni des équivoques ni des oripeaux. L’homme fort de Bujumbura a opéré un passage en force, maté son opposition, contrecarré victorieusement un coup d’Etat militaire et, in fine, relevé le défi des sanctions infligées par la communauté internationale. Le pari risqué mais gagné a ainsi ouvert le boulevard à nombre de ses pairs moins courageux mais non moins désireux de se défaire de l’étau constitutionnel que représente la Ligne Maginot du deuxième et ultime mandat. Inutile de consacrer un chapitre à l’inamovible Denis Sassou Nguesso qui a agréablement trouvé dans la très musclée jurisprudence Nkurunziza, l’aubaine et, singulièrement, le moyen de matérialiser deux rêves : gouverner jusqu’à son dernier souffle et, surtout, récupérer le leadership laissé vacant par Omar Bongo, en Afrique centrale.
Frontalière du Burundi, la République Démocratique du Congo (RDC) a évidemment et attentivement observé la tambouille concoctée à côté. En émule surdoué, Joseph Kabila a transposé et amélioré le « syndrome Nkurunziza », en y injectant une dose de combine qui rappelle la collusion Poutine-Medvedev, à la sauce bantou ou équatoriale. Après avoir organisé une élection présidentielle délibérément chaotique, le malin Joseph (le fils de Laurent Kabila) a servi – sur un plateau d’argent et de deal – une victoire piégée à Félix Tshisekedi. En effet, le nouveau Président congolais est ceinturé par une haie législative et un mur sénatorial. S’y ajoute, depuis hier, le barrage administratif que représente l’écrasante victoire du FCC (le camp Kabila) à l’élection des gouverneurs de provinces qui, en RDC, sont des chefs d’Etat à l’échelle provinciale. Victoire paralysante pour le Président Félix Tshisekedi, d’une part, et avenir prometteur pour l’ancien Président Joseph Kabila, d’autre part. Lors d’un sommet des chefs d’Etat d’Afrique australe, Kabila avait dit à ses pairs : « Au revoir » ! Et non Adieu ! Tel est le syndrome Kabila qui gèle toujours la formation du gouvernement à Kinshasa. Près de trois mois, après l’investiture du nouveau Président Felix Tshisekedi.
En Mauritanie, sur les rivages de l’Atlantique, on respire avec volupté, le parfum du « syndrome Nkurunziza », en provenance des Grands Lacs. Comme tout militaire doublé d’un nomade, le Général Mohamed Abdelaziz est friand de stratégie et recru de finesse. Il a opté pour le « syndrome Kabila » dans sa version la plus verrouillée qui rappelle également les deux vases communicants de Poutine et de Medvedev, sur le mode d’un arrangement scellé au « kaïma » et sous la tente. Pour la présidentielle de juin 2019, le Président sortant ne pulvérise pas le verrou constitutionnel du troisième mandat. Aziz est un adepte de l’alliance entre la baïonnette et le bulletin de vote. A ce titre, il positionne son joker, le Général Mohamed Ould Cheikh Mohamed dit Ghazouani, issu de la tribu maraboutique des Ideboussat. La manœuvre a deux buts non antinomiques. Premièrement, l’ex-CEMGA gagne la présidentielle, sécurise physiquement, financièrement son prédécesseur et, à l’issue du mandat 2O19-2024, renvoie l’ascenseur, en balisant le chemin du retour à son ami Mohamed Abdelaziz. Deuxièmement, le Général Ghazouani arrache un second mandat qui ancre davantage l’armée dans les entrailles de la vie politique. Ce schéma dérivé du syndrome de la complicité des larrons en foire, résistera-t-il aux aléas de la politique ? Talleyrand disait : « En politique, la trahison est une affaire de dates. On a trahi, hier, on trahit aujourd’hui, ou on trahira demain ». Le Général Aziz a trahi, sans hésitations ni états d’âme, deux Présidents : Sidi Ould Cheikh Abdallahi et Ely Ould Mohamed Vall. En tout cas, le Général Ghazouani appartient à une tribu dont les membres sont bourrés de retenue, de réserve, de raffinement et de…mystère. D’où leurs desseins insaisissables.
En Guinée-Conakry, la terre semble historiquement fertile pour l’ensemencement, la croissance et la floraison de tous les syndromes fatals à la démocratie. Contre toute attente, le Professeur Alpha Condé, pourfendeur de du totalitarisme politique de Sékou Touré et contempteur de la dictature militaire de Lansana Conté, affiche son goût immodéré pour des mandats illimités. Chez Alpha Condé, l’unique verrou constitutionnel et limitatif des mandats est le cercueil. Dans l’optique du troisième mandat, tout est fin prêt. Aussi bien la détermination chez les tenants du pouvoir que les documents d’ordre juridique, déjà élaborés. Le tout sur fond d’arguments et de justifications d’essence plus impériale (nostalgie perceptible de Samory Touré et admiration mal masquée pour feu Sékou Touré) que démocratique. Ainsi les thuriféraires du régime rappellent que deux anciens chefs d’Etat guinéens ont totalisé ensemble une cinquantaine d’années de pouvoir. Par voie de conséquence, les avocats du troisième mandat questionnent : pourquoi Alpha Condé qui a fait cinquante ans d’opposition, n’aurait pas droit à une prolongation de cinq années ? Ah bon ! Cinquante ans d’opposition donnent-ils automatiquement plus de légitimité que la Constitution votée par le peuple souverain de Guinée ? Une Constitution sans laquelle, lui (Alpha) ne serait pas le chef des forces de l’ordre qui obéissent et tirent sur les manifestants. Voilà une conception de la légitimité aussi fatale à la démocratie que le « syndrome Nkurunziza ».
Au Sénégal, pousse et croît le « syndrome Macky Sall ». De prime abord, moins affreux et moins effrayant, mais aussi pernicieux et pervers pour la démocratie que le « syndrome Nkurunziza ». Ici, c’est l’arme de la réforme qui ouvre des chantiers institutionnels jamais achevés. Même le référendum au coût exorbitant (2016) n’a pas stoppé la boulimie des modifications illustrées par la Loi sur le parrainage et la suppression (soudainement décidée) de la Primature. Le Président Sall ne laisse pas aux institutions, le temps de produire un rendement optimal qui correspond à la durée indispensable pour mieux les évaluer. Le septennat écoulé a connu une pollution judiciaire sans précédent (traque des biens mal acquis, emprisonnement de Khalifa Sall) dans l’Histoire politique du Sénégal indépendant. Le quinquennat s’amorce dans la confusion des réformes qui reconfigurent un Exécutif déjà fort et érodent des pouvoirs législatif et judiciaire presque flasques. L’exercice donne le tournis aux Sénégalais plus friands de richesses matérielles que de réformes institutionnelles. A ce propos, les pénuries d’eau à Thiénaba et à Yayène, le sous-équipement du service des Eaux et Forêts non outillé pour capturer vivant un hippopotame, la capacité (exclusive) de l’armée française à dissiper un nuage mortel d’ammoniac sur le sol sénégalais – après un demi-siècle d’indépendance – mettent en gros plan, l’absurdité suspecte qui escorte la série de réformes en cours. L’ennemi numéro 1 de la démocratie, c’est l’indigence. Cette pauvreté qui est la tombe de toutes les institutions. N’est-ce pas pire que le syndrome Nkurunziza ?
PS : j’ai volontairement exclu du catalogue, les actualités algériennes et les évènements soudanais qui fourmillent de syndromes et de symptômes intéressants à décrypter. Deux pays géographiquement situés en Afrique mais politiquement nichés sur d’autres planètes. Deux Etats qui appartiennent au « club des pays » où l’on ne peut rien faire, sans l’aval ou l’implication des armées. A Alger comme à Khartoum, l’armée pilote ou co-pilote la vie institutionnelle. Dans ces deux pays, chaque fois que la société est grosse de révolution démocratique, l’armée intervient et agit en sage-femme : soit elle provoque l’accouchement de la démocratie, en l’encadrant ; soit elle provoque l’avortement de la démocratie, en l’étouffant mortellement. Sans l’armée et les services de renseignement, le FIS aurait démocratiquement pris le pouvoir. Dans la foulée, Abassi Madani et Ali Belhadj auraient expérimenté la « Révolution islamique » en Algérie, dans les années 90. En cette année 2019, l’armée pèse lourdement sur l’après-Bouteflika.