La stratégie du pire (Par Cheikh Yérim Seck).


DAKARACTU.COM - Ce 20 juillet, en début de soirée, le ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom, a rendu public un arrêté interdisant jusqu’à nouvel ordre les manifestations publiques sur toute l’étendue du Plateau, le centre-ville de Dakar. Invoquant des raisons de sécurité, l’arrêté ajoute que tout attroupement est interdit dans le périmètre du Monument de la renaissance africaine, en dehors des randonnées pédestres et des activités culturelles ou sportives. En clair, le regroupement que devait organiser le 23 juillet le Mouvement des Forces vives du 23 juin (M23) n’est pas autorisé. Pour célébrer le premier mois du soulèvement populaire qui a imposé au pouvoir de retirer un projet de réforme constitutionnelle, le M23 avait en effet prévu d’organiser un sit-in sur la Place de l’Indépendance, en plein centre-ville de la capitale, avec pour mot d’ordre d’exiger le respect de la Constitution. Dakaractu.com vous avait averti, dès la matinée d’hier, dans l’article « le 23 juillet de tous les dangers », que le régime d’Abdoulaye Wade avait décidé, dans l’intimité du palais présidentiel, d’interdire l’action envisagée par ses adversaires. Il restait à rendre publique la décision. C’est désormais chose faite.
 
Les leaders du Mouvement des forces vives du 23 juin ont été surpris par l’arrêté du ministre de l’Intérieur. S’ils envisageaient l’hypothèse de l’interdiction, ils ne s’attendaient pas à ce que la décision tombe hier soir. Ils étaient en effet engagés dans une procédure vis-à-vis de l’Etat qui a été brutalement stoppée, sans que les autorités n’y mettent les formes. Après avoir déposé une déclaration informant l’Etat de leur intention d’organiser le sit-in, les représentants du Mouvement des forces vives du 23 juin devaient être reçus ce 21 juillet pour être entendus sur l’action envisagée. C’est seulement après les avoir auditionnés que l’Etat devait apprécier, en fonction du risque que la manifestation pourrait faire peser sur l’ordre public, s’il l’interdit purement et simplement, l’autorise en l’état ou l’autorise en apportant des modifications à son itinéraire ou son format.
 
Ousmane Ngom ne s’est pas encombré de toutes ces contraintes procédurales pour rendre publique une décision d’interdiction. Par simple empressement ? Par calcul politique ? Par manque de confiance en l’administration court-circuitée ? Par volonté de sonner l’opposition pour remporter la guerre psychologique ?
 
Une seule certitude : l’arrêté ministériel vient ajouter un ingrédient inflammable à un cocktail déjà suffisamment explosif. Si le texte a surpris par sa forme, il avait toutefois été envisagé dans son contenu. Dakaractu.com est en mesure de révéler que les leaders de l’opposition, réunis dans le cadre de la coalition Bennoo Siggil Senegaal, le 19 juillet au domicile d’Amath Dansokho, avaient débattu de l’éventualité qui vient de se produire. Au cours de leurs échanges sur ce point précis, ils ont décidé qu’il était hors de question de laisser se dérouler le meeting prévu dans l’après-midi du 23 juillet par le parti présidentiel si le pouvoir interdit le sit-in projeté la matinée du même jour par le Mouvement des forces vives du 23 juin. Puis les leaders de la coalition ont planché sur une stratégie pour organiser leur action quand bien même elle serait interdite.
 
Vont-ils partager leurs réflexions avec leurs alliés regroupés au sein du Mouvement des forces vives du 23 juin ? A coup sûr. Il est hors de question pour eux de perdre le moindre bras de fer contre le régime. Encore moins de perdre l’avantage psychologique qu’ils ont acquis sur le pouvoir d’Abdoulaye Wade depuis qu’ils lui ont fait reculer par la rue. Le Mouvement des forces vives du 23 juin, qui compte dans ses rangs des organisations plus radicales que Bennoo Siggil Senegaal, est plus que jamais sur cette ligne. Dès lecture de l’arrêté d’Ousmane Ngom, un de ses dirigeants a eu pareille réaction : « Quels que soient la mesure d’interdiction et les contingents de forces de l’ordre que le pouvoir déversera dans la rue pour la faire respecter, nous mènerons notre action prévue le 23 juillet. Nous avions pris toutes nos précautions pour ne pas être neutralisés par cet Etat liberticide. L’organisation que nous avons mise en place pour sécuriser la tenue de notre manifestation est imparable. Le sit-in aura lieu. Aucune police ne peut l’endiguer. » Il est fort à parier que cette stratégie sera affinée au cours de la réunion du Mouvement des forces vives du 23 juin convoquée ce 21 juillet en réaction à l’arrêté d’interdiction. Ceux qui doutaient encore, lorsque dakaractu.com a dernièrement titré « La guerre ne fait que commencer », doivent se rendre à l’évidence. La crise qui oppose aujourd’hui le régime d’Abdoulaye Wade à ses adversaires de l’opposition et de la société civile a des jours lourds de dangers devant elle. 
Jeudi 21 Juillet 2011