Laser du lundi : Kémi Séba choisit-il la meilleure pédagogie contre le CFA ? (Par Babacar Justin Ndiaye)


Le succès d’un combat – notamment d’ordre économique et politique – repose, en grande partie, sur la pédagogie mise en œuvre. Autrement dit, il est sain et judicieux d’avoir raison. Mais l’art et la manière de défendre puis de vulgariser la vérité ou sa « vérité » et, surtout, d’en faire une puissante force capable de déplacer le Kilimandjaro, sont cruciaux, décisifs et productifs. Nous sommes au milieu des années 60, le Général De Gaulle plus souverainiste qu’européaniste, tient à l’Elysée, une de ses retentissantes conférences de presse. Mimant physiquement les bondissements d’un chevreau, le fondateur de la Vème République s’écrie : « On peut bondir comme un cabri dans son fauteuil, en disant l’Europe, l’Europe, l’Europe, sans faire avancer l’idéal européen… ». En clair, le combat contre le CFA doit être vigoureux et non vaudevillesque. Brûler un billet de 5000 CFA, soit cinq fois l’équivalent de ce que gagne un manœuvre ou une domestique sénégalaise, en douze heures de travail sans pause, c’est poser un acte strictement flamboyant, sans aucune teneur pédagogique.

Le débat autour du destin du CFA est intéressant et interpellatif. Il me passionne grandement mais sereinement. Il y a des arguments en faveur et en défaveur des obsèques du CFA. Des arguments que j’ai lus « crayon à la main » pour paraphraser, feu le Président Senghor. Donc très attentivement. Le bréviaire des penseurs et économistes à la pointe du combat savant (non théâtral) contre le CFA, a pour nom : « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le CFA ? ». Une réflexion de bonne facture dirigée par quatre économistes. Parmi ceux-ci, le Togolais Kaku Nubukpo. Ancien ministre, cet agrégé en économie formé à l’Université de Lyon II (macro-économiste) est un ancien cadre de la BCEAO de Dakar, entre 2000 et 2003. Aujourd’hui, il est lié à l’Université d’Oxford. Bref, le Togolais Nubukpo est un théoricien et un praticien qui a navigué entre le gouvernement, la banque centrale et l’université. Il n’est donc pas homme à raconter des bêtises et/ou des fadaises. Tout comme le Camerounais Martial Ze Belinga (un esprit supérieur et phosphorescent) et le Bissau-guinéen Carlos Lopes, récemment démissionnaire de la CEA, à Addis-Abeba, et actuel conseiller du Président Paul Kagamé.

Tous les trois sont en croisade contre le CFA, mais y mettent un ou deux bémols qui ont valeur de courageuses et pertinentes autocritiques. En cela, ils chevauchent les opinions argumentées du Professeur Moustapha Kassé. Le célèbre économiste sénégalais qui a un point de vue moins radical, sans être farouchement opposé à la thèse des détracteurs du CFA. En effet – nonobstant la tonalité du discours vigoureusement anti-néocolonialiste – le chef de file des anti-CFA (le Togolais Kaku Nubukpo) dénonce des carences aussi endogènes que coupables. Je le cite : « Le mécanisme d’assurance qu’offre le Trésor français à la zone franc est un mécanisme qui permet de s’assurer contre les défaillances de la gouvernance économique et politique en Afrique ». Mon Dieu, quelle sincérité ! L’ex-membre du gouvernement togolais admet que les disfonctionnements et les carences en matière de gouvernance économique et politique sont réelles. Pire, elles sont latentes et larvées. Par voie de conséquence, la France a inventé ce que Kémi Séba appelle « le veto », comme une parade aux errements récurrents dans la zone monétaire. Bien entendu, cela ne gomme ni la servitude africaine ni les profits français. Toutefois le constat est porteur d’utiles clarifications.

En vérité, le combat contre le CFA doit impérativement aller de pair, avec la lutte contre la mal gouvernance assez chronique dans nos Etats. Créer une monnaie à l’échelle de l’UEMOA ou à l’échelle des deux Afrique de l’ouest et du centre, reste une option à la portée de la dignité et de la souveraineté conjuguée des pays concernés. Il y a des pays africains hors zone franc qui n’ont pas disparu de la carte du monde, en dépit des difficultés qu’ils rencontrent. A côté de la souveraineté, s’affichent évidemment les exigences de modalité et de viabilité qui, elles, sont du ressort de la science et de la technique. Des préalables et des nécessités qui apparaissent comme le Talon d’Achille, aux yeux de certains observateurs. Concrètement, la disparition du CFA commandera de battre ou de forger la nouvelle monnaie ou monnaie de substitution, dans un Etat africain de la future zone. Et non à Chamalières ou ailleurs, en France. Il faudra alors imprimer les billets de l’après CFA à Niamey ou à Bouaké. Or la discipline économique n’est pas à toute épreuve dans nos pays. Qu’est-ce qui garantit que le Président Issoufou confronté à la crise sociale ou à la pression syndicale, ne sera pas tenté d’actionner abusivement la planche à billets, pour sauvegarder la stabilité de son régime, au détriment des autres économies, notamment les locomotives de la zone monétaire commune ? Même attitude possible, si les mutins insatiables de Côte d’Ivoire placent le Président Alassane Ouattara, le dos au mur.

Ces réalités-là (synonymes de difficultés potentielles) n’imposent nullement l’abdication ou la capitulation. Bien au contraire. Au demeurant, la France est mal placée pour conseiller ou dicter l’arrimage perpétuel. Au lendemain de son retour au pouvoir, en 1958, le très nationaliste Charles De Gaulle a mis en chantier le nouveau Franc, rompant ainsi les amarres avec les survivances humiliantes du Plan Marshall. Cependant, l’activisme débordant, flamboyant, démagogique, populiste et théâtral est contre-productif. Pire, il peut être repoussant et louche, malgré la sincérité politique et l’honnêteté intellectuelle d’un homme comme Kémi Séba. C’est pourquoi, il urge pour Kémi Séba, de piocher dans l’Histoire militante de l’Afrique et de la Diaspora, pour être mieux en phase avec la grandeur et les rigueurs de son combat anti-néocolonialiste.

En effet, son passeport français n’est pas le meilleur avocat de la cause qu’il défend avec ardeur et véhémence. Mirabeau a écrit : « On peut tout soutenir, sauf l’inconséquence ». Tout le monde sait que son passeport (donc la nationalité qu’il partage avec Macron) ont été d’un grand secours pour lui. Si un marchand ambulant de Sandaga avait brûlé un billet de 5000 CFA, il aurait passé la Tabaski, en prison. Avec son passeport tricolore, il est mieux traité à l’aéroport de Beyrouth qu’un ancien ministre sénégalais. Autant de conforts offerts par la France (garant du CFA) sur lesquels il doit vite cracher pour mieux convaincre. En tout cas, d’illustres devanciers dans ce vaste combat pour une Afrique panafricaine, avait fait des choix plus adéquats qu’il me plait de rappeler ici.

La militante anti-Apartheid, Miriama Keba, voyageait avec des passeports offerts par Sékou Touré, Kenneth Kaunda, Nasser, Hailé Sélassié et Mocktar Ould Daddah. L’illustre antillais Frantz Fanon, membre du Front de Libération Nationale de l’Algérie en guerre contre la colonisation française, avait un passeport tunisien gracieusement fourni par Bourguiba. Abdelaziz Bouteflika alias Commandant Abdelkader se déplaçait avec un passeport marocain offert par Mohamed V et un passeport malien octroyé par Modibo Keita. Les « panthères noires », Elwidge Cleaver et Stockely Carmichaël disposaient de passeports cubains et algériens etc. Enfin, l’exemple d’engagement et de sacrifice le plus achevé est donné par le Béninois Saïnanon Louis Béhanzin. Agrégatif en mathématiques des Universités françaises, Béhanzin (un descendant du Roi Béhanzin du Dahomey) est allé se mettre à la disposition de la Guinée, après le fameux « NON » de Sékou Touré. Ministre de l’Information et de l’Idéologie dans une Guinée révolutionnaire qui n’était pas un paradis terrestre, il a enduré l’austérité et la paupérisation, sur fond de fiasco économique provoqué, à la fois, par l’impéritie du régime de Sékou Touré et le blocus de l’impérialisme. Comme quoi, la bonne pédagogie, c’est également le cohérent et non le sonore soutien aux causes justes. Kémi Séba peut normalement obtenir un passeport tchadien auprès du Président africain le plus ouvertement anti-CFA, Idriss Déby.

PS : Attention au CFA ! Qui s’y frotte s’y pique. Depuis que le Président Idriss Déby s’est positionné comme le plus anti-CFA de la zone monétaire, le duo France-Qatar qui a coulé Kadhafi, a commencé à lui donner du fil à retordre dans le Nord du Tchad où l’opposant Herdimi, longtemps refugié à Doha, est arrivé avec une armée clé en main : des centaines de Toyota et des centaines de maquisards. On ne mesure pas assez la colère de Déby qui connait bien la musique. Car, lui aussi, anciennement réfugié au Soudan, avait été épaulé par le duo Mitterrand-Kadhafi (le fameux deal de l’ile de Crête, en Grèce) pour balayer un certain Hissène Habré, plus enclin à vendre le pétrole de Doba aux compagnies américaines qu’aux sociétés françaises. Toujours à propos du CFA, Paris avait nargué Abdou Diouf, en le dévaluant à Dakar. On est en janvier 1994. Or, le Président Diouf avait dit et répété qu’il n’y aura pas de dévaluation. Suprême humiliation : pour une opération de cette ampleur – une dévaluation de 50% – qui secoue les économies de la zone, Mitterrand et Balladur n’avaient pas daigné bouger. Les deux têtes de l’Exécutif français avaient délégué un ministre Délégué à la Coopération, Michel Roussin, pour faire avaler la pilule amère à quatorze chefs d’Etat présents à Dakar. Moralité : le CFA a une épaisseur redoutable et insoupçonnée.
Lundi 4 Septembre 2017
Dakar actu