La bombe de la fraude électorale prête à exploser le 26 février 2012


« Comment peut-on organiser des élections, y participer et les perdre en Afrique ? » (Omar Bongo)

PAR PAPA DEMBA GASSAMA
Expert en Réseaux Informatiques et
Spécialiste en Identification biométrique
Etats Unis
shamptonmelissa@gmail.com
12/02/2012

C’est pendant que j’écrivais ce papier que j’ai lu le texte de Mr Bakar Ndiaye sur la question de la plus grande fraude électorale de notre histoire post-indépendance qui se prépare. Mr Ndiaye, non seulement a raison, mais a aussi interpellé dans son texte, tous les techniciens sénégalais sur la question de la transparence des prochaines élections. J’apporte ici ma modeste contribution au débat. J’ai abordé les questions techniques, surtout celles liées à la biométrie de façon très simple de manière à permettre une compréhension des enjeux en cours. Si le débat l’exige, je reviendrais plus en détail sur toutes les considérations techniques et comment l’expertise de l’UE a été ballottée lors de l’audit du fichier électoral, et les experts de l’opposition floués.

Au début était la carte d’identité numérisée.

Le 31 août 2005, l'Assemblée nationale sénégalaise adoptait le projet de loi instituant la carte nationale d'identité sénégalaise numérisée, qui visait notamment à abroger l'ancienne loi sur la carte nationale d'identité datant de 1962 et à introduire une carte d'identité « moderne et infalsifiable contenant des données biométriques » (Ce qui est totalement faux. Cette carte d’identité n’est ni moderne, ni infalsifiable encore moins ne contient des données biométriques. Nous aurons peut-être l’occasion de le démonter en d’autres occasions). Cette décision devait s’accompagner en même temps de la refonte totale du fichier électoral, dont on disait qu’il serait beaucoup plus fiable parce que basé sur la biométrie. C’est cela qui a été la première grande décision d’arnaque et de mise en place d’un vaste programme de fraudes électorales.

Une biométrie qui ne permet pas de détecter les doublons

Pas moins de cinq (5) Sociétés seront mobilisées : CFAO Technologies pour l’infrastructure technique et la connectivité ; East Shore pour tout ce qui touche l’Imaging et la biométrie ; DELARUE pour le système d’impression et de fourniture des cartes ; Sigma Technologies pour la maintenance du Système et Synopsys pour tout ce qui est traitement et fiabilité des données provenant de la collecte. Et tous ces marchés ont été des marchés de gré à gré, sans appels d’offre.

La DAF qui devait gérer tout ce système, s’est retrouvée dans une nébuleuse de structures, mais surtout ce qui a été plus grave pour la DAF, c’est d’avoir un AFIS (Automated Fingerprint Indentification System), en clair tout le système biométrique qui n’était pas basé sur des formats standards, mais sur un format propriétaire de la société East Shore. Donc les images des empreintes ne pourront jamais être vérifiées de façon indépendante, parce qu’inconvertibles.

Cette biométrie dont les autorités se vantaient tant, avait aussi une limite de taille : le système ne capturait que deux doigts des mains et avait un défaut congénital, celui de ne pas pouvoir reconnaître les inversions d’empreinte, c'est-à-dire, de faire la différence entre un pouce gauche et un pouce droit. Ce qui a fait que le fichier électoral s’est retrouvé avec des doublons qui ne pourront jamais être détectés, parce que la biométrie qui devait permettre de faire le matching est totalement inopérante.
Le fichier actuel est truffé de doublons. Certaines mêmes personnes s’y retrouvent plusieurs fois avec juste quelques variations de noms ou de dates de naissances, mais que le système ne détectera jamais parce que incapable de faire des recherches croisées avec le système biométrique. C’est ce qui a été la porte ouverte à la vaste fraude de 2007 dont l’opposition n’a jamais pu comprendre ce qui était arrivé.

D’ailleurs, la Rapport d’audit de l’UE de 2010 le confirme très clairement. Mais ils ne sont pas allés au bout de leur logique. Les auditeurs de l’UE n’ont jamais pu vérifier l’intégrité de la base de données. Ils n’ont jamais pu établir, de manière indépendante, si la base avait des doublons ou pas. Et c’est pourtant ce qui devait être l’une des missions centrales, car les Sénégalais voulaient savoir si leur fichier électoral était fiable et n’allait pas servir de porte ouverte à la fraude, comme en 2007.

Un vaste programme de fraudes en 2007

Le fichier électoral consensuel de 2000 comptait juste 2. 619. 799 inscrits. En faisant la refonte de 2005 en préparation des présidentielles de 2007, les autorités ont d’abord fait dans la mystification pour dire qu’ils ont pu inscrire 5.000.000 d’électeurs avec 500 commissions d’inscription et que désormais la liste électorale tenait sur 120.000 pages. Tout le système de traitement reposait sur plus de 250 serveurs avec des centaines d’imprimantes. Cette mystification était juste pour justifier les sommes colossales englouties dans les marchés douteux octroyés.

Mais derrière se cachait toute une stratégie de fraudes. En gonflant le fichier électoral de manière aussi démesurée, les autorités du Ministère de l’Intérieur voulaient s’assurer qu’il y aurait suffisamment d’électeurs potentiels sur lesquels s’appuyer pour dérouler le rouleau frauduleux. Mais en ne prenant cependant aucun risque. C'est-à-dire de voir la contrainte de ne pas obtenir au moins le quart des voix des inscrits venir bouleverser toute la stratégie. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre le vote de la loi sur le quart bloquant le 3 novembre 2006 à l’Assemblée Nationale, soit 3 mois avant les élections. Il faut rappeler qu’auparavant, Wade avait découplé les élections législatives avec les présidentielles en prenant prétexte des inondations.

La vaste opération de fraude de 2007 a consisté, sur la base des données électorales détenues par la DAF de pointer tous les électeurs « réels-fictifs » (parce que dupliqués dans la base mais qu’aucune vérification biométrique ne permet de détecter, comme démontré plus haut, ainsi que les décédés non sortis de la base). Tous ces électeurs ont été ventilés dans des bureaux de vote (« réels-fictifs »), en zone rurale surtout, (mais aussi en zone urbaine) loin des centres où l’opposition est présente.

Le Ministère de l’Intérieur dispose d’une cartographie électorale politique complète. Celle-ci a été définie sur la base d’une expérience électorale de plusieurs années et permet de savoir avec exactitude les zones où l’opposition n’est jamais présente. Parce qu’il faut dire que couvrir 12 000 bureaux de vote demande des moyens humains et financiers énormes que l’opposition, même en mutualisant ses ressources aura des difficultés à réaliser. Ces électeurs « réels-fictifs » vont donc « réellement » voter par le biais de l’Administration électorale qui émarge les listes et établit les PV à transmettre aux commissions de recensement. En zone urbaine, c’est beaucoup plus difficile. Mais là, des brigades (pas des militants) mais des agents de renseignement, transformés en mandataires et autres vérificateurs, parcourent les centres de vote pour voter plusieurs fois, en se débarrassant de « l’encre indélébile » qui n’est indélébile que de nom. Voilà pourquoi le pouvoir n’a jamais voulu entendre parler de spray.

Egalement, tous les grands électeurs PDS et leurs affidés ont été également pointés dans la base de données avec des informations complémentaires sur leur numéro de téléphone, leur influence et leur histoire personnelle (pour certains). Les immenses sommes d’argent déboursées avant le scrutin pour « intéresser » tous les grands électeurs, par dizaines de millions ainsi que la collecte des cartes d’électeurs des « soit disant militants » entraient dans cette vaste campagne de fraudes.

Enfin, l’autre élément non moins important a été la définition électronique de la cartographie électorale. Se basant sur sa connaissance des scrutins, le Ministère de l’Intérieur a découpé les centres de vote et bureau de vote en tenant compte de la ventilation des supporters du camp de la coalition SOPI. Des centres et bureaux de vote « speed » où le vote serait rapide ont été créés pour permettre à leurs électeurs de pouvoir récupérer leurs cartes aisément tandis que les opposants connus avaient toutes les difficultés du monde pour récupérer leur carte d’électeur (découragés, nombre d’entre eux abdiquaient). Le jour du vote, les suspectés opposants faisaient des queues interminables, ce qui décourageait la plupart. Et avec les centres et bureaux de vote témoins, le Ministère s’est entouré de toutes les garanties pour les faire voter le plus rapidement afin de disposer en mi-journée des tendances globales et de pouvoir faire des ajustements s’il y a lieu.

Tout cela a été possible grâce à la technologie et aux procédés de fraude modernes. Il faut dire que notre fichier électoral compte environ 3 à 3.5 millions d’électeurs réels (je suis affirmatif sur ce point). Le gap des 1.500.000 électeurs soulevé par la CENA trouve toute sa justification. En effet, les services de la DAF se sont plantés en donnant un mauvais fichier (le bon réellement) à la CENA. Il n’a donc pas été très difficile de faire ce travail de tri en faisant remonter les informations à partir des bases de la coalition SOPI dont l’écrasante majorité des gens ne savaient pas à quoi servaient toutes ces listes qu’on leur demandait. Au niveau même des têtes de pont de la coalition, personne, à part le petit cercle restreint, ne savait pas de quoi tout cela retournait.

C’est pourquoi, quand les résultats des élections étaient tombés, non seulement l’opposition avait reçu un coup de massue, mais eux-mêmes n’espéraient pas pouvoir réussir un aussi grand coup. Ils en sont restés bouche bée.

Alors la grande question que beaucoup de nos concitoyens se posent, et que le pouvoir dans sa gigantesque manipulation politique de tous les jours, amplifie, c’est comment alors l’opposition a-t-elle fait pour gagner, avec un tel fichier et un tel dispositif, d’importants bastions lors des Locales du 22 mars 2009 ?

Les Locales de Mars 2009 ou quand le pouvoir a confondu les types d’élection

Rappelons d’abord que c’était le 1er Février 2008, à trois mois des Locales, que le pouvoir avait encore donné un coup de poignard à la transparence (comme en 2007). En effet, un projet de loi modifiant le découpage administratif du Sénégal a été introduit à l’Assemblée Nationale avec l’érection des départements de Kaffrine (région de Kaolack), Sédhiou (région de Kolda) et Kédougou (région de Tambacounda) en régions. Les élections locales, initialement prévues le 18 mai 2008, ont été reportées au 22 mars 2009 subséquemment.

A l’arrivée, toutes les communautés rurales de la Région de Kédougou et du Département de Tambacounda, la majeure partie des communautés rurales des Régions de Kaffrine, Kolda, Sédhiou, Ziguinchor, Louga et Saint-Louis furent remportées par la Coalition Sopi. Avec 237 communautés rurales sur les 370 que compte le Sénégal dans l’escarcelle. Globalement, sur un total de 2. 109. 498 suffrages valablement exprimés, la Coalition Sopi a obtenu 970. 220 voix, soit 48,55 %.
la coalition de l‘opposition gagne certes, un nombre important de communautés rurales dans les régions de l’ouest et du centre comme Kaolack, Diourbel et Fatick. Par exemple, dans les Départements de Diourbel, Benno Siggil Senegaal est arrivée en tête sur 7 des 9 communautés rurales ; de Fatick (10 des 13 communautés rurales) ; de Nioro (10 sur 11) et de Kaolack (8 sur 9). Mais la réalité, c’est que la coalition de l’opposition n’a gagné que dans les grands centres urbains. Ceci était déjà la preuve par 9 que Wade était très minoritaire et n’eut été son coup de découpage administratif avec ses trois nouvelles régions, ce serait encore beaucoup plus catastrophique.

La réalité, c’est qu’en 2009, le camp de Wade a été surpris. Malgré la forclusion de l’opposition dans nombre de zones, les gens du pouvoir ne pensaient pas que la fracture avait atteint un niveau aussi important. Aussi, malheureusement (pour eux), ils avaient oubliés que les techniques de fraudes électroniques avec la possibilité de faire voter des électeurs inscrits frauduleusement dans le fichier, ne pouvait pas servir à grand-chose parce qu’on avait affaire à une élection locale.
Mais ce qui les a aussi éclaboussés, c’est la fronde et la contestation vigoureuse au niveau de la base avec la défection et les querelles intestines. Ce phénomène a empêché la remontée correcte des informations comme en 2007, mais aussi a même souvent éloigné certains électeurs (qui se sont soit abstenus, soit ont voté opposition pour contester). Il y a eu des chaînons manquants dans le dispositif. Voila pourquoi certains ont payé pour ces fautes.

Fraudes en 2012 ou la bombe électorale qui va exploser

En prévision des Elections de 2012, une révision exceptionnelle des listes électorales a duré du 03 Janvier au 16 Août 2011. Et aucune source officielle n’a permis de connaitre le nombre exact des nouveaux électeurs inscrits. La CENA a publié des chiffre, mais s’est tout de suite rétractée pour dire que les chiffres n’étaient pas officiels. Selon elle, il y aurait eu 285. 706 nouvelles inscriptions, là où toutes les projections parlaient d’au moins un million de jeunes. Mais l’Etat avait systématiquement refusé de faire les efforts pour faciliter cette inscription, y compris en refusant les moyens de l’UE pour aider à inscrire massivement ces jeunes. Pour le pouvoir, c’était risqué de voir arriver ces nouveaux électeurs qui ont grandi sous la contestation des brassards rouges.

Ce qui se prépare du côté du pouvoir est d’une extrême gravité. L’ensemble du dispositif électronique de 2007 est de nouveau en place. Niasse parle du logiciel déjà disponible au niveau de l’ADIE pour préparer la grande mascarade. Non. il ne s’agit pas d’un simple logiciel ! C’est tout un dispositif.
En effet comme en 2007, on va faire croire qu’il y a eu un taux de participation exceptionnelle sur la base des 1. 677 bureaux de vote pour 6. 155 lieux de vote et 5. 080. 294 électeurs. C’est pourquoi d’ailleurs, le Ministère chargé des Elections sort des communiqués dans tous les sens, organise des caravanes de sensibilisation, fait des spots, tout cela pour demander aux électeurs d’aller retirer leurs cartes alors que sur le terrain, le retrait des cartes pose un gros problème. Des cartes sont introuvables par leur destinataire et même certaines cartes ont été expédiées dans d’autres localités. D’autres cartes, surtout de jeunes sont achetées pour déposséder les électeurs suspectés d’être défavorables au régime. On parlerait aujourd’hui de plus 250.000 cartes en souffrance dans les commissions de distribution.

Aussi, comme en 2007 et en 2009, le régime a procédé encore à un redécoupage administratif à quelques mois des élections pour « corriger » les anomalies qui ont permis à l’opposition de faire des percées dans certaines communautés rurales, lieu par excellence d’implémentation de la fraude. Exemple de zones touchées : Sangalkam (Dakar), Bokidiawe (Matam), Djilot et Diakhao (Fatick), Keur Mbouki (Kaffrine), Mboss (Kaolack), Ndiagne (Louga), Guinguineo (Fass, Mboss, Ourour, Panal Wolof et Dara Mboss). Malem Hoddar (Ndiobène Samba Lamo et Ndioum Ngainth), etc.

Le pointage de la base de données électorale va être facilitée, cette fois-ci par l’importante banque de données des ruraux collectée par le camp de Wade à travers l’opération d’arnaque sur le fameux syndicat des agriculteurs. Le recensement avait permis de disposer d’une importante base de données de plus d’un million de personnes avec leurs numéro de téléphone, leur adresse, leur statut matrimonial, la taille de leur famille et autres.

Pour ces élections de 2012, toutes les autres techniques traditionnelles de fraude seront également de la partie. A savoir :
- Créer une confusion dans l’affichage des listes et cacher l’adresse réelle de certains bureaux de vote. Surtout avec le dernier découpage , beaucoup d’électeurs vont se retrouver à changer de bureau de vote ou a devoir se déplacer dans un autre centre de vote.
- Le matériel de vote va arriver tardivement dans certains bureaux de vote avec la double intention de ralentir les opérations de vote dans les zones suspectées défavorables d’une part, mais aussi de faire trainer le scrutin jusque tard dans la soirée afin de pouvoir le prolonger par arrêté et de procéder aux ajustements nécessaires. Parce qu’à cette heure, ils auront fini d’avoir les tendances lourdes avec les bureaux témoins et les bulletins laissés dans les poubelles des isoloirs que des experts déjà recrutés se chargeront d’aller décompter et de faire des projections.
- Les morts qui sont dans le fichier vont continuer de voter. Parce qu’ils n’y ont pas été expurgés.
- Etc.

Wade gagnera au 1er tour.

Ceux qui pensent que les élections du 26 février 2012 seront juste un scrutin et qu’il faut aller battre Wade par les urnes, ceux-là se trompent lourdement. Il y a toute une logistique de fraudes électorales très sophistiquée derrière Wade. Et comme il le dit lui-même depuis lors, il prépare toutes les opinions à passer dès le 1er tour. Il a déjà réuni toutes les conditions pour un pareil coup « d’état électoral » après son coup d’état constitutionnel. Wade, s’il participe à ces élections, va les gagner dès le 1er tour. La thèse d’aller sécuriser le vote est un leurre. Les bureaux de vote où le pouvoir va frauder sont des bureaux « réels-fictifs ». Les artifices de la fraude massive en préparation seront imparables pour l’opposition. Parce qu’il sera presque impossible de réunir les preuves. L’opposition n’a pas accès au fichier électoral « réel » avec la possibilité de pouvoir convertir les empreintes des inscrits dans un format standard et de faire les comparaisons sur l’intégralité de la base de données. Le Conseil Constitutionnel est déjà dans la poche du pouvoir ; et des magistrats agissant au niveau intermédiaire sont déjà prêts à faire le travail. Les observateurs dont on parle ne feront que valider les résultats proclamés par le Conseil Constitutionnel, en déclarant qu’il y a eu quelques irrégularités mais que cela ne remet pas en cause la fiabilité du scrutin.
Lundi 13 Février 2012
PAPA DEMBA GASSAMA