LE NDIGUEUL ELECTORAL : TRAJECTOIRE HISTORIQUE ET ENJEUX


Analyse de la situation, par devers une lecture historique.

Pour mieux cerner le débat actuel sur le ndigueul électoral, il faut au moins remonter l’histoire politico- religieuse du Sénégal depuis l’ère coloniale.

Le Sénégal a cette particularité d’avoir un Islam confrérique. Du moins, c’est ce que reflète l’opinion générale et c’est ce qui semble ressortir de cette idée : « Nit day ame foumou bokk » littéralement (La personne doit avoir une appartenance confrérique).

Les acteurs politiques ont toujours compris la force des confréries et n’ont jamais hésité à utiliser cette fibre pour capitaliser un potentiel électoral ou le fidéliser.

Durant la période coloniale, le Sénégal avait servi de laboratoire pour l’application de toute la politique française. De ce point de vue, les chefs confrériques (Mouride et Tidiane) majoritaires dans le pays, ont été les leviers de l’administration coloniale pour la mobilisation des masses.

Lorsque la France était sous le joug de l’armée nazie, durant la Seconde Guerre Mondiale, des chefs religieux avaient donné des ndigueuls à des Talibés (fidèles) et par fois même leurs propres fils ou proches pour leur enrôlement dans l’armée française afin de défendre la métropole. Ce qu’il y’a lieu de souligner c’est que durant cette période, les deux parties avaient scellé un contrat tacite de coexistence pacifique et avaient réussi à la mise en place de ce que David Robinson avait théorisé sous le vocable de « parcours d’accommodation » .Ce contrat se résumait en ces termes : « vivre sa religion sous le drapeau français ».

Les confréries avaient joué durant cette période un véritable rôle de société civile. Autrement dit, elles mettaient en jeu les revendications des populations et elles jouaient aussi le rôle de sentinelle vis-à-vis des masses.

En contre partie du ndigueul, les populations, surtout ceux du monde rural, devaient bénéficier d’un soutien pour l’amélioration de leurs conditions de vie.

C’est d’ailleurs dans ce contexte que la première commission nationale pour le pèlerinage à la Mecque avait été mise sur pied. Maints manuels venant du monde arabe avaient été acheminés dans le pays pour renforcer la culture religieuse des fidèles.

Sous ce rapport, je soutiens que le ndigueul avait belle et bien existé, mais en contre partie des bénéfices de toute la communauté. C’était un véritable rapport « win- win » entre l’administration coloniale et le pouvoir religieux.

Au lendemain des indépendances, la construction de l’Etat- Nation était au gout du jour mais le pouvoir confrérique demeurait et continuait à avoir ses influences sur les populations.

Une fois à la tête de la nouvelle nation « Le Sénégal », le nouveau Président, Senghor avait exactement repris les mêmes rapports avec les confréries.

Jusque là, les chefs religieux continuaient à jouer ce rôle de sentinelle et de société civile, dans la dialectique entre le pouvoir politique et les populations

Même s’il était de confession catholique, Senghor avait bénéficié du ndigueul de Serigne Fallou Mbacké (Khalife mouride), mais aussi celui de Serigne Babacar Sy, de la confrérie tidiane, dans son duel contre Lamine Gueye. Là aussi, il faut comprendre l’attitude des Khalifes en ce sens qu’ils avaient bien mesuré l’apport de Senghor dans le monde rural. Les ndigueuls des Khalifes se justifiaient par le programme agricole de Senghor, dans un contexte marqué par la culture arachidière.

Toutefois les chefs religieux ont toujours apporté leurs soutiens politiques ou si on peut dire leur ndigueul électoral au pouvoir en place.

Donc, force est de reconnaitre que le ndigueul était un mot d’ordre du chef religieux à ses fidèles, mais cette consigne était donnée en contre partie à un programme ou un soutien au bénéfice des masses.

Sous le Président Abdou Diouf, les données avaient commencé à changer. Les rapports entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux de même que ceux entre les chefs religieux et les Talibés avaient commencé à se détériorer.

Cette érosion s’est manifestée par une modification des relations du pouvoir central de la confrérie mouride avec l’Etat, qui s’est soldée, d’une part, par un recentrage de son discours officiel et d’autre part par une fragmentation accrue au sein de la confrérie Tidiane. Le fait commun à ces deux confréries est l’apparition d’une nouvelle génération de marabouts, celle des « marabouts mondains », selon les termes de l’historien Mamadou Diouf de Colombia University. Ces marabouts, contrairement aux premières générations de chefs soufis, sont plus préoccupés par le commerce et la politique.

Cette tendance à l’affaiblissement du ndigueul s’explique en quelque sorte par plusieurs facteurs. : La conséquence de l’urbanisation sur le contrôle des adeptes par les marabouts ; l’institution de l’isoloir ; mais surtout la tendance des citoyens à faire la distinction entre l’autorité politique et l’autorité religieuse.

Cette tendance s’est nettement confirmée depuis la fin du khalifat de Serigne Abdoul ahad Mbacké(1989), qui avait joué un rôle de premier plan dans la consolidation du pouvoir de Diouf par son ndigueul.

Il devenait de plus en plus évident pour les fidèles que de telles consignes ou ndigueul résultaient d’un marchandage dont ils ne voyaient pas les effets dans leur vie quotidienne.

Les élections de février- mars 2000 ont été l’exemple de taille pour prouver le désengagement de la population par rapport à toute forme de ndigueul.

Le jeune marabout Modou Kara Mbacké avait été hué, lorsqu’il a cité le nom du premier secrétaire du Parti socialiste, présent à la manifestation convoquée au stade Demba Diop le 31 décembre 1999. Ceci constitue l’un des jalons de l’autonomisation en construction dans la société.

Serigne Abdou Aziz Sy Junior avait déclaré froidement que : « quiconque ne votera pas pour Diouf est un traitre ». Mais, les résultats du deuxième tour des élections du 19 mars 2000 avaient battu en brèche tous ces ndigueuls.

Aujourd’hui, l’actualité sur le ndigueul électoral suscite un débat passionnant et très passionné dans le contexte du deuxième tour entre le Président sortant Abdoulaye Wade et son ex-premier ministre Macky Sall.

Le fameux ndigueul revient pour promettre à Wade sa réélection le 25 mars 2012. Cheikh Béthio Thioune a donné le ndigueul aux « Thiantakones » (ses fidèles) de voter pour Wade.

D’ailleurs le type de communication utilisé par le marabout (rêve ou révélation), n’a jamais été utilisé par ses devanciers. Cette forme de communication révèle la faiblesse du ndigueul.

On se demande à quel prix le marabout aurait pris le risque de donner une consigne de vote pour un candidat que le contexte ne favorise pas bien, et qui n’a aucune chance pour remporter ce deuxième tour ?

Le talibé peut-il continuer à suivre le ndigueul d’un marabout qui ne cherche que ses propres intérêts, au moment où il est confronté aux réalités de la vie chère et du chômage. Aujourd’hui, dans le contexte où le marabout entre en compétition ouverte avec le citoyen commun, dans l’accaparement des terres, la quête du bien matériel et tant d’autres besoins matériels, il est bien évident que le ndigueul ne peut que s’effriter davantage. Il est temps que le pouvoir politique et le pouvoir religieux comprennent que l’alarme a sonné pour que naisse un nouveau profil de citoyen.

L’interrogation est de savoir si oui ou non l’effet du ndigueul sera ressenti au lendemain des élections du 25 mars 2012 ? Hélas, l’historien ne saurait avoir la vocation d’une analyse prospective ! Nous disons tout simplement « wait and see ».

De toute façon, pour ma part, mon souhait est qu’au lendemain du 25 mars 2012, naisse une nouvelle classe politique. Une classe dirigeante, qui saura bien lire ses succès pas seulement comme une victoire politique ou un ndigueul électoral, mais comme une demande résolue d’une nouvelle moralité politique et d’un nouveau contrat social. Cette nouvelle société sénégalaise vient de montrer sa détermination à rendre les politiciens coupables de leurs actes, à résister, à punir et à récompenser. Vive le Sénégal ! Vive la Patrie !



Moussé Wade NDIAYE

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Mercredi 14 Mars 2012
Moussé Wade NDIAYE