Laser du lundi : L’axe du chèque arabe et la coalition du chèque en blanc (Par Babacar Justin Ndiaye)


Le très avisé Léopold Sédar Senghor et le trop prudent Abdou Diouf se rangeaient et, surtout, se blindaient derrière le génial Hassan II, pour labourer fructueusement l’axe Dakar-Ryad et en récolter, sans risques, de substantiels dividendes diplomatiques et d’appréciables retombées financières. En effet, le Souverain chérifien mobilisait aisément les Souverains wahabites (Fayçal, Khaled et Fahd), tandis que  les deux premiers Présidents du Sénégal encaissaient tranquillement toute la gamme des générosités de l’Arabie Saoudite en particulier, et des pays du Golfe, en général. Bref, l’interface et l’écran marocains ont durablement assuré la fécondation de l’axe Dakar-Ryad, sans l’ombre d’une aliénation ou d’une blessure de la souveraineté du Sénégal.  C’est sous le régime libéral (PDS) et de son ersatz républicain (APR) que la donne a changé de fond en comble.

Le Roi Hassan II est décédé en 1999. En 2000, Abdoulaye Wade élu Président du Sénégal, a reconfiguré la relation bilatérale sénégalo-saoudienne.  Le facilitateur ou l’intermédiaire marocain a disparu. L’axe longtemps triangulaire Dakar-Ryad via Rabat) a cédé la place à un tête-à-tête. Le cachet humain, familial et affairiste de la relation est ajouté et accentué par Wade et fils. Friands  d’infrastructures et voraces en investissements, les gouvernements successifs du Président  Wade ont grandement profité des largesses publiques et privées en provenance de Ryad et des capitales voisines, toutes réunies dans un Conseil de Coopération du Golfe : CCG. Avide de chèques en pétrodollars, l’Etat libéral a vite compris que le Golfe arabo-persique demeure le parfait exutoire et le salvateur boulevard de l’économie sénégalaise, face aux fourches caudines du FMI et de la Banque mondiale.

Tout naturellement, le Président Macky Sall a pris le relais de son prédécesseur. Ce n‘est donc guère étonnant que la relation triangulaire Dakar-Ryad-Doha soit soudainement et diplomatiquement fiévreuse. Tellement elle est caractérisée par un contact direct, plein et…poussé. Un « full contact », comme disent les Anglais, qui n’a pas révélé tous ses secrets mais a, d’ores et déjà, dévoilé, pêle-mêle, des accointances, des accrocs et des incidents. Toutes choses qui n’ont pas de précédents sous les magistères de Senghor et de Diouf. A l’exception des inévitables chèques, d’hier et d’aujourd’hui, dont l’un des plus gros a financé la construction du coûteux et splendide cadeau que représente le Méridien-Hôtel devenu King Fahd Palace, du nom du généreux donateur.   

L’axe Dakar-Ryad est tellement tapissé de chèques qu’il illustre – jusqu’au seuil de l’ingérence excessive et insupportable – l’influence et le poids de la diplomatie du chéquier. Sinon, comment comprendre le culot et l’outrecuidance, par et avec lesquels, l’ambassadeur d’Arabie Saoudite à Dakar, son Excellence Abdallah Ahmed Al Abdal, a jeté un pavé dans la mare, en révélant la facette la plus stupéfiante des tractations souterraines entre les gouvernements du Sénégal et du Qatar ? De prime abord, l’Arabie Saoudite n’est pas concernée par l’affaire Karim Wade. En sait-elle, via ses services de renseignement, davantage que le Sénégal, ou est-elle alors mêlée au deal Dakar-Doha qui est aussi opaque qu’une énigme ? La nouvelle attitude du gouvernement saoudien (l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire) représente son Roi et son pays) est terriblement irritante pour le Président Macky Sall qui voulait absolument et déraisonnablement envoyer 2000 militaires sénégalais au Yémen, comme supplétifs d’une armée saoudienne économe de ses propres soldats. 

A la lumière des manières déconcertantes de l’Arabie Saoudite et au vu de la mine amusée et flegmatique de son ambassadeur sur SEN TV, on peut déduire que l’expédition programmée des Jambars au Yémen, était payée rubis sur ongle. Et non motivée par la défense des Lieux Saints de l’Islam, conformément à l’une des explications officielles. Ce qui serait, d’ailleurs, une mission bizarre pour l’armée d’un Etat laïc comme celui du Sénégal. Dieu merci ! Des Sénégalais de 20 ans et des officiers valeureux, chèrement formés par le contribuable sénégalais, ne sont pas morts sur le sol du Yémen, pour la défense des intérêts géopolitiques d’un Royaume semi-moderne et semi-moyenâgeux qui reste sans pitié pour la pauvre Mbayang Diop. Aucun chèque en faveur du PSE n’aurait consolé le peuple sénégalais éploré. 

« Il faut une longue louche pour diner avec le diable » a-t-on dit et répété. Il faut un gilet pare-balles – pardon ! – une veste pare-vacheries comme Hassan II, pour sortir indemne des intrigues d’Orient. Bahreïn n’est pas Banjul.  Diouf et Senghor étaient méthodiques et méfiants. Quant à Abdoulaye Wade, il apparait comme le monument de l’ambiguïté, devant le coin du voile levé par le plénipotentiaire saoudien. Pourquoi le leader du PDS – un adepte du panafricanisme, un janissaire de la démocratie (1974-2000), un doyen de faculté et un avocat – cautionne l’inqualifiable grâce senégalo-quatarie qui ferme les portes du Sénégal à un ancien ministre d’Etat du Sénégal ? Une grâce présidentielle juridiquement hérétique (la personne graciée ne peut pas louer une maison à Dalifort et y habiter) et politiquement porteuse de castration. Les soutiens financiers du Qatar et l’amour paternel ont-ils comprimé les principes et/ou enseveli la combativité chez le Pape du Sopi ? 

L’axe du chèque Ryad-Dakar-Doha suscite-t-il moins d’indignation chez les citoyens que la coalition du chèque en blanc, c’est-à-dire  Benno Bokk Yakaar (BBY), à travers son mode de fonctionnement ? Si l’affaire des 4 millions octroyés mensuellement à un ancien ministre et longtemps expert de l’UNESCO, Mamadou Ndoye (un homme aux antipodes de l’indigence) a provoqué un méga-tollé, c’est parce qu’elle a, du point de la gouvernance bonne, éthique et vertueuse, une portée négativement incommensurable. Ici, il ne s’agit point d’un procès aveugle ou d’une critique en règle des fonds politiques, secrets ou spéciaux. Tous ceux qui ont une connaissance historique et un culte élevé de l’Etat, militent pour la pérennité de ces caisses noires mais précieuses dont la suppression insensée hâterait l’affaissement de tout pays. Autrement dit, les caisses opaques sont les cuirasses épaisses de l’Etat. 

Ce qui est vivement rejeté, ce sont les motivations de bas étage (la corruption et la caporalisation) qui président aux décaissements continus et à la ventilation sélective, ayant pour toile de fond, des arrière-pensées clairement électoralistes. En effet, le chèque des 4 millions constamment empochés par Mamadou Ndoye ou versés à la LD, est l’un des prix à payer, pour rendre la coalition BBY stable et compacte. Sans fissures fatales. Car la désintégration de la majorité présidentielle abroge automatiquement tout espoir de victoire en 2019. D’où cette propension du chef de l’APR, à caresser financièrement les alliés dans le sens du poil. Après les éclipses successives d’Idrissa Seck, de Malick Gakou, de Jean-Paul Dias et la présence peu ou prou branlante de l’AFP, le départ de la LD reste une hantise  cauchemardesque pour Macky Sall. Bien entendu, la LD n’est pas un éléphant sur l’échiquier politique. Toutefois, elle est – à l’instar du PIT – un coyote politique capable de mordre les mollets aussi bien dans les médias que durant les meetings électoraux. Il faut donc l’encager et l’entretenir.

Encore une fois, les fonds politiques, secrets et/ou spéciaux ne sont ni bons ni mauvais. Ils sont indispensables au double sens (névralgique et national) du terme. Tout dépend de l’usage qu’on en fait. Si les décaissements protègent, sous différents formes, la souveraineté du Sénégal, bonjour les marques d’une gouvernance hautement patriotique et vertueuse ! En revanche, si les chèques tirés de ses fonds de souveraineté vassalisent des alliés politiques qui, en guise de renvoi d’ascenseur, donnent un chèque en blanc au chef de l’Etat (candidat à sa propre succession), bonjour les effets pervers d’une pratique à l’opposé des missions originelles légalement assignées à ces sommes colossales ! Car, le chèque en blanc est une sorte de blanc-seing qui permet à Macky Sall, de faire tout ce qu’il veut, sans critiques ni récriminations de la part des alliés rassemblés dans BBY. Rien que des approbations voire des applaudissements ! Que je sache, l’Assemblée nationale n’a pas voté un budget pour le fonctionnement des coalitions et le confort des coalisés ; encore moins pour la rétribution de la transhumance et des transhumants.

L’ancienneté des dépenses dévoyées et habituellement  opérées sur les fonds politiques (de 1960 à nos jours, sous tous les régimes) n’est pas un bon argument. Les turpitudes, d’hier, n’absolvent pas les micmacs, d’aujourd’hui. Sinon, le Sénégal se vautrera éternellement dans le cercle vicieux d’une gouvernance délibérément trafiquée, truquée et ternie. Il s’y ajoute que dans ce domaine précis de l’utilisation variée des fonds spéciaux, les quatre régimes n’ont pas des mœurs totalement identiques. Au début des années 60, le Président Senghor avait donné ordre à son directeur de cabinet, Christian Valentin, de remettre 3 millions CFA (trente-quatre ans avant la dévaluation) à Birago Diop, pour l’ouverture d’une clinique vétérinaire. Geste louable quand on sait que l’écrivain-vétérinaire diplômé d’Alfort, fut, tour à tour, directeur national de l’Elevage et ambassadeur du Sénégal en Tunisie, avant d’être ruiné par des péripéties matrimoniales. Un cas de figure qui n’a rien à voir avec celui d’un chef de Parti de gauche qui reçoit un pognon destiné à le caporaliser politiquement.    
Lundi 2 Octobre 2017
Dakar actu