Laser du lundi : La famille est-elle un fléau ou une fusée politique ? (Par Babacar Justin Ndiaye)

Laser du lundi ,Retrouvez chaque Lundi matin sur Dakaractu la chronique politique de Babacar Justin Ndiaye, Analyste politique et social .


La tournée politique de la Première dame, Mme Marième Faye Sall, était-elle une légende diffusée par les médias ou l’embryon d’une ambition foirée par des fuites ? Impossible d’appréhender les arrière-pensées dans les hautes sphères du pouvoir. Même si l’hypothèse d’un test de l’opinion via un ballon d’essai – signe avant-coureur d’une irrésistible volonté d’entrer en scène – demeure grandement plausible. Il s’y ajoute que le contexte pré-électoral charrie forcément des soupçons autour de la Fondation « Servir le Sénégal » qui est, pour l’instant, dépourvue d’antennes et de démembrements régionaux pouvant donner un sens plein à une tournée strictement sociale. 

 

Qu’il s’agisse d’une légende ou d’une réalité, l’idée d’une tournée politique de Mme Macky Sall – bien ou mal comprise – n’aurait pas dû germer, croitre et franchir la porte d’une salle de rédaction, si le premier cercle des conseillers du couple présidentiel, avait été exigeant. Car le respect que l’on doit au peuple non amnésique du Sénégal (le combat du M23 est encore frais dans les mémoires) constitue, un argument dissuasif automatiquement opposable à pareil projet. Pourtant, on recense autour de Mme Sall, des intellectuels et des journalistes naguère intelligents et exigeants. Sont-ils maintenant devenus plus intelligents mais moins exigeants ? On dit, à tort ou à raison, que les privilèges concassent les convictions les plus résistantes au broyage.

 

Il ne s’agit point de décréter que la famille et la belle famille du Président de la république doivent ensevelir leurs droits civiques et, dans la foulée, déserter le champ politique. Dans le même ordre d’idées, la Constitution (texte non crypto personnel) ne renferme aucune disposition qui refoule les familles précitées, de l’échiquier politique. Les interdits ne sont pas à chercher dans la Constitution – ils n’y sont pas – mais à situer dans un code d’honneur, d’éthique et…de sagesse. Ici, on ne convoque pas le Droit mais la décence qui se décline en retenue ou en auto-freinage éthique. Sans quoi, on se projette et s’installe dans le royaume d’Ubu. Après tout, le Président Macky Sall peut légalement nommer son épouse à la tête du gouvernement, installer son frère à l’Intérieur, désigner son beau-frère aux Affaires Etrangères et catapulter son griot au ministère de la Culture. S’il le faisait, ce serait légal et constitutionnellement correct. Mais indécent et ubuesque. Le Roi Louis XIV qui s’y connait en despotisme disait : « Quand on peut faire tout ce que l’on veut, il devient difficile de faire ce que l’on doit ». 

 

A mon avis, la Première dame peut et doit rester là où elle sera proprement couverte de gloire, c’est- à dire aux avant-postes du social et de l’humanitaire. Dès l’instant que Mansour Faye affiche et assume ses ambitions légitimes à Saint-Louis (ville d’origine de la famille Faye) Marième et Adama Faye peuvent être utiles au Sénégal et aux Sénégalais dans des domaines plus vitaux et moins marécageux que le champ politique. Ceci est également vrai pour le beau-père Omère Seck annoncé (est-ce vrai ou faux ?) à Rufisque et pour le frère Aliou Sall très déterminé à prendre d’assaut la mairie de Guédiawaye. Sans oublier l’oncle, le sieur Timbo, dont les ambitions politiques ont été également dévoilées par la presse. 

 

En vérité, les deux familles du chef d’Etat – inévitablement privilégiées comparativement à toutes les autres – représentent dans l’arène politique (champ clos des gladiateurs où tous les coups sont permis) une somme latente et larvée de risques. Et de dérapages. A Grand-Yoff, les images et les photos du meeting d’une tendance de l’APR (celle d’Adama Faye) montrant la Première dame entrain d’applaudir son frère très virulent dans ses critiques contre le Premier ministre Aminata Touré, heurtent l’orthodoxie républicaine qui, elle, n’est pas un texte mais une morale. Même si la démocratie locale doit prévaloir dans la perspective des élections communales, ce n’est pas convenable pour un membre de la famille du Président de la république de qualifier le chef du gouvernement de « traitre ».

 

Jusqu’à nouvel ordre, le Premier ministre est dépositaire de la confiance du chef de l’Etat. Et voilà le futur magistrat d’une commune qui commence par déchiqueter publiquement une des premières institutions de l’Etat. Si le candidat Adama Faye était malin et mûr, il mettrait un tel mot dans la bouche d’un second couteau. Et non dans la sienne. Il est encore temps – à défaut de stopper – de mieux rythmer et canaliser cette foulée familiale, sinon l’Alliance Pour la République (APR) va se muer en vrai Acide Pour la République (APR). Au crépuscule de sa vie, Djibo Bakary ancien chef du gouvernement du Niger, sous la Loi-cadre, (longtemps exilé à Conakry auprès de son ami Sékou Touré) me mettait en garde, dans sa villa de Niamey, contre ce qu’il appelait : « le fléau de la famille dans la vie politique ». Il faisait allusion aux agissements impunis (pour des raisons clairement familiales) d’Ismaël Touré – frère ou demi-frère du dictateur – qui déviaient, défiguraient, discréditaient et in fine donnaient à la Révolution guinéenne, une image fixe de vampire déchainé. 

 

Bien entendu, la Révolution guinéenne (de 1958 à 1984) est un sanglant stalinisme tropical sans rapport avec la démocratie sénégalaise très antérieure au discours de La Baule. Toutefois, la chaude alerte née du second mandat du Président Wade – poids de la famille dans la marche du pays et propension à modifier constamment la Constitution dans un sens suspect – commande une vigilance sans relâche, chez les sentinelles de la République, les garde-chiourmes de la démocratie et les apôtres de la bonne gouvernance. Bref chez tous les citoyens obsessionnellement soucieux de l’image scintillante du Sénégal. D’autant plus que le mauvais exemple fait souvent tache d’huile ; tandis que le bon reste très peu contagieux. 

 

On doit se convaincre que la politique n’est pas l’unique ascenseur social ; encore moins le seul vecteur de gloire et de prestige. Une famille truffée de polytechniciens, de centraliens, d’agronomes, d’astronautes, de pilotes d’Airbus et d’inventeurs de vaccins contre les maladies incurables est mille fois plus utile pour le Sénégal en quête d’émergence qu’un foyer où pullulent des politiciens : maires, ministres, députés et sénateurs. C’est le lieu de magnifier l’effacement de l’Inspecteur d’Etat François Collin, fils de feu Jean Collin inamovible ministre et – un long moment – vice-roi du Sénégal. Pourtant, le très discret patron de l’Inspection générale d’Etat a de qui tenir. Il possède aussi un potentiel héritage à revendiquer en termes de fief et de légitimité. Car son père fut maire de Thiès, baron du Ps et membre du groupe restreint de dirigeants (aux côtés de Lamine Guèye et de Waldiodio Ndiaye) qui a accueilli le Général De Gaulle en août 1958. N’empêche, le fils de Jean Collin et d’une nièce du Président Senghor, rase les murs dans un anonymat volontairement construit. Il est, à la fois, l’anti-Karim Wade et l’anti-Alioune Sall. 

 

J’ai eu le privilège – et surtout le courage – de rencontrer pour la première fois, Mme Marième Faye Sall, vers la fin de l’année 2008. La fureur du Président Abdoulaye Wade contre Macky Sall – Président démissionné ou démissionnaire de l’Assemblée nationale – était à son paroxysme. Les RG de la Police, sous la houlette des ministres (successifs) Cheikh Tidiane Sy et Ousmane Ngom, plaçaient le couple Sall dans leur ligne de mire. C’était la traversée du désert (une sorte de Ténéré politique) loin de l’oasis et des dattes d’aujourd’hui. A l’époque, rendre visite à Macky Sall n’était pas à l’ordre du jour pour 90% des personnes qui encombrent ou conseillent maintenant le chef de l’Etat. Je débarquai à 22 h dans la résidence située non loin de la Croix Rouge sénégalaise, en compagnie d’Abdoul Aziz Ba dit Joni, un ami du couple. Dans le salon (en face de Macky Sall) se tenait Alioune Badara Cissé. ABC peut en témoigner. Accueil courtois et correct de Mme Sall. L’image et la courte conversation avec cette épouse digne et stoïque dans l’épreuve, sont toujours gravées dans ma mémoire. Une dignité qui – rétrospectivement – donne du relief à son destin exceptionnel dans tous les sens du terme. Quelle espèce de gloire politique (hypothétique) va-t-elle chercher encore, dans les ravins et les bas-fonds de la politique, après une telle récompense divine ? Les chemins de l’ambition sont parfois mystérieux. 

 

Cependant, rien n’empêche Marième Faye Sall de marcher sur les pas de Mme Hilary Clinton, épouse de l’ex-Président Bill Clinton qui a attendu la fin de la carrière présidentielle de son illustre mari, avant de diriger le Département d’Etat et, ensuite, de porter sur la place publique, sa suprême ambition : gouverner les Etats-Unis d’Amérique. Voilà un cas de figure où la famille n’apparait pas comme une fusée (propulsive) qui place sur orbite. Cette voie-là recoupe davantage la trajectoire historique du Sénégal que les routes – d’ailleurs peu passantes chez nous – empruntées sans aboutissements par Rosine Soglo et Simone Gbagbo. Autres pays, autres mœurs !

Lundi 17 Mars 2014
Dakar actu