Malgré les discours vigoureux et les professions de foi sonores, la traque des biens mal acquis est jetée à la rivière. La demande sociale de 2012 a débouché sur un doute social, en 2016. L’éloquence surréaliste des porte-paroles de l’Etat (Présidence-gouvernement) et le matraquage médiatique des hiérarques de l’APR laissent les Sénégalais médusés, amusés et indignés. Aucune alchimie langagière ne peut peindre un échec patent, aux couleurs vives de la belle réussite. La signature du parfait fiasco étant illustrée par le rôle renversant assigné au traqué-épargné Madické Niang subitement transformé en diplomate au cœur de la traque, en tant que courroie de transmission entre l’Etat, Touba et le célébrissime locataire de Rebeuss : Karim Wade. Quand un traqué non emprisonné convoie, vers le Qatar, un gracié de la traque, le certificat de décès de la traque est bel et bien établi. Lorsque la colère et la menace du MFDC servent de paratonnerre au maire Abdoulaye Baldé, la traque s’éteint.
Le requiem de la traque des biens mal acquis – à peine expédié – voilà que commence la traque des adversaires politiquement irréductibles ! Une traque aux allures de chasse à courre, avec des pisteurs, des rabatteurs et, bien sûr, une meute de chiens qui foncent sur le plus farouche des adversaires politiques, en l’occurrence, Idrissa Seck. Le fantasmagorique « Protocole de Rebeuss » (tantôt authentique, tantôt apocryphe) est agité principalement par les ex-collaborateurs ou les ex-hommes ou femmes de confiance des deux présumés protagonistes que sont l’ancien chef de l’Etat et l’ancien maire de Thiès. La charge est furieuse mais les armes brandies (le « Protocole de Rebeuss » et son versant judiciaire) ne feront pas plus mal que des pétards mouillés. Pire, les retours de manivelle balafreront, à court terme, l’image de l’Etat de droit.
Le tableau des faits tirés de l’inénarrable « Protocole » constitue, en effet, des chefs d’accusation aux ondes de choc aussi prévisibles qu’incommensurables. En tout cas, la clarté des incriminations est aveuglante. Les poches du Président Wade auraient été – admirez le conditionnel – le point de départ de milliards en balade (74, 21, 14 et 7) sur lesquels Idrissa Seck aurait fait main basse dans des circonstances aussi noires qu’une nuit sans lune dans le Parc de Niokolo-Koba. Du reste, le Colonel Malick Cissé épaissit le brouillard, en faisant montre de prudence et/ou d’approximations sémantiques. Il a, tour à tour, parlé de « document financier », de « problème financier » entre Wade et Idy et de « propositions financières » contenues dans le fameux « Protocole ».
Dans un Etat de droit robuste et non flageolant, administré par des autorités pétries d’éthique de gestion, la persistance des accusations et l’envergure des témoins commandent une action judiciaire indiscriminée qui parque collectivement Abdoulaye Wade, Idrissa Seck, Me Ousmane Sèye, Me Nafissatou Dop Cissé et le Colonel Malick Cissé dans la cave, c’est-à-dire, l’inconfortable salon d’attente du Procureur. Car Abdoulaye Wade – sans budget de campagne colossal en février 2000 et vedette résignée d’une peu coûteuse « marche bleue » – ne peut rassembler 74 milliards (en moins de 10 ans) que de manière illicite. Deux hypothèses surgissent des flancs de l’énigme. Premièrement, le Président Wade puisait dans les caisses de l’Etat. Invraisemblable ! Car la responsabilité de l’inamovible ministre des Finances d’alors, Abdoulaye Diop, serait indiscutable. Deuxièmement, le prédécesseur de Macky Sall recevait de fabuleux cadeaux d’origine étrangère. Dans ce cas de figure, sa faute (potentielle culpabilité) serait supérieure à celle du Président de Rewmi, Idrissa Seck, qui aurait grugé celui qui aurait grugé le peuple sénégalais. Si les vœux du jeune faucon et non moins ministre, Mame Mbaye Niang, sont exaucés, Idrissa Seck sera emprisonné pour avoir volé de l’argent initialement volé par Abdoulaye Wade resté, lui, impuni. Mame Mbaye Niang flirte avec Kafka mais se fâche avec Descartes.
Dans les grandes démocraties et les Républiques exemplaires à bien des égards, les cadeaux octroyés aux chefs d’Etat en exercice, le sont au nom des pays qu’ils gouvernent et des peuples qui les ont élus. C’est d’autant plus vrai qu’un journaliste, célèbre soit-il, ne recevra jamais, à titre personnel, des millions de dollars d’Arabie Saoudite. Voilà qui justifie que les présents ainsi obtenus restent des biens de l’Etat qui, parfois, les confie ou les offre à quelques Fondations spécialisées. En France, aucun des cadeaux reçus par le Général De Gaulle, n’a pris le chemin de Colombey-les-deux-Eglises, le jour de sa démission, en avril 1969. Même chose après le décès de Pompidou. Giscard d’Estaing qui a empoché les diamants offerts par l’Empereur Bokassa, a payé électoralement, très cher, sa passion pour les pierres précieuses de Centrafrique. Moralité : Me Abdoulaye Wade aura du mal à justifier valablement les milliards qui auraient migré de ses poches vers celles d’Idrissa Seck. Ceux qui veulent coffrer Idrissa Seck, devront aller, d’abord à Versailles, remettre une convocation à Me Wade, un illustre Sénégalais de 90 ans. Manifestement, le Président Macky Sall qui lui a souhaité un bon anniversaire, n’est pas homme à martyriser le père d’un Karim gracié et d’une Sindjély épargnée, malgré les abysses financiers de son Festival démesurément budgétivore.
De la traque à la trappe via les chausse-trappes, la vie politique au Sénégal devient, de plus en plus, un enfer pour les perdants d’un scrutin présidentiel et les opposants au régime des vainqueurs. Toute la panoplie des instruments de coercition, de dissuasion et de neutralisation politiques est méthodiquement revisitée et testée. Sous couvert de reddition de comptes, on cherche l’autre reddition qui est synonyme de capitulation. Et malheurs aux preux bretteurs de l’arène politique, coriaces et sans peur ! L’agenda de la destruction des candidatures probables et de la liquidation des candidats gênants, est purgé de toute clémence et sous-tendue par une volonté inoxydable comme l’acier : embastiller Idrissa Seck ; entraver la montée en puissance de Khalifa Sall et isoler la réfractaire ou la rebelle Aida Mbodj du PDS, tout en la désarmant dans son bastion de Bambey. La perte de la présidence du Conseil départemental est le signe avant-coureur d’une descente (planifiée) aux enfers.
D’ores et déjà, l’âpreté des escarmouches constitue un indice révélateur des manœuvres préparatoires aux grands chocs en perspective. L’APR veut un boulevard balisé puis vidé de toute concurrence, elle-même, vecteur d’aléas ou pourvoyeuse de nuages autour du second mandat. La quête d’un deuxième bail est légitime mais certaines voies amorcées le sont, parfois, moins. Dans cette moche affaire du « Protocole de Rebeuss », l’Etat de droit ne doit faire aucune concession à l’Etat… de discrimination. Car, il est le garant de la justice et de la sécurité pour tous. Ce sont la vérité et la justice qui assurent la grandeur des nations. Et non l’astuce juridique et l’artifice judiciaire qui permettent de vider et de remplir les prisons, comme on veut et quand on veut. Ultime question : la traque est un programme politique pour le Sénégal ou un projectile létal contre les opposants tenaces ?