En décembre 2010, à Dakar, au Sénégal, le colonel Mouammar Kadhafi participait au Festival Mondial des Arts Nègres. Il y inaugura, en grande pompe, le monument de « La Renaissance Africaine », une statue monumentale qui pointe son doigt vers le lointain pour, dans l’esprit du concepteur de la statue, faire un signe à celle de la liberté à New-York.
Lors de cet événement majeur, Kadhafi faisait l’unanimité dans la foule et on le vénérait, à la fois, comme le Guide de la Révolution libyenne et l’artisan, le chantre de l’Unité africaine. A l’époque, c’est-à-dire il n’y a même pas un an (!), Kadhafi avait été reçu chaleureusement par le Président du Sénégal, Abdoulaye Wade qui, malgré quelques réticences personnelles, exprima, sur place, l’adhésion de tout un peuple au dit tortionnaire. Le colonel Kadhafi était encensé comme un homme politique porteur d’espoir, l’incontestable leader charismatique de la révolution africaine.
Lors de cette manifestation, en inaugurant la statue monumentale du Festival, Kadhafi prit la parole pour réaffirmer l’urgence de l’unité du continent : « Le monument de la Renaissance Africaine n’est pas un monument du Sénégal mais le monument d’un peuple, le monument pour tout le continent africain… » Puis, il déclara « Il faut que l’Afrique ait une seule armée. Ses armées nationales n’ont pas les moyens de faire face aux forces de l’OTAN et, ce combat, une seule armée c’est un combat pour la vie et la mort ».
A l’époque, Abdoulaye Wade manifestait ouvertement, quand on l’interrogeait, des divergences sur le calendrier de cette unité africaine à construire. Il parlait, contre Kadhafi, de la nécessité d’une transition douce. Aujourd’hui, le leader de la révolution africaine n’est plus et c’est l’Otan qui a imposé son propre calendrier aux velléités africaines d’autonomie. Avec Kadhafi, ce n’est pas seulement un homme qui meurt mais c’est, peut-être aussi, tout un projet, toute une idéologie qu’on enterre : le panafricanisme, l’unité continentale africaine.
Kadhafi n’était pas Frantz Fanon
Ce projet, comme tout projet politique globalisant, uniformateur et quelque peu utopique, était fumeux. L’imagination politique de Kadhafi mûrit dans le désert. Il faut toujours se méfier des idéologies universalisatrices, coupées des réalités politiques, construites dans des déserts géographiques. Le christianisme, comme l’islamisme, en sont aussi.
En tout cas, Kadhafi croyait aux chimères nocturnes du désert et il allait, ainsi, de-ci de-là, avec sa djellaba, sa tente bédouine, entourée d’une garde d’amazones officiellement vierges et fusils au bras, parler aux foules, dans des liturgies de balcons. Leader d’un panafricanisme nègre, à partir d’une Libye finalement très « blanche », sa posture ne manquait pas de contradiction. Il était clair que son pays ne pouvait être, en vendant en particulier de l’or noir à bon prix, à la hauteur de l’anticolonialisme africain, celui de l’esprit rebelle des ouvrages de Frantz Fanon que, justement, les éditions de la Découverte viennent de rééditer en un seul volume.
Aux temps « héroïques », le jeune Kadhafi avait, pourtant, financé un grand film, « Le Lion du Désert », où Anthony Queen interprétait le rôle du rebelle, Omar Mojtar, à côté d’Oliver Reed, qui jouait celui du maréchal Graziani. A la fin du film, à côté du cadavre pendu du grand guerrier, le cheik Omar, un jeune homme apparaît, esquissant un geste provoquant : c’était le futur colonel en personne ! Belle époque où les héros de cinéma côtoyaient la grande histoire.
Aujourd’hui, forcément, à l’époque de la 3D et des images de synthèse, celles du lynchage de Kadhafi ont quelque chose de pitoyable, un grand homme dans une conduite d’égout, la peur de la mort, la fragilité de la personne… Nous, en douce, on s’est quand même réjoui de le voir, au moins, posséder un pistolet en or. Chez lui, l’héroïsme de l’anti-occidentalisme n’avait pas tout à fait rendu l’âme.
On sent, dans ce pistolet, des appels à la vengeance enflammée, brouillée dans les vapeurs d’alcool et de drogue, au fin fond d’un bunker, avec quelques prières sans conviction à Allah. Dans quelques années, d’autres jeunes, quand ils en auront assez de l’islamisme radical, célèbreront Kadhafi dans leur coin et punaiseront des posters du Colonel dans leurs chambres. Mais, aujourd’hui, le conflit est ailleurs. Il est pour l’uniformisation de la planète sous un nomos global.
Kadhafi, lui-même, l’avait pressenti et, toujours sous la forme de coups de théâtre, il commença, à partir de 2001, à changer de cap, comprenant qu’il lui fallait devenir présentable, s’intégrer, le grand mot, le joli mot, «s’intégrer», du «marche ou crève !» du nouvel ordre mondial. Il sentait bien que cette intégration dans la « communauté internationale » ne lui laisserait pas sa place et que les prédateurs voulaient plus, voulaient faire main basse sur les matières africaines avant que la Chine ne s’en empare. Il comprit qu’il ne pouvait survivre politiquement qu’au prix d’un certain abaissement. Cet abaissement aura été insuffisant.
Emportés dans la tombe des mystères qu’on nous cachera
Pourtant, il en donna des gages mais comme le soulignait le poète Henri Michaux, le problème avec les Occidentaux c’est qu’«ils ne savent pas s’arrêter ». Ils avaient pourtant osé le pardonner pour l’obscur, le toujours obscur, attentat de Lockerbie. On ne saura jamais, non plus, s’il finança réellement la campagne de Nicolas Sarkozy de 2007. Mais qui croira que le coup médiatique de la libération des Bulgares n’a pu se faire sans réelles compensations et autres petits arrangements ?
Finalement, c’est l’armée française qui localisera son convoi, le bombardera en permettant, de fait, son élimination physique, assuré apparemment sur le terrain par un commando qatari, le Qatar ayant joué un rôle décisif dans la prise de Tripoli et l’exécution des plans « libérateurs » de l’Otan. De leur côté, les mercenaires sud-africains du Colonel se seraient repliés en Algérie pour protéger le restant de la famille, tandis que le cadavre du Colonel, à côté d’un de ses fils, a été jeté sur un vieux matelas dégueulasse, dans la chambre frigorifique d’un supermarché.
Il y a quelque chose de tragique et, en même temps, de classique dans le final des hommes forts, « les dictateurs » comme on les appelle : Saddam en Irak, Mouammar en Libye ; certains auraient rêvé de trouver dans la liste Laurent Gbagbo ! Du moins, quand ils meurent ainsi, s’épargne-t-on la comédie grotesque du « crime contre l’humanité » et de la Cour Pénale Internationale, l’exemplarité nouvelle des vainqueurs, exercée au nom des bons sentiments et du juste. Mais on en vient, aussi, à se demander comment finiront, à leur tour, nos leaders démocrates, Prix Nobel de la Paix pour l’un d’entre eux, puisque la roue de l’Histoire, fatalement, tourne et que l’honneur des armes n’est, semble-t-il, réservé qu’aux dictateurs de la vieille école ?
En tout cas, les « démocrates » auront poussé l’hypocrisie jusqu’à exiger des Nations Unies une enquête sur les circonstances de la mort de Kadhafi. Cette enquête devra-t-elle inculper les agents du Kansas qui supervisaient, à distance, le bombardement du drone, entre deux cocas et un paquet de cigarettes ? La résolution de l’ONU du 17 mars établissait un blocus aérien – « no fly zone » – pour la protection de la population civile et les zones peuplées – « to ensure the protection of civilians and civilian populated areas ». Il n’avait jamais été question de bombarder, avec des missiles, le sol libyen !
Quant aux dollars promis pour la tête de Kadhafi, les pauvres types qui l’ont liquidé en ont-ils vu la couleur ? La guerre a de ses mystères et de ses probabilités qu’à la limite, pour gagner des milliers de dollars, il vaut mieux jouer au loto !
( Michel Lhomme - Le post )
Lors de cet événement majeur, Kadhafi faisait l’unanimité dans la foule et on le vénérait, à la fois, comme le Guide de la Révolution libyenne et l’artisan, le chantre de l’Unité africaine. A l’époque, c’est-à-dire il n’y a même pas un an (!), Kadhafi avait été reçu chaleureusement par le Président du Sénégal, Abdoulaye Wade qui, malgré quelques réticences personnelles, exprima, sur place, l’adhésion de tout un peuple au dit tortionnaire. Le colonel Kadhafi était encensé comme un homme politique porteur d’espoir, l’incontestable leader charismatique de la révolution africaine.
Lors de cette manifestation, en inaugurant la statue monumentale du Festival, Kadhafi prit la parole pour réaffirmer l’urgence de l’unité du continent : « Le monument de la Renaissance Africaine n’est pas un monument du Sénégal mais le monument d’un peuple, le monument pour tout le continent africain… » Puis, il déclara « Il faut que l’Afrique ait une seule armée. Ses armées nationales n’ont pas les moyens de faire face aux forces de l’OTAN et, ce combat, une seule armée c’est un combat pour la vie et la mort ».
A l’époque, Abdoulaye Wade manifestait ouvertement, quand on l’interrogeait, des divergences sur le calendrier de cette unité africaine à construire. Il parlait, contre Kadhafi, de la nécessité d’une transition douce. Aujourd’hui, le leader de la révolution africaine n’est plus et c’est l’Otan qui a imposé son propre calendrier aux velléités africaines d’autonomie. Avec Kadhafi, ce n’est pas seulement un homme qui meurt mais c’est, peut-être aussi, tout un projet, toute une idéologie qu’on enterre : le panafricanisme, l’unité continentale africaine.
Kadhafi n’était pas Frantz Fanon
Ce projet, comme tout projet politique globalisant, uniformateur et quelque peu utopique, était fumeux. L’imagination politique de Kadhafi mûrit dans le désert. Il faut toujours se méfier des idéologies universalisatrices, coupées des réalités politiques, construites dans des déserts géographiques. Le christianisme, comme l’islamisme, en sont aussi.
En tout cas, Kadhafi croyait aux chimères nocturnes du désert et il allait, ainsi, de-ci de-là, avec sa djellaba, sa tente bédouine, entourée d’une garde d’amazones officiellement vierges et fusils au bras, parler aux foules, dans des liturgies de balcons. Leader d’un panafricanisme nègre, à partir d’une Libye finalement très « blanche », sa posture ne manquait pas de contradiction. Il était clair que son pays ne pouvait être, en vendant en particulier de l’or noir à bon prix, à la hauteur de l’anticolonialisme africain, celui de l’esprit rebelle des ouvrages de Frantz Fanon que, justement, les éditions de la Découverte viennent de rééditer en un seul volume.
Aux temps « héroïques », le jeune Kadhafi avait, pourtant, financé un grand film, « Le Lion du Désert », où Anthony Queen interprétait le rôle du rebelle, Omar Mojtar, à côté d’Oliver Reed, qui jouait celui du maréchal Graziani. A la fin du film, à côté du cadavre pendu du grand guerrier, le cheik Omar, un jeune homme apparaît, esquissant un geste provoquant : c’était le futur colonel en personne ! Belle époque où les héros de cinéma côtoyaient la grande histoire.
Aujourd’hui, forcément, à l’époque de la 3D et des images de synthèse, celles du lynchage de Kadhafi ont quelque chose de pitoyable, un grand homme dans une conduite d’égout, la peur de la mort, la fragilité de la personne… Nous, en douce, on s’est quand même réjoui de le voir, au moins, posséder un pistolet en or. Chez lui, l’héroïsme de l’anti-occidentalisme n’avait pas tout à fait rendu l’âme.
On sent, dans ce pistolet, des appels à la vengeance enflammée, brouillée dans les vapeurs d’alcool et de drogue, au fin fond d’un bunker, avec quelques prières sans conviction à Allah. Dans quelques années, d’autres jeunes, quand ils en auront assez de l’islamisme radical, célèbreront Kadhafi dans leur coin et punaiseront des posters du Colonel dans leurs chambres. Mais, aujourd’hui, le conflit est ailleurs. Il est pour l’uniformisation de la planète sous un nomos global.
Kadhafi, lui-même, l’avait pressenti et, toujours sous la forme de coups de théâtre, il commença, à partir de 2001, à changer de cap, comprenant qu’il lui fallait devenir présentable, s’intégrer, le grand mot, le joli mot, «s’intégrer», du «marche ou crève !» du nouvel ordre mondial. Il sentait bien que cette intégration dans la « communauté internationale » ne lui laisserait pas sa place et que les prédateurs voulaient plus, voulaient faire main basse sur les matières africaines avant que la Chine ne s’en empare. Il comprit qu’il ne pouvait survivre politiquement qu’au prix d’un certain abaissement. Cet abaissement aura été insuffisant.
Emportés dans la tombe des mystères qu’on nous cachera
Pourtant, il en donna des gages mais comme le soulignait le poète Henri Michaux, le problème avec les Occidentaux c’est qu’«ils ne savent pas s’arrêter ». Ils avaient pourtant osé le pardonner pour l’obscur, le toujours obscur, attentat de Lockerbie. On ne saura jamais, non plus, s’il finança réellement la campagne de Nicolas Sarkozy de 2007. Mais qui croira que le coup médiatique de la libération des Bulgares n’a pu se faire sans réelles compensations et autres petits arrangements ?
Finalement, c’est l’armée française qui localisera son convoi, le bombardera en permettant, de fait, son élimination physique, assuré apparemment sur le terrain par un commando qatari, le Qatar ayant joué un rôle décisif dans la prise de Tripoli et l’exécution des plans « libérateurs » de l’Otan. De leur côté, les mercenaires sud-africains du Colonel se seraient repliés en Algérie pour protéger le restant de la famille, tandis que le cadavre du Colonel, à côté d’un de ses fils, a été jeté sur un vieux matelas dégueulasse, dans la chambre frigorifique d’un supermarché.
Il y a quelque chose de tragique et, en même temps, de classique dans le final des hommes forts, « les dictateurs » comme on les appelle : Saddam en Irak, Mouammar en Libye ; certains auraient rêvé de trouver dans la liste Laurent Gbagbo ! Du moins, quand ils meurent ainsi, s’épargne-t-on la comédie grotesque du « crime contre l’humanité » et de la Cour Pénale Internationale, l’exemplarité nouvelle des vainqueurs, exercée au nom des bons sentiments et du juste. Mais on en vient, aussi, à se demander comment finiront, à leur tour, nos leaders démocrates, Prix Nobel de la Paix pour l’un d’entre eux, puisque la roue de l’Histoire, fatalement, tourne et que l’honneur des armes n’est, semble-t-il, réservé qu’aux dictateurs de la vieille école ?
En tout cas, les « démocrates » auront poussé l’hypocrisie jusqu’à exiger des Nations Unies une enquête sur les circonstances de la mort de Kadhafi. Cette enquête devra-t-elle inculper les agents du Kansas qui supervisaient, à distance, le bombardement du drone, entre deux cocas et un paquet de cigarettes ? La résolution de l’ONU du 17 mars établissait un blocus aérien – « no fly zone » – pour la protection de la population civile et les zones peuplées – « to ensure the protection of civilians and civilian populated areas ». Il n’avait jamais été question de bombarder, avec des missiles, le sol libyen !
Quant aux dollars promis pour la tête de Kadhafi, les pauvres types qui l’ont liquidé en ont-ils vu la couleur ? La guerre a de ses mystères et de ses probabilités qu’à la limite, pour gagner des milliers de dollars, il vaut mieux jouer au loto !
( Michel Lhomme - Le post )