Excellence, Monsieur le Président de la République,
Vous vous rendrez compte, à travers les colonnes de ce papier, que cet avis est loin d’être celui d’un expert dans le domaine de la santé. Mais puisque cette question est vitale et nous interpelle tous, je me permets, en quelques mots, de vous donner mon humble avis sur la couverture maladie universelle, une des priorités de votre programme de campagne, dénommé le "YoonuYokkuté". La documentation sur cette question essentielle, depuis qu’elle a été promue par l’OMS et adoptée par l’assemblée mondiale des Nations Unies, est aujourd’hui disponible dans Google et autres sites du net. De ce qui se dit par les experts du domaine, êtes-vous sûr que notre Sénégal est sur le chemin de la couverture maladie universelle ? Dans la documentation spécialisée, je relève d’ailleurs qu’il s’agit de la couverture sanitaire universelle, en anglais, Universal Health Coverage. Mais ceci n’est peut-être pas l’essence de mon propos, même si cette remarque me rattrapera.
Excellence,
Toutes les politiques de santé au monde visent à garantir aux populations le meilleur état de santé possible. Le fort lien entre santé et développement fait qu’aujourd’hui beaucoup de personnes basculent dans la pauvreté du fait de problèmes de santé. Et c’est ce qui justifie d’ailleurs le choix des objectifs de santé dans les objectifs du millénaire pour le développement (OMD).
Nos Etats sont passés du slogan de "santé pour tous à l’an 2000" au slogan de "santé pour tous au 21ème siècle". Mais le constat est que l’accès de toutes les populations aux soins de santé de qualité reste une équation non encore résolue par beaucoup de pays africains et ceci, pour plusieurs raisons : faibles systèmes de santé, système de financement de la santé non performant et non orienté vers l’équité, etc. La plupart de ces Etats empruntent, aujourd’hui, le chemin de la couverture sanitaire universelle, comme meilleur moyen d’atteindre l’objectif de santé primaire de 1978.
La couverture sanitaire universelle n’est rien d’autre que de s’assurer que les populations accèdent à des prestations de qualité bien réparties sur toute l’étendue du territoire, tout en veillant à lever les entraves financières qui en limiteraient la portée. Elle repose essentiellement sur trois axes :
amélioration de l’offre de santé en quantité, en qualité et en équité ; réduction des risques financiers liés à l’accès aux soins de santé ; limitation des risques qui affectent la santé, ce qui permettra d’avoir moins de malades. Le premier axe est le plus important. Or, malgré les importantes ressources injectées dans le secteur, ces dernières années, l’offre reste toujours déséquilibrée : plateaux techniques faibles dans beaucoup de structures, déficit de personnel qualifié et leur inégale répartition sur l’étendue du territoire au moment où des médecins, infirmiers et sages-femmes formés à la bonne école sont au chômage, faible productivité du personnel, etc. Il faut ajouter à cela les sérieux problèmes de gouvernance qui plombent le secteur, depuis plusieurs années. Vous en parliez dans votre message à la Nation du 3 avril 2012, mais il ne semble pas que vous soyez entendu ; vous-même, vous semblez l’avoir oublié alors que c’est de l’amélioration de la gouvernance que dépendra le rythme d’avancée vers la couverture universelle.
Excellence Monsieur le Président de la République,
Le vendredi 20 septembre 2013, vous procédiez au lancement de votre programme de couverture maladie universelle. Ce programme met plus l’accent sur la réduction des risques financiers, notamment la réforme des institutions de prévoyance maladie (IPM), le renforcement et le développement des mutuelles de santé et le renforcement des politiques de gratuité, entre autres. Or, ces aspects ne constituent que des modalités d’accès à l’offre de soins de santé. Le plus important c’est de développer une offre de qualité, bien répartie, et attractive ; ce qui, du reste, est la motivation première à l’adhésion à toute forme d’assurance maladie.
Dans votre communication, lors du conseil des Ministres du 13 novembre 2013, vous êtes revenu amplement sur l’importance et la nécessité de développer une offre de qualité au profit des populations. Ceci devrait être la priorité de votre programme et non la réduction des risques financiers. Et j’ose espérer que votre Gouvernement saura traduire cette priorité en acte concret.
Mais par rapport à vos options sur la réduction des risques financiers, je voudrais faire les commentaires suivants :
Premièrement : l’assurance maladie universelle n’est possible que dans une approche obligatoire. S’il y a des pays qui ont réussi cela, c’est parce qu’ils l’ont rendue obligatoire, c’est l’exemple du Rwanda. Quand on parle d’adhésion volontaire, dans une perspective d’assurance maladie, on est plutôt en train de faire de l’assurance complémentaire pour couvrir le ticket modérateur et des biens non couverts, comme la Mutuelle des forces armées et celle des fonctionnaires qui couvrent les 20% non pris en charge par l’Etat. Mais depuis qu’on parle de mutuelle de santé le niveau de développement n’a pas beaucoup progressé. Il faut être réaliste et voir pourquoi cela ne progresse pas.
Deuxièmement : le Sénégal est un pays pauvre qui mène une recherche effrénée de moyens pour financer son développement. Adopter une politique de gratuité des soins pour tous ne me semble pas être la meilleure option puisque tout le monde n’est pas indigent. Les personnes qui ont une assurance maladie (adultes ou enfants) constituent une opportunité de recettes que l’Etat peut et doit mobiliser facilement. Je ne comprends pas pourquoi renoncer à des recettes alors qu’on cherche à hue et à dia des ressources pour financer notre système de santé. Excellence, il ne faudrait pas tomber dans le piège de vouloir faire de l’équité en créant des iniquités, c’est-à-dire, faire bénéficier à quelqu’un un avantage dont il n’a pas le droit.
Troisièmement : la politique de gratuité des soins pour tous est aussi antinomique à votre option de développement des mutuelles de santé. Quand tous les motifs de fréquentation des structures de santé sont rendus gratuits, il n’y aura jamais de développement de mutuelles de santé. Les populations n’auront aucune motivation à adhérer à des mutuelles de santé pour des prestations qui ne leur seront pas facturées. On peut certes faire des gratuités mais au profit de cibles bien connues et objectivement maitrisées.
Quatrièmement : la couverture maladie relève du domaine de la protection sociale. Il ne s’agit pas de soins à donner aux populations mais de réduire plutôt leur vulnérabilité par rapport à l’accès aux soins. Donc, du point de vue de l’ancrage institutionnel, ce programme devrait être piloté, en même temps que le programme de bourses de sécurité familiale, par la Délégation Générale à la Protection Sociale et à la Solidarité Nationale (DGPSSN). La DGPSSN a, entre autres missions, de mettre en œuvre et de coordonner les politiques publiques en matière de protection sociale et de solidarité nationale contribuant à la réduction de la pauvreté et des inégalités. (Je vous renvoie au décret N° 2012-1311 fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de la DGPSSN).
Excellence, Monsieur le Président de la République,
Pensez-vous que votre Gouvernement sache traduire en acte vos ambitions ?
Après avoir fait le tour du pays et en écoutant la déclaration de politique générale de votre Premier Ministre, pensez-vous, qu’avec seulement 11 centres de santé et 40 postes de santé, vous pourriez réduire les disparités d’accès aux soins dans le pays, d’ici 2017 ?
L’amélioration de l’Etat de santé de nos populations est un idéal. La couverture maladie universelle est une œuvre de longue haleine. Comme tout idéal, même s’en rapprocher demande du temps et de la persévérance. Donc attention aux échéances que vous vous donnez et accordez au moins à vos ambitions les moyens de leur réalisation.
Par Serigne Mbacké HANE
Agro-économiste
Vous vous rendrez compte, à travers les colonnes de ce papier, que cet avis est loin d’être celui d’un expert dans le domaine de la santé. Mais puisque cette question est vitale et nous interpelle tous, je me permets, en quelques mots, de vous donner mon humble avis sur la couverture maladie universelle, une des priorités de votre programme de campagne, dénommé le "YoonuYokkuté". La documentation sur cette question essentielle, depuis qu’elle a été promue par l’OMS et adoptée par l’assemblée mondiale des Nations Unies, est aujourd’hui disponible dans Google et autres sites du net. De ce qui se dit par les experts du domaine, êtes-vous sûr que notre Sénégal est sur le chemin de la couverture maladie universelle ? Dans la documentation spécialisée, je relève d’ailleurs qu’il s’agit de la couverture sanitaire universelle, en anglais, Universal Health Coverage. Mais ceci n’est peut-être pas l’essence de mon propos, même si cette remarque me rattrapera.
Excellence,
Toutes les politiques de santé au monde visent à garantir aux populations le meilleur état de santé possible. Le fort lien entre santé et développement fait qu’aujourd’hui beaucoup de personnes basculent dans la pauvreté du fait de problèmes de santé. Et c’est ce qui justifie d’ailleurs le choix des objectifs de santé dans les objectifs du millénaire pour le développement (OMD).
Nos Etats sont passés du slogan de "santé pour tous à l’an 2000" au slogan de "santé pour tous au 21ème siècle". Mais le constat est que l’accès de toutes les populations aux soins de santé de qualité reste une équation non encore résolue par beaucoup de pays africains et ceci, pour plusieurs raisons : faibles systèmes de santé, système de financement de la santé non performant et non orienté vers l’équité, etc. La plupart de ces Etats empruntent, aujourd’hui, le chemin de la couverture sanitaire universelle, comme meilleur moyen d’atteindre l’objectif de santé primaire de 1978.
La couverture sanitaire universelle n’est rien d’autre que de s’assurer que les populations accèdent à des prestations de qualité bien réparties sur toute l’étendue du territoire, tout en veillant à lever les entraves financières qui en limiteraient la portée. Elle repose essentiellement sur trois axes :
amélioration de l’offre de santé en quantité, en qualité et en équité ; réduction des risques financiers liés à l’accès aux soins de santé ; limitation des risques qui affectent la santé, ce qui permettra d’avoir moins de malades. Le premier axe est le plus important. Or, malgré les importantes ressources injectées dans le secteur, ces dernières années, l’offre reste toujours déséquilibrée : plateaux techniques faibles dans beaucoup de structures, déficit de personnel qualifié et leur inégale répartition sur l’étendue du territoire au moment où des médecins, infirmiers et sages-femmes formés à la bonne école sont au chômage, faible productivité du personnel, etc. Il faut ajouter à cela les sérieux problèmes de gouvernance qui plombent le secteur, depuis plusieurs années. Vous en parliez dans votre message à la Nation du 3 avril 2012, mais il ne semble pas que vous soyez entendu ; vous-même, vous semblez l’avoir oublié alors que c’est de l’amélioration de la gouvernance que dépendra le rythme d’avancée vers la couverture universelle.
Excellence Monsieur le Président de la République,
Le vendredi 20 septembre 2013, vous procédiez au lancement de votre programme de couverture maladie universelle. Ce programme met plus l’accent sur la réduction des risques financiers, notamment la réforme des institutions de prévoyance maladie (IPM), le renforcement et le développement des mutuelles de santé et le renforcement des politiques de gratuité, entre autres. Or, ces aspects ne constituent que des modalités d’accès à l’offre de soins de santé. Le plus important c’est de développer une offre de qualité, bien répartie, et attractive ; ce qui, du reste, est la motivation première à l’adhésion à toute forme d’assurance maladie.
Dans votre communication, lors du conseil des Ministres du 13 novembre 2013, vous êtes revenu amplement sur l’importance et la nécessité de développer une offre de qualité au profit des populations. Ceci devrait être la priorité de votre programme et non la réduction des risques financiers. Et j’ose espérer que votre Gouvernement saura traduire cette priorité en acte concret.
Mais par rapport à vos options sur la réduction des risques financiers, je voudrais faire les commentaires suivants :
Premièrement : l’assurance maladie universelle n’est possible que dans une approche obligatoire. S’il y a des pays qui ont réussi cela, c’est parce qu’ils l’ont rendue obligatoire, c’est l’exemple du Rwanda. Quand on parle d’adhésion volontaire, dans une perspective d’assurance maladie, on est plutôt en train de faire de l’assurance complémentaire pour couvrir le ticket modérateur et des biens non couverts, comme la Mutuelle des forces armées et celle des fonctionnaires qui couvrent les 20% non pris en charge par l’Etat. Mais depuis qu’on parle de mutuelle de santé le niveau de développement n’a pas beaucoup progressé. Il faut être réaliste et voir pourquoi cela ne progresse pas.
Deuxièmement : le Sénégal est un pays pauvre qui mène une recherche effrénée de moyens pour financer son développement. Adopter une politique de gratuité des soins pour tous ne me semble pas être la meilleure option puisque tout le monde n’est pas indigent. Les personnes qui ont une assurance maladie (adultes ou enfants) constituent une opportunité de recettes que l’Etat peut et doit mobiliser facilement. Je ne comprends pas pourquoi renoncer à des recettes alors qu’on cherche à hue et à dia des ressources pour financer notre système de santé. Excellence, il ne faudrait pas tomber dans le piège de vouloir faire de l’équité en créant des iniquités, c’est-à-dire, faire bénéficier à quelqu’un un avantage dont il n’a pas le droit.
Troisièmement : la politique de gratuité des soins pour tous est aussi antinomique à votre option de développement des mutuelles de santé. Quand tous les motifs de fréquentation des structures de santé sont rendus gratuits, il n’y aura jamais de développement de mutuelles de santé. Les populations n’auront aucune motivation à adhérer à des mutuelles de santé pour des prestations qui ne leur seront pas facturées. On peut certes faire des gratuités mais au profit de cibles bien connues et objectivement maitrisées.
Quatrièmement : la couverture maladie relève du domaine de la protection sociale. Il ne s’agit pas de soins à donner aux populations mais de réduire plutôt leur vulnérabilité par rapport à l’accès aux soins. Donc, du point de vue de l’ancrage institutionnel, ce programme devrait être piloté, en même temps que le programme de bourses de sécurité familiale, par la Délégation Générale à la Protection Sociale et à la Solidarité Nationale (DGPSSN). La DGPSSN a, entre autres missions, de mettre en œuvre et de coordonner les politiques publiques en matière de protection sociale et de solidarité nationale contribuant à la réduction de la pauvreté et des inégalités. (Je vous renvoie au décret N° 2012-1311 fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de la DGPSSN).
Excellence, Monsieur le Président de la République,
Pensez-vous que votre Gouvernement sache traduire en acte vos ambitions ?
Après avoir fait le tour du pays et en écoutant la déclaration de politique générale de votre Premier Ministre, pensez-vous, qu’avec seulement 11 centres de santé et 40 postes de santé, vous pourriez réduire les disparités d’accès aux soins dans le pays, d’ici 2017 ?
L’amélioration de l’Etat de santé de nos populations est un idéal. La couverture maladie universelle est une œuvre de longue haleine. Comme tout idéal, même s’en rapprocher demande du temps et de la persévérance. Donc attention aux échéances que vous vous donnez et accordez au moins à vos ambitions les moyens de leur réalisation.
Par Serigne Mbacké HANE
Agro-économiste