La crise de l’électricité sous l’Alternance : La face cachée d’une politique systématique de pillage des entreprises publiques (Ibrahima SENE)


La recrudescence des délestages de longue durée dans de nombreuses localités de la capitale et dans les régions après une brève période d’accalmie, prouve l’échec patent du « Plan TAKKAL »

Pourquoi en sommes nous arrivés là ?

C’est d’abord le refus systématique de prise en compte de l’expertise du syndicat-maison et des cadres de l’entreprise, et, ensuite, le recours à l’expertise au profit d’EDF- France pour sortir de la crise l’électricité.

L’expertise de l’entreprise ignorée.
Les cadres de la SENELEC et les syndicats de l’entreprise avaient édifié l’opinion, dans une étude –diagnostic, dés les premières manifestations de crise de la fourniture de l’électricité, que le problème des délestages résultait de la combinaison des facteurs suivants :

Une mauvaise politique d’entretien des centrales et de gestion de « pièces de rechange » ;
Une politique inappropriée d’approvisionnement en combustible ;
La vétusté du système de transport de l’énergie électrique qui engendre des pertes de plus de 20% de l’énergie produite ans le réseau ;
Une politique de tarif et de recouvrement qui engendre d’énormes difficultés de trésorerie, aggravées par la fraude, que l’Etat s’est engagé à couvrir sans y parvenir, ni à temps, ni de façon adéquate aggravant les problèmes de trésorerie de l’entreprise.
Un tel diagnostic qui met en droite ligne la responsabilité de l’Etat sous l’alternance était inacceptable pour Wade, qui pointait du doigt celle des Socialistes qui lui ont légué un parc de production de l’électricité avec des centrales qui datent des années 50.

Cet argument politicien lui était nécessaire pour expliquer pourquoi, malgré les 700 milliards qu’il déclare avoir investi dans l’entreprise en 2000 et 2007, l’efficience de la production de l’électricité par l’entreprise est à peine de 49,5%, selon une Etude de la DPEE publiée en Septembre 2009, occasionnant un coût de revient exorbitant de l’énergie produite !

Mais devant le scandale national dû à l’arrêt brusque de plusieurs centrales suite à un combustible défectueux ayant causé un « black out » généralisé à Dakar, Wade n’avait trouvé d’autres explications que d’accuser les travailleurs de SENELEC d’avoir saboté le matériel, en mettant la Gendarmerie et la DIC à leur trousse.

Cette mise à l’index des travailleurs, pour les jeter en pâture aux populations n’est certainement pas étrangère aux défoulements de celles-ci sur leurs personnes et leurs outils de travail, à chaque fois qu’elles sont outrées par l’ampleur des délestages.

C’est sur ce fonds de discrédit des cadres et travailleurs de SENELEC, que l’Etat a fait appel à l’expertise d’EDF- France, pour une Etude-diagnostic de la crise de l’électricité, devant servir de base à un plan de court et moyen termes pour y mettre un terme.

L’expertise d’EDF- France et le « Plan TAKKAL »
Avec l’Etude-diagnostic d’EDF – France, le pouvoir reconnaissait enfin que les délestages étaient causés pour 70% par un manque de combustible. Exit donc la responsabilité des socialistes pour la vétusté du parc de production légué, puisque sa vétusté et le défaut d’entretien se partagent les 30% restant.

Au vu de cette étude, les syndicats de l’entreprise et les cadres ont pointé du doigt, non seulement sur son coût énorme supporté par une entreprise qui connaît de graves problèmes de trésorerie, mais surtout, sur la non prise en compte, dans les recommandations pour l’élaboration du « Plan TAKKAL », de l’état du parc de transport de l’énergie, qui pourtant occasionne plus de 20% de perte !

C’est ainsi qu’il était prévu, dans les mesures d’urgence du « Plan », de détacher de l’entreprise, l’approvisionnement en combustible logé à la Présidence, financé par un fonds créé à cet effet, le « Fonds de Soutien à l’Energie » (FSE).

En outre, pour couvrir les autres dépenses occasionnées par les mesures d’urgence du « Plan » pour 2011, le budget d’investissement fut réaménagé, la taxe pour l’utilisation des services de télécom (RUTEL) fut portée de 2,5% à 5% sur les tarifs appliqués aux usagers, et des emprunts, auprès de l’Agence Française pour le Développement (AFD),étaient prévus.

Au total, en plus du FSE, 215 milliards sont prévus pour 2011 ainsi répartis :

45 milliards pour compenser l’écart des prix ;
43 milliards pour recapitaliser l’entreprise ;
75 milliards pour location de groupes ;
102milliards pour de nouveaux investissements.
Pour le moyen terme, à l’horizon 2014, il est prévu la mise sur le réseau de la Centrale de charbon, dont le coût de production de l’énergie est estimé à 50frsCFA /kWh.

L’intervention du FSE a permis de réaliser un appel d’offre international pour l’acquisition de combustible, dont la transparence, avec l’intervention d’ITOC sur le marché, a eu comme conséquence, une économie sur le coût du fuel de 3 milliards de Frs CFA sur trois mois !

La preuve fut ainsi administrée, que l’opacité dans la gestion des approvisionnements en combustible était l’objet de sur facturations énormes, qui contribuaient à augmenter indument le coût de revient de la production de l’électricité.

Mais ce qui fut encore plus scandaleux, c’est le mauvais choix des groupes loués qui, non seulement consomment un combustible plus cher que celui utilisé d’habitude par l’entreprise, mais, ont aussi, une puissance qui fait que, en plein régime, les câbles de transport de l’énergie sautent et créent des délestages monstres, qui retournent le pays aux pires moments de la crise de l’électricité.

Le recours au gré à gré, pour la location des groupes, sous prétexte de l’ « urgence signalée», est à la base de ce mauvais investissement.

Ainsi avec le « Plan TAKKAL », le Sénégal se trouve avec un prix de revient de production de l’électricité qui passe de 118 Frs CFA/kWh au paravent, à environ 130Frs CFA, et une aggravation de la perte, dans le réseau, de l’énergie produite !

Quelles sont les conséquences du « Plan TAKKAL » ?
Les conséquences budgétaires et sociales d’une telle gestion du « Plan TAKKAL » ne se sont pas fait attendre.

En effet, c’est le Représentant résidant du FMI qui tire sur l’ampleur de la compensation des prix, estimée à 100 milliards, là où 45 milliards étaient prévus dans le « Plan TAKKAL ».

De même, les populations sont redescendues dans les rues pour protester en brûlant des pneus sur les grandes artères de la capitale.

C’est pour cela, aucun discours sur la maîtrise des approvisionnements grâce au FSE, et sur l’amélioration continue de la fourniture de l’électricité, ou encore sur la responsabilité des collectivités locales qui traîneraient d’énormes arriérés dus à la SENELEC, ne saurait masquer l’échec financier, économique et social du « Plan TAKKAL ».

La SENELEC continue d’être victime de mauvais choix d’investissements, de coûts de production exorbitants de l’électricité, des contraintes budgétaires de l’Etat pour honorer la compensation due, et de la marginalisation de l’expertise de ses cadres et du syndicat de l’entreprise.

C’est pour cela, que les consommateurs de l’électricité et les PME/PMI ne doivent pas accepter de payer cette mauvaise gestion de l’entreprise, à la place de ceux qui, grâce au retour du gré à gré, ont eu, manifestement, à tirer profit de cette situation.

C’est l’occasion de signaler le manque de discernement du FMI, qui déclare à tout vent que cette subvention ne profite qu’aux riches, et qu’il faille la supprimer.

En effet, le FMI ne peut pas ignorer, qu’en 2005/06 déjà, selon l’ « Enquête de Suivi de la Pauvreté au Sénégal » (ESPS), 92,6% des ménages avaient l’électricité comme mode d’éclairage, au moment où, 37,9% de ces ménages dans le Département de Pikine (Guedjewaye inclus), et 33,2% dans le Département de Rufisque, vivaient en dessous du seuil de pauvreté !

Surtout qu’il sait pertinemment que depuis lors, le taux de croissance de l’économie à baisser de moitié, en passant de 4,5% en moyenne sur la période 2000 à 2005, à 2,7% sur la période 2005 à 2009, avec comme résultat, l’aggravation de la pauvreté !

Le dogme libéral dirigé contre toute subvention de la consommation des ménages, mais favorable à toute subvention au profit du capital, même sous forme de réduction d’impôts sur les bénéfices des sociétés, rend donc le FMI, incapable d’apprécier objectivement et scientifiquement la situation économique et sociale du pays, que notre peuple attend de sa présence et de notre coopération.

Cet échec cuisant du « Plan TAKKAL » met aussi en lumière les responsabilités de la Banque mondiale, de la BAD, de l’AFD et de l’Ambassadeur de France au Sénégal, pour avoir défendu, publiquement sa « pertinence » technique et financière, et exprimé leur soutien à sa réalisation.

A cause d’eux, le Sénégal s’est endetté inutilement, et l’argent du contribuable Français indument dépensé en soutien à ce « Plan ».

Mais depuis l’affaire « SEGURA », les Sénégalais se demandent à quel point ces déclarations publiques de soutient sont elles sans contrepartie sonnante et trébuchante de la part des gouvernants.

C’est pour cela, que même si nos Bailleurs de fonds arrivent à tolérer que le régime n’augmente pas les tarifs de l’électricité à 4 mois des élections présidentielles, il faut craindre que sa victoire va faire rentrer notre pays dans des ajustements de tarifs et de coûts dramatiques.

C’est donc dès maintenant qu’il faut s’opposer à toute augmentation de tarifs, en exigeant de faire payer les responsables du « Plan TAKKAL » qui sont à la base de cette mauvaise gestion, et en dénonçant publiquement la complicité évidente de nos bailleurs de fonds dans cette affaire, ruineuse pour notre Nation.

C’est pour cette raison, que les cadres et les syndicats de SENELEC devraient craindre, autant pour leur sécurité personnelle, et pour leur emploi, que pour la survie de leur entreprise.

Ils ne devraient pas oublier que le pouvoir les avait déjà jetés à la vindicte populaire pour se tirer d’affaires, et que l’ampleur des ajustements de coûts exigés par le FMI, menace non seulement le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des PME/PMI, mais aussi, leurs propres emplois, et la survie même de leur entreprise.

Dans ces conditions nouvelles, les problèmes auxquels ils sont confrontés ne relèvent plus seulement du corporatisme syndical (amélioration des conditions de vie et de travail dans l’entreprise), mais deviennent des problèmes nationaux qui interpellent, à leur côté, les forces vives de la Nation qui sont aussi victimes de la crise de la SENELEC et de la manière dont elle est traitée par le pouvoir.

Ils sont donc, comme les travailleurs de la SONATEL, interpelés à se battre à côté des forces vives de la Nation pour défendre leur sécurité, leur emploi, et leur entreprise, tout en participant à la défense du pouvoir d’achat des Sénégalais, et de la compétitivité des PME/PMI.

Unis, nous y arriverons.

Fait à Dakar le 8 Novembre 2011

Ibrahima SENE PIT/SENEGAL
Mercredi 9 Novembre 2011