Karim Wade – Samuel Sarr : vraie ou fausse réconciliation ? (Par Cheikh Yérim Seck )


DAKARACTU.COM  Se sont-ils réconciliés ? Sauvent-ils les apparences ? L’ex-ministre de l’Energie, Samuel Sarr, et son tombeur et successeur, Karim Wade, étaient assis côte à côte lors du discours du 14 juillet du chef de l’Etat, Abdoulaye Wade. Et ont ostensiblement échangé des mots tout au long de la cérémonie. Est-ce un hasard si le protocole de la présidence les a placés l’un à côté de l’autre ? Une source bien informée, proche du palais, répond que « non ». Si l’objectif de cette astuce protocolaire était d’emmener les deux hommes à se parler, il a été atteint.
 
Opposés par une violente brouille, Samuel Sarr et Karim Wade se sont férocement combattus par presse et réseaux interposés. Après le limogeage du premier au profit du second, le 4 octobre 2010, les couteaux sont sortis. La vendetta qui s’est ensuivie a failli couter sa liberté à l’ex-ministre de l’Energie. Après s’être vu coller un dossier compromettant de blanchiment d’argent, Samuel Sarr n’a échappé à la prison que grâce à l’opposition du garde des sceaux, Cheikh Tidiane Sy, qui a refusé que la justice serve d’instrument pour le règlement d’une querelle personnelle. Le doyen des juges d'instruction a purement et simplement blanchi Samuel Sarr et son complice présumé. Cette décision a coupé l’herbe sous les pieds de ceux qui, dès qu’ils ont pris leurs quartiers au ministère de l’Energie, ont commencé à ouvrir les placards pour exhumer les dossiers qui compromettent l’ancien occupant des lieux. Un combat aussi violent laisse toutefois des séquelles. Si bien que beaucoup de médiateurs ont par la suite échoué à réconcilier les deux protagonistes. Proche des deux, Madické Niang, ministre d’Etat chargé des Affaires étrangères, a initié une médiation. En vain. Abdoulaye Wade lui-même a tenté de réconcilier ses deux « enfants ». Sans réussir à aboutir à d’autre résultat que des civilités de façade qui n’ont rien changé au fond du problème.
 
Il faut dire que le divorce est profond. En quelques jours, Karim Wade a tout pris à Samuel Sarr : son ministère mais aussi son ami et proche parent, Ibrahima Sarr, qu’il a fait nommer ministre délégué à l’Energie. Mais aussi l’illusion qu’il avait que le chef de l’Etat ne le lâcherait jamais. Abdoulaye Wade a en effet longtemps résisté avant de se résoudre à se séparer de son ancien ministre de l’Energie. Rien, pas même les délestages répétés, n’a réussi à le convaincre de franchir le Rubicon. C’est Samuel Sarr qui a commis l’erreur qui lui a été fatale : s’aliéner ouvertement Karim Wade, mais aussi le tout-puissant ministre d’Etat chargé de l’Economie et des Finances, Abdoulaye Diop. Objet de son ire à l’encontre du grand argentier du pays : il a vu sa main derrière le rapport du Centif qui l’implique dans le blanchiment de montants faramineux culminant à plus de 50 milliards de francs cfa.
 
Mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis toutes ces péripéties. Samuel Sarr, qui s’est aujourd’hui réconcilié avec Abdoulaye Diop, confie à certains de ses proches que celui-ci n’est finalement pour rien dans son départ du gouvernement. Et impute l’entière responsabilité de son limogeage à Karim Wade.
 
Le fils du président, qui s’attendait à un retour de manivelle, a longtemps vu la main de son prédécesseur derrière l’hostilité à son égard des acteurs du département de l’Energie. Samuel Sarr entretient en effet des rapports notoirement bons avec Mademba Sock, leader de l’Union nationale des syndicats autonomes du Sénégal (Unsas, la principale centrale syndicale du pays qui coiffe le secteur), avec tous les responsables du Syndicat unique des travailleurs de l’électricité (Sutelec) et avec les forces qui tiennent la Société nationale de distribution de l’énergie électrique (Senelec). Karim Wade, qui se sentait bloqué au point de mettre son père à contribution pour qu’il reçoive et tente de convaincre Mademba Sock de collaborer, ne pouvait continuer à entretenir de mauvais rapports avec Samuel Sarr. Afin d’éviter que celui-ci utilise ses relais dans son ancien département pour lui mettre les bâtons dans les roues, le désormais ministre de l’Energie a fini ces dernières semaines par chercher à faire la paix avec son prédécesseur. Après un moment de flottement où il a confié à certains proches qu’il ne voulait pas de cette main tendue, Samuel Sarr a dû finalement se résoudre à faire semblant de jouer la carte de la réconciliation.
 
Mais cette sorte d’union sacrée n’est que de façade. Karim Wade n’est pas réputé pour être quelqu’un qui enterre facilement la hache de guerre. S’il a ponctuellement besoin d’un cessez-le-feu pour pouvoir dérouler sans accroc la mise en œuvre de son plan « Takkal », il n’est pas évident qu’il ait renoncé à « casser », à « briser » son frère ennemi. Quant à Samuel Sarr, il a d’autant plus de ressentiments qu’il se sent victime d’une énorme injustice. Il estime avoir pris tous les coups aux pires moments des délestages, n’avoir jamais pu bénéficier des moyens qu’il réclamait, et avoir été jeté au profit de quelqu’un à qui on a donné tout ce qu’il a exprimé comme besoin. A un de ses proches, il a récemment confié qu’il avait demandé 60 milliards pour contenir les délestages en attendant de les éradiquer par des investissements structurels, mais il ne les a jamais eus. On s’imagine ce qu’il doit ressentir quand il voit les 365 milliards mobilisés au profit de son successeur rien que pour cette année budgétaire en cours. Si les apparences sont sauves, il y a matière à douter que Karim Wade et Samuel Sarr se soient vraiment réconciliés. 
 
Mardi 19 Juillet 2011