La définition de la géographie qui la réduit à son utilité par rapport à la guerre apparait aussi limitée que l’approche tendant à limiter la géopolitique qui lui est associée au seul domaine de l’emploi des armes létales. C’est peut être cette cécité qui a longtemps pris les dirigeants sénégalais dans une large mesure d’autant plus que celles-ci, jusqu’à un avenir récent étaient plus préoccupées par leur survie individuel qu’à s’intéresser un tant soit peu à la recomposition inévitable de notre sous région. Peut-être que c’est la douche froide reçue par la CEDEAO qui a avoué son échec dans toutes les crises récentes qu’a connu la sous région notamment celle qui vit le Niger qui semble laisser transi notre pays qui s’était trop fait mal remarquer aux côtés des pays va-t’en guerre comme le Nigéria et la Cote d’ivoire.
La recomposition de la sous-région, comme d’ailleurs le reste du monde est en train de s’opérer inéluctablement et présente une fracture nette qui risque de découper la sous-région en plusieurs parties ou blocs aux intérêts parfois divergents alors que les 15 pays de la CEDEAO semblaient partager une volonté d’intégration qui peut quand même s’enorgueillir d’une relative liberté de circulation des populations entre les pays membres.
Cette étude qui cherche à faire adopter au Sénégal une posture stratégique centrée sur ses propres intérêts, comme ce qui doit être le cas de chaque état, tentera en se référant d’abord aux principes et finalités de la géopolitique de présenter la situation actuelle depuis la creation de l’AES survenu le 16 septembre 2023 avant d’exposer les raisons qui doivent pousser les décideurs sénégalais à privilégier dès maintenant une option stratégique réaliste centrée sur les intérêts du peuple sénégalais où doivent converger tous les efforts de l’état.
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Rappel sur les intérêts nationaux et la géopolitique si fortement liés pour un état stratège
L’intérêt national, pour beaucoup d’acteurs politiques, de stratèges et de penseurs doit demeurer le fondement de toute décision en matière de politique étrangère. Qu’il s’agisse des intérêts vitaux symbolisés par exemple par la présidence dont la paralysie endommagerait fortement la marche de l’état ou des intérêts stratégiques comme par exemple la transgambienne dont la protection et la garantie de circulation s’imposent car les conséquences de leur manque de sauvegarde impacterait directement la vie des populations et la marche de l’état. L’on pourrait même dire que c’est la mise en jeu des intérêts nationaux composés essentiellement des deux types cités supra qui structure les relations internationales. L’on devrait aussi y rajouter les intérêts diplomatiques ou de rayonnement de moindre importance comme par exemple une alliance avec un lointain pays et qui sont pris en compte dans le cadre de l’élaboration des options stratégiques Et c’est dans le cadre de la protection de ses intérêts nationaux que chaque état définit ses principales politiques centrées autour de l’économie, la diplomatie et la défense pour que ses populations en tirent le maximum de profit, même au détriment d’autres peuples ;il en est ainsi depuis l’aube des temps d’autant plus que les humains semblent souvent agir mus par leur instinct de survie .
Ratzel (1844-1904) le Botaniste allemand reconnu par l’école occidentale moderne comme le précurseur de la géopolitique avait bien raison de comparer les hommes, les états à des plantes qui en fait ne cherchent qu’à se nourrir et par tous les moyens, quitte à envoyer leurs racines le plus loin possible ; ces racines pouvant être comparés aux expéditions militaires de Sésostris 1er du moyen empire égyptien ,Touthmôsis 1er de la 18ème dynastie ou aux bataillons coloniaux français du 19ème siècle Que dire alors de ces états qui signent des partenariats , des accord qui ne leurs sont pas favorables ou peuvent même s’engager dans une guerre sans tenir compte de leurs intérêts ? Le Togo me semble faire exception en Afrique face à d’autres états qui comme le Sénégal et le Benin pour ne citer que ceux-là qui ont appliqué des sanctions à leurs voisins et par la suite se retrouvant à supplier pour que les embargos imposés par la CEDEAO soient levée. Ils auraient dû prendre l’exemple de la Hongrie qui n’hésite pas à se lever contre l’OTAN et l’UE engagées contre la Russie pour protéger ses intérêts nationaux ? Et les USA qui continuent à commercer avec la Russie tout en poussant les européens à poursuivre les hostilités avec ce pays qui occupe une partie de l’Ukraine dont les dirigeants politiques, bien avant 2021 ont agi poussés plus par des sentiments que par la réalité géopolitique. Mais ici nous parlons des états stratèges qui savent signer des accords, intégrer une coalition qui peut même les entrainer dans une guerre mais non de ces états-pays qui n’ont cure et ne savent même pas défendre leurs intérêts nationaux, et qu’on retrouve souvent sous nos tropiques qui englobent le Sénégal jusqu’à présent.
Si leurs dirigeants se souciaient plus de leur intérêt nationaux plutôt que leurs intérêts claniques ou familiaux, les conditions de vie difficile de la majorité de leur population s’en trouverait bien améliorées. C’est en fait leur manque de prise en compte des principes de la géopolitique qui devrait être considéré comme la cause de leurs malheurs depuis qu’ils sont entrés en contact avec d’autres peuples notamment les leucodermes qui se soucient en tous temps et à tous les niveaux de leurs intérêts. Les russes, turcs et chinois, et même les marocains qui aujourd’hui concurrencent et même suppléent les européens sur le continent semblent être mus par les mêmes principes bien que leurs méthodes douces différent de la force brutale employée pendant la période coloniale anglaise, française et portugaise. Ces nouveaux conquérant agissent au nom d’états stratéges nourris aux principes de la géopolitique théorisée par Ratzel, Haushofer, Mackinder, Kjellen, Spykman Mahan etc et que le contemporain Yves Lacoste redéfinit si bien en ces termes : ‘’ La géopolitique est une méthode particulière qui repère, identifie et analyse les phénomènes conflictuels, les stratégies offensives ou défensives centrées sur la possession d’un espace, sous le triple regard des influences du milieu géographique, pris au sens physique comme humain, des arguments politiques des protagonistes du conflit, et des tendances lourdes et continuités de l’histoire
Aucun pays africain ne peut défendre ses intérêts face à tous ses conquérants sans se muer en Etat Stratège qui dans toutes ses décisions s’inscrit dans la prospective et prend en compte les principes de la géopolitique théorisées depuis fort belle lurette par les anciens et les facteurs de la stratégie si bien exposés par le Général Desportes en toute complicité avec Jean François Phélizon dans une brillante introduction à la stratégie.
Et c’est cette posture d’état stratège toujours guidé par la défense de son espace vital, ses intérêts que le Sénégal doit adopter pour bien se positionner dans la reconfiguration quasi inévitable de notre sous-région ouest africaine.
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Situation géopolitique actuelle de la sous-région ouest africaine
La CEDEAO, fortement secouée depuis 2012 par la violence terroriste et les irrédentismes qui ont sapé les fondements de certains de ses membres comme le Mali, le Burkina et le Niger semble avoir emprunté la perpétuation des tendances lourdes de l’histoire ou la logique des phénomènes nucléaires qui fusionnent, se fissurent, fusionnent encore et se fissurent par la suite pour produire plus d’énergie. Le grand empire du Mali et par la suite celui du Songhaï qui regroupaient presque tout cet ensemble se sont fissurés avant de se reconstituer sous la colonisation française. Par la suite le bloc ouest africain s’est fissuré en états indépendants depuis 1960 avant de manifester depuis 1975 une volonté de se regrouper dans le cadre de cette CEDEAO qui depuis la récente création des Etats de l’Alliance du Sahel risque fortement encore de se fissurer au minimum en deux grands blocs : d’un côté l’AES et ses partenaires et certainement de l’autre coté un potentiel ensemble qui pourrait être dénommé CECA0 (Communauté des Etats Côtiers de l’Afrique de l’Ouest). Certains états, surtout du fait de leur position géographique comme le Sénégal et le Nigéria situés aux exirémités du bloc auront à faire des choix imposés par leur position géographique, guidés par leurs histoire aussi, mais surtout par leurs intérêts. Le Togo, depuis la derniere crise politique du Niger marquée le 26 Juillet 2023 par le renversement du président Bazoum a montré la voie en ouvrant son port à l’AES au détriment du Bénin qui cherche encore à se repositionner comme porte du Sahel sur le golfe de Guinée. La Cote d’ivoire, quoique en crise avec le Mali et aussi le Burkina saura certainement mettre en avant ses intérêts économique par rapport aux pays du sahel.
Comme le montre la situation actuelle, tous les états de la CEDEAO, tout en demeurant dans l’institution sous régionale affichent en sourdine ou de manière affichée une volonté de préservation de leurs intérêts spécifiques. En outre, on observe facilement les acteurs extérieurs comme la Russie, la Turquie, la Chine, le Maroc et l’Iran sans oublier les Etats Unis qui profitant de la quasi expulsion de la France du Sahel cherchent à se positionner, mus principalement par leurs intérêts. Comme si bien expliqué par Lacoste, chacun de ces acteurs internes ou externes déploient des stratégies pour s’accaparer en fait d’un espace, d’un marché, de ressources minières etc. Les USA, chassés récemment d’Afghanistan, menacés de quitter le Niger emploieront surement tous leurs moyens pour garder leur grande base militaire d’Agadez menacée par les nouvelles autorités de Niamey.
Le Sénégal, ayant déjà subi l’embargo du Mali son principal client, doit ainsi anticiper sur la situation, prendre une posture stratégique réaliste qui préserve ses intérêts surtout.
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L’option stratégique que le Sénégal doit privilégier:
De par sa position géographique, le Sénégal peut se réclamer aussi bien comme un état du Sahel que comme faisant partie des états côtiers de l’Afrique de l’Ouest. Cependant, une fine analyse géographique montre qu’il est en fait séparé du bloc côtier centré sur la Cote d’ivoire par les montagnes et les forêts de la Guinée. Par contre de Dakar à Niamey en traversant Bamako et Ouagadougou en 03 jours de bus sur une distance de 2677 km, l’on a l’impression de rouler sur une même étendue plate dénuée d’obstacles. Les fleuves Sénégal et Niger qui la traversent ne constituent point de sérieux obstacles en raison des ponts qui permettent de traverser à plusieurs endroits. Aussi, pour les sénégalais les lignes terrestres qui les relient aux pays de la CECAO et au lointain Tchad si proche cependant de notre pays passent toutes par Bamako que visent aussi les nouveaux ports de Ndayane et Sendou de même que celui de Dakar qui veulent se positionner comme hubs de l’hinterland ouest africain. Si l’on y rajoute la commune appartenance des sénégalais, des maliens, des burkinabés et des nigériens à la communauté des peuples nigéro congolaise partagent les mêmes bases culturelles et linguistiques, le Sénégal balance plus facilement vers les états du sahel fortement à la recherche d’un accès à la mer.
Quant au Mali forcé par la géographie de se positionner comme un état tampon intermédiaire entre le Sénégal et l’hinterland que vise le Sénégal, le souvenir de l’éphémère fédération partagée avec notre pays fait qu’il semble bien être encore très attiré par Dakar la seule capitale reliée à Bamako par train.
Face à cette situation qui fait des pays du Sahel plus que des partenaires alors que les pays de la cote en fait sont ses concurrents dans une certaine mesure, le Sénégal doit faire un choix optimal au risque d’être isolé. Et là, si la fracture de la CEDEAO était irrémédiablement actée, ce qui semble se profiler le plus, le Sénégal doit continuer à se positionner comme partenaire privilégié du Mali qui reçoit plus de 21% de ses exportations, quitte à prendre le risque de rejoindre même une AES redéfinie. En outre la lutte contre le terrorisme n’en sera que facilitée par une coopération sécuritaire plus active avec le Mali, notre grand voisin secoué fortement par une crise politique de grande ampleur depuis 2012.
Aussi, le nouveau gouvernement doit s’activer déjà à privilégier ses relations diplomatiques avec les pays de l’AES tout en préservant sa liberté d’action. Le statut militaire des dirigeants des pays de l’AES ne doit point être un frein vu entre autres considérations, qu’à la création de la CEDEAO en 1975, les chefs d’état de ces trois pays étaient tous issus de l’Armée. Le projet à remettre d’emblée en route devrait être le train Dakar-Bamako qui visera Ouagadougou et Niamey avec un partenaire fort pour que le projet aboutisse assez vite. Et d’emblée, le Sénégal devra activer une ligne aérienne plus fréquente sur l’axe Dakar-Bamako- Ouagadougou-Niamey pour commencer à inverser le flux vers Dakar que nous dispute plus Lomé actuellement et Abidjan depuis fort longtemps.
CONCLUSION
Le Sénégal doit se comporter comme un état souverain soucieux de ses intérêts comme le démontrent à suffisance les pays stratèges dont il doit se réclamer maintenant. N’a-t-on pas vu le Maroc, ‘’pays ami’’ du Sénégal, qui guidé par ses intérêts a voulu dans le passé adhérer à la CEDEAO et quitter l’UMA qui lui rapporterait moins que le sud du Sahara ; et récemment ce même pays, de même que la Mauritanie ont voulu profiter de l’embargo imposé au Mali pour offrir leurs ports ouverts sur la côte ouest atlantique au détriment exclusif de Dakar. Le comportement de ces deux pays est normal et doit-nous servir d’exemple dans le cadre de la protection des intérêts qui doit nous forcer à déployer plus d’une stratégie gagnante dénuée de tout sentimentalisme et de toute influence extérieure.
Comme tous les ensembles appelés toujours à se muer pour diverses raisons, la CEDEAO risque de ne pouvoir pas échapper à cette lourde tendance historique qui fait que les peuples se réunissent et se séparent en permanence au gré des évolutions politiques. Aussi si ‘’cette accélération de la destinée’’ comme dirait Cassandre aboutissait à la fracture de la CEDEAO en deux blocs, le Sénégal devra faire un choix franc pour ne pas se retrouver isolé géographiquement avec une forte érosion de ses revenus que lui procurent le port de Dakar et ses exportation vers le Mali surtout qui se positionne comme un pion central de l’AES, de par sa position et son potentiel. Les nouvelles autorités sénégalaises ont toute la légitimité pour se positionner comme des médiateurs cherchant à réconcilier l’AES et la CEDEAO qui non seulement n’a pas contribué efficacement à la lutte contre le terrorisme mais en plus a affaibli les états du Sahel par ses sanctions injustes. Cependant, si la CEDEAO ne pouvait pas résister à la fracture, le Sénégal doit prendre résolument partie pour un partenariat dynamique avec l’AES car ces pays représentent des débouchés pour ses ports et son commerce surtout, sans oublier que le Sénégal est aussi une destination estudiantine et sanitaire qui attire de plus en plus de citoyens de la sous-région. La sauvegarde des intérêts du Sénégal doit être le guide permanent qui nous forcera à choisir d’adhérer pour les états côtiers ou pour l’AES si la répartition de la CEDEAO en plusieurs entités se confirmait.
Ainsi, le Sénégal, de par son histoire et sa position géographique, du fait qu’il abrite le siège de la BCEAO et de beaucoup d’institutions internationales, par le fait qu’un nouveau régime vient juste d’accéder au pouvoir se positionne en fait comme l’arbitre, le point de bascule du devenir de la CEDEAO , du franc CFA et de l’ECO. Ses nouveaux dirigeants doivent prendre les décisions qu’il faut en prenant en compte en priorité absolue l’intérêt du peuple sénégalais qui les a légitimés. Quitte à déplaire de grandes chancelleries.
Dakar le 27 Mars 2024
Par le Colonel Parachutiste(Er) Seyni Cissé Diop
Consultant expert en Défense & Sécurité scdiop@yahoo.fr
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