Alors que la mort de Mouammar Kaddafi a été annoncée par le CNT, jeuneafrique.com vous propose de (re)lire "L'Afrique sans Kaddafi", un article de François Soudan paru dans les colonnes de Jeune Afrique (n° 2642 du 28 août au 3 septembre 2011). Jusqu’au bout, à de rares exceptions près, les chefs d’État africains, mais aussi une bonne partie de l’opinion et des intellectuels du continent, auront manifesté à l’égard de Mouammar Kaddafi un mélange de solidarité et de compassion.
Les raisons de cette empathie avec le dictateur de Tripoli sont multiples et complexes, d’autant que la ligne de front qui a séparé la poignée de présidents ouvertement favorables à la chute du colonel libyen – au premier rang desquels figuraient Paul Kagamé et Abdoulaye Wade – de la majorité hostile à la rébellion et à l’intervention de l’Otan ne recoupait en rien le clivage traditionnel entre anciens et nouveaux, démocrates et autocrates.
Parmi ceux qui ont ouvertement manifesté leurs réserves à l’encontre de la révolution libyenne et de l’ingérence occidentale à ses côtés se trouvaient en effet aussi bien des régimes que l’on attendait à pareil endroit (Algérie, Tchad, Soudan, Afrique du Sud…) que des élus de fraîche date, dont le combat démocratique s’apparentait pourtant à celui des rebelles du Conseil national de transition (Mahamadou Issoufou, Alpha Condé…).
Quant au « ventre mou » des chefs d’État, il s’est réfugié dans un pesant silence, sous le parapluie protecteur d’une Union africaine (UA) dont la cheville ouvrière, Jean Ping, a illustré l’impuissance et le manque d’audace. Syndic de faillite d’une UA marginalisée et totalement dépassée par les événements, le Gabonais n’a, il est vrai, pas été le seul à tanguer dans la tempête. Son prédécesseur, Alpha Oumar Konaré, qui fut longtemps le poil à gratter des sommets de l’Union et qui a pourtant recouvré sa liberté de parole, aura été muet pendant toute la durée de la crise.
Générosité
Le réflexe de solidarité qu’éprouvent quasi automatiquement entre eux les chefs d’État menacés par une « subversion » interne explique en partie le soutien, tacite ou explicite, envers le soldat Kaddafi à qui la plupart de ses pairs ont tenté de sauver la mise. À cela s’ajoute, particulièrement pour les opposants devenus présidents, mais aussi pour nombre de personnalités politiques ou intellectuelles du continent, une forme de gratitude à l’égard d’un « Guide » qui sut se montrer si généreux.
Enfin, tant pour ceux-là que pour une large frange de l’opinion africaine, l’intervention militaire occidentale a été un facteur répulsif. Nul n’ignore ainsi en Afrique francophone que Nicolas Sarkozy, qui a fait de cette guerre contre Kaddafi son combat personnel, a été celui qui, en sens inverse, est allé le plus loin en tentant de vendre au dictateur une centrale nucléaire et des chasseurs bombardiers Rafale. C’était il y a moins de quatre ans, le Libyen avait déjà, en quatre décennies de règne, un nombre très respectable de forfaits à son actif, mais il avait du pétrole.
L’intervention militaire occidentale a été un facteur répulsif.
Sans l’admettre ni l’excuser, on peut donc comprendre que nombre d’Africains aient pu être excédés par cette impression d’être plus que jamais les objets cyniquement manipulés de leur propre histoire. Reste que l’effort nécessaire pour transcender ce qui a été ressenti par beaucoup comme une humiliation néocoloniale de plus, afin de se réjouir de l’essentiel – un peuple qui se révolte contre un tyran mène toujours une guerre juste –, n’a été que trop rarement (ou tardivement) effectué par les élites africaines.
Fort heureusement, les dirigeants rebelles du Conseil national de transition (CNT), qui ont eux-mêmes pour la plupart composé voire collaboré avec le régime Kaddafi jusqu’au début de 2011, ne paraissent pas tenir rigueur aux « amis » africains du colonel déchu. Il n’y aura donc pas de rupture entre la Libye postdictature et l’Afrique subsaharienne, même si l’encombrant tropisme du « Guide » pour les tribus et les investissements extérieurs aux allures d’éléphants blancs disparaîtra avec lui. L’une des premières mesures économiques des nouvelles autorités devra être en outre de faire revenir au plus vite les centaines de milliers de migrants africains (et maghrébins) sans lesquels aucune reconstruction ne sera possible.
Le naufrage de Kaddafi, après ceux de Ben Ali et de Moubarak, fera-t-il des émules au sud du Sahara ? Jusqu’ici le Printemps arabe ne s’est pas transformé en « printemps africain » malgré quelques soubresauts de Dakar à Ouagadougou et de Djibouti à Lilongwe. C’est que chaque révolution a ses spécificités, positives et négatives, les premières l’emportant de loin sur les secondes dans le cas d’espèce libyen. La rébellion, ici, n’aura été endogène au sens strict du terme qu’à peine cinq semaines avant de frôler l’écrasement et d’être sauvée in extremis par l’intervention française tout d’abord, le 19 mars, puis par celle des pays de l’Otan – auxquels se sont joints le Qatar et dans une certaine mesure l’Égypte –, lesquels ont effectué 20 000 sorties aériennes et 7 500 frappes en cinq mois.
Tribalisme
Même si cet appui déterminant a en quelque sorte mis sur un pied d’égalité l’armée de Kaddafi et les combattants du CNT, dont les brigades disparates et inexpérimentées rappelaient celles des révolutions russe et espagnole, il faudra que les démocrates libyens comblent dès que possible ce déficit de légitimité. Au sein même du Conseil national de transition, les ex-kaddafistes côtoient des opposants qui furent longtemps soutenus et financés par des services de renseignements étrangers, des islamistes à la modération toute relative, ou des monarchistes revenus de quarante-deux ans d’exil. Tous jusqu’ici se sont montrés soudés dans un projet démocratique commun qui a permis de contenir les violences intestines (notamment après l’assassinat du général Abdelfattah Younès) et servi d’antidote efficace au poison du tribalisme. Qu’en sera-t-il demain quand il faudra ériger un État de droit et une démocratie sans aucune tradition historique nationale, rétablir l’équilibre entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque, désarmer les miliciens de tous bords, éviter les règlements de comptes, reconstruire une économie désarticulée ? C’est dire si le « cas » libyen est unique, comme l’était la persistance du phénomène – de l’aberration – Kaddafi en ce début du XXIe siècle.
Il n’empêche : cette nouvelle démonstration que, quand la majorité d’un peuple finit par préférer sa dignité à sa vie les dictatures tombent, donne à réfléchir partout ailleurs où ce type de situation existe. À cet égard, les images des effigies profanées de Bab el-Azizia rappellent irrésistiblement celles des statues déboulonnées de Saddam Hussein à Bagdad, qui avaient tant traumatisé Mouammar Kaddafi. Survenant quelques jours après les scènes pathétiques d’un Moubarak grabataire au tribunal, nul doute qu’elles auront été vécues par certains chefs d’État arabes et africains comme une sorte de cauchemar prémonitoire.
( Jeune Afrique )
Les raisons de cette empathie avec le dictateur de Tripoli sont multiples et complexes, d’autant que la ligne de front qui a séparé la poignée de présidents ouvertement favorables à la chute du colonel libyen – au premier rang desquels figuraient Paul Kagamé et Abdoulaye Wade – de la majorité hostile à la rébellion et à l’intervention de l’Otan ne recoupait en rien le clivage traditionnel entre anciens et nouveaux, démocrates et autocrates.
Parmi ceux qui ont ouvertement manifesté leurs réserves à l’encontre de la révolution libyenne et de l’ingérence occidentale à ses côtés se trouvaient en effet aussi bien des régimes que l’on attendait à pareil endroit (Algérie, Tchad, Soudan, Afrique du Sud…) que des élus de fraîche date, dont le combat démocratique s’apparentait pourtant à celui des rebelles du Conseil national de transition (Mahamadou Issoufou, Alpha Condé…).
Quant au « ventre mou » des chefs d’État, il s’est réfugié dans un pesant silence, sous le parapluie protecteur d’une Union africaine (UA) dont la cheville ouvrière, Jean Ping, a illustré l’impuissance et le manque d’audace. Syndic de faillite d’une UA marginalisée et totalement dépassée par les événements, le Gabonais n’a, il est vrai, pas été le seul à tanguer dans la tempête. Son prédécesseur, Alpha Oumar Konaré, qui fut longtemps le poil à gratter des sommets de l’Union et qui a pourtant recouvré sa liberté de parole, aura été muet pendant toute la durée de la crise.
Générosité
Le réflexe de solidarité qu’éprouvent quasi automatiquement entre eux les chefs d’État menacés par une « subversion » interne explique en partie le soutien, tacite ou explicite, envers le soldat Kaddafi à qui la plupart de ses pairs ont tenté de sauver la mise. À cela s’ajoute, particulièrement pour les opposants devenus présidents, mais aussi pour nombre de personnalités politiques ou intellectuelles du continent, une forme de gratitude à l’égard d’un « Guide » qui sut se montrer si généreux.
Enfin, tant pour ceux-là que pour une large frange de l’opinion africaine, l’intervention militaire occidentale a été un facteur répulsif. Nul n’ignore ainsi en Afrique francophone que Nicolas Sarkozy, qui a fait de cette guerre contre Kaddafi son combat personnel, a été celui qui, en sens inverse, est allé le plus loin en tentant de vendre au dictateur une centrale nucléaire et des chasseurs bombardiers Rafale. C’était il y a moins de quatre ans, le Libyen avait déjà, en quatre décennies de règne, un nombre très respectable de forfaits à son actif, mais il avait du pétrole.
L’intervention militaire occidentale a été un facteur répulsif.
Sans l’admettre ni l’excuser, on peut donc comprendre que nombre d’Africains aient pu être excédés par cette impression d’être plus que jamais les objets cyniquement manipulés de leur propre histoire. Reste que l’effort nécessaire pour transcender ce qui a été ressenti par beaucoup comme une humiliation néocoloniale de plus, afin de se réjouir de l’essentiel – un peuple qui se révolte contre un tyran mène toujours une guerre juste –, n’a été que trop rarement (ou tardivement) effectué par les élites africaines.
Fort heureusement, les dirigeants rebelles du Conseil national de transition (CNT), qui ont eux-mêmes pour la plupart composé voire collaboré avec le régime Kaddafi jusqu’au début de 2011, ne paraissent pas tenir rigueur aux « amis » africains du colonel déchu. Il n’y aura donc pas de rupture entre la Libye postdictature et l’Afrique subsaharienne, même si l’encombrant tropisme du « Guide » pour les tribus et les investissements extérieurs aux allures d’éléphants blancs disparaîtra avec lui. L’une des premières mesures économiques des nouvelles autorités devra être en outre de faire revenir au plus vite les centaines de milliers de migrants africains (et maghrébins) sans lesquels aucune reconstruction ne sera possible.
Le naufrage de Kaddafi, après ceux de Ben Ali et de Moubarak, fera-t-il des émules au sud du Sahara ? Jusqu’ici le Printemps arabe ne s’est pas transformé en « printemps africain » malgré quelques soubresauts de Dakar à Ouagadougou et de Djibouti à Lilongwe. C’est que chaque révolution a ses spécificités, positives et négatives, les premières l’emportant de loin sur les secondes dans le cas d’espèce libyen. La rébellion, ici, n’aura été endogène au sens strict du terme qu’à peine cinq semaines avant de frôler l’écrasement et d’être sauvée in extremis par l’intervention française tout d’abord, le 19 mars, puis par celle des pays de l’Otan – auxquels se sont joints le Qatar et dans une certaine mesure l’Égypte –, lesquels ont effectué 20 000 sorties aériennes et 7 500 frappes en cinq mois.
Tribalisme
Même si cet appui déterminant a en quelque sorte mis sur un pied d’égalité l’armée de Kaddafi et les combattants du CNT, dont les brigades disparates et inexpérimentées rappelaient celles des révolutions russe et espagnole, il faudra que les démocrates libyens comblent dès que possible ce déficit de légitimité. Au sein même du Conseil national de transition, les ex-kaddafistes côtoient des opposants qui furent longtemps soutenus et financés par des services de renseignements étrangers, des islamistes à la modération toute relative, ou des monarchistes revenus de quarante-deux ans d’exil. Tous jusqu’ici se sont montrés soudés dans un projet démocratique commun qui a permis de contenir les violences intestines (notamment après l’assassinat du général Abdelfattah Younès) et servi d’antidote efficace au poison du tribalisme. Qu’en sera-t-il demain quand il faudra ériger un État de droit et une démocratie sans aucune tradition historique nationale, rétablir l’équilibre entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque, désarmer les miliciens de tous bords, éviter les règlements de comptes, reconstruire une économie désarticulée ? C’est dire si le « cas » libyen est unique, comme l’était la persistance du phénomène – de l’aberration – Kaddafi en ce début du XXIe siècle.
Il n’empêche : cette nouvelle démonstration que, quand la majorité d’un peuple finit par préférer sa dignité à sa vie les dictatures tombent, donne à réfléchir partout ailleurs où ce type de situation existe. À cet égard, les images des effigies profanées de Bab el-Azizia rappellent irrésistiblement celles des statues déboulonnées de Saddam Hussein à Bagdad, qui avaient tant traumatisé Mouammar Kaddafi. Survenant quelques jours après les scènes pathétiques d’un Moubarak grabataire au tribunal, nul doute qu’elles auront été vécues par certains chefs d’État arabes et africains comme une sorte de cauchemar prémonitoire.
( Jeune Afrique )
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