Dans cette seconde et dernière partie de la grande interview qu’il a accordée à Walf Quotidien et Tv, l’ancien Premier ministre décline ses projets.Idrissa Seck promet, par exemple, de mettre 100 milliards par année dans chaque région où devra se tenir la fête de l’Indépendance.Le maire de Thiès qui révèle avoir fait faire une étude qui le donne gagnant en 2012, entend gouverner avec tout le monde.Quant à Me Wade, son ‘ex-fils’ lui demande de cesser d’être Wakh wakhète’ (quelqu’un qui se dédit, Ndlr), de respecter la Constitution et les lois et de partir.
Wal Fadjri : En tant que membre du M23, le blocage au niveau de Bennoo ne va-t-il pas décrédibiliser l’opposition aux yeux de l’opinion ?
Idrissa SECK : Pour moi, c’est un faux débat. Que chacun aille travailler et rassembler l’électorat qu’il peut, puisqu’il nous faut prendre l’habitude de rendre au peuple sénégalais souverain, sa capacité de choix, sortir des combinaisons d’appareils où quelques chefs de parti s’enferment dans une salle et se distribuent les positions. Que ceux qui ont 10 % sachent qu’ils ont 10 % de la confiance des Sénégalais et que ceux qui ont 51 % gouvernent. Mais on ne peut pas passer notre vie dans des combinaisons. Il faut que le peuple sénégalais souverain ait l’opportunité de dire clairement comment il distribue sa confiance entre tous ceux qui le sollicitent. Et une fois que le peuple s’est prononcé, il nous faut respecter son choix. Moi-même, en 2007, je savais, à l’avance - parce que avant d’entreprendre toute initiative, j’étudie le marché - donc en juin 2007, j’avais fait faire une étude qualitative et quantitative de l’opinion sénégalaise d’abord pour cerner ses attentes et ensuite pour avoir une idée de ses intentions de vote. Cette étude avait été conduite par Labo marketing du professeur Saliou Diop et elle m’avait donné presque à quelques poussières de points près les résultats qui se sont révélés être ceux de 2007. Et quand l’élection s’est passée, vous m’avez entendu reconnaître la victoire de Wade au premier tour à 55 %. Cela correspondait à mes attentes. Et là, actuellement, j’en ai deux.
Vous avez actuellement deux études qui prédisent quoi pour vous en 2012 ?
(Rires) Non mais franchement, il faut être sérieux. Vous savez, n’importe chef d’entreprise qui dépense 50 millions de francs dans un business fait une étude de marché. Vous voulez que je m’engage dans une activité aussi sérieuse que celle de diriger un pays sans un minimum d’étude ? Je ne le ferai jamais. L’activité politique est l’activité où l’on s’expose le plus. On court le risque de perdre sa vie, de perdre sa liberté, de perdre ses biens, de perdre son honneur, d’être attaqué par des gens qui, autrement, n’oseraient même pas vous adresser la parole. Alors, vous pensez qu’on s’engage à la légère dans une activité de cette nature ? Bien sûr que j’ai fait des études. Et si en 2007 les Sénégalais ne m’avaient pas dit qu’après Wade le meilleur choix qu’ils avaient c’était moi, je n’aurais pas continué à faire de la politique. J’aurais continué à faire ce que je faisais dans le secteur privé : gagner de l’argent et produire des bienfaits pour les populations et pour mes proches. Mais, c’est parce que les Sénégalais m’avaient donné cette réponse qui correspondait à celle que m’avait annoncée l’étude que j’ai continué à travailler, à mobiliser des soutiens à l’intérieur du pays et dans la diaspora à convaincre des compatriotes qui étaient pourtant dans des stations mirobolantes au plan mondial à revenir au pays au service du peuple sénégalais. Et naturellement, ce qui m’est annoncé est suffisamment prometteur pour que je poursuive.
‘Je veillerai à ce que, à l’indépendance totale de la justice, soit associé un mécanisme qui permette à des citoyens, face à des décisions de justice injustes, de poursuivre les juges indélicats’.
Vous êtes dans les starting-blocks. Macky Sall y est et Aminata Tall probablement. N’y a-t-il pas possibilité d’alliance entre vous ?
Pas seulement une alliance entre nous trois. Je vais répéter ce que je viens de dire : tous ceux qui pensent qu’ils ont le potentiel pour être président de la République doivent avoir l’opportunité de tester ce potentiel vis-à-vis du peuple sénégalais qui, encore une fois, est le seul souverain. C’est vous qui déciderez. Moi j’ai une carte d’électeur, chacun en a une, mais pourquoi se fatiguer. Allons tous vers les Sénégalais qui voteront. Les résultats sortiront et on saura qui est qui. Donc, je ne suis pas contre des candidatures multiples. Je suis pour une chose et c’est pour cela que je traite chacun des candidats comme un concurrent jusqu’au premier tour. Un allié potentiel au deuxième tour est en tout état de cause un partenaire, si c’est moi qui deviens président de la République pour constituer une base politique et sociale suffisamment large et stable pour une prise en charge efficace des Sénégalais. Parce qu’on ne dirige pas un pays avec 25 ou 30 %. On dirige un pays avec 51 % ou 50 % plus une voix au minimum. En 2002 je suis allé en Côte d’ivoire en tant que ministre d’Etat chargé par le président de la République de parler aux leaders ivoiriens, je les avais tous vus à l’époque : Gueï, Gbagbo, Ouattara… Je leur ai dit : ‘Vous êtes en train de casser votre pays, puisque chacun d’entre vous a à peu près ¼ de l’électorat, vous êtes obligés de vous mettre deux à deux ou trois à trois pour avoir une plate-forme politique large’. Mais, c’est ce que les Ouattara ont fini par faire avec le rassemblement des Houphouëtistes. C’est une nécessité, et moi, je suis pour des larges coalitions. D’où mon slogan ‘rassembler pour gagner, rassembler pour gouverner’, mais plus fondamentalement rassembler pour servir le Sénégal.
N’avez-vous pas l’impression d’avoir perdu du terrain à Thiès, puisque des conseillers municipaux de Rewmi vous ont quitté en demandant même votre destitution ?
Ecoutez ! Il faut être sérieux. Il est normal que le président de la République qui considère que je suis son adversaire le plus dangereux mette tout en œuvre pour m’éliminer. Ces jeunes-là, qui les a reçus au Palais ? C’est le président de la République. Vous savez, ce que j’ai dit aux Thièssois en faisant la campagne en 2009 et je le répète ici aujourd’hui : le jour où les Thièssois m’abandonnent, j’arrête de faire de la politique. Un jour, nous recevions le Premier ministre du Canada, et en rigolant, le Président Wade lui a dit : ‘Tu sais, mon Premier ministre s’intéresse beaucoup à sa base régionale à Thiès’. Et Jean Chrétien m’a dit : ‘Ne changez surtout pas ça, je fais la même chose au Canada ? Si vos plus proches ne disent pas que vous êtes bon, personne d’autre ne le dira’. Donc, naturellement, si les Thiessois ne m’avaient pas renouvelé leur confiance, tout en sachant clairement mes objectifs, j’aurais arrêté.
Je leur ai dit que mon principal objectif c’est d’être le 4e président du Sénégal par la grâce de Dieu et la volonté des Sénégalais. Et que c’est à cela que je vais consacrer tous mes efforts et toutes mes énergies. J’ai installé une équipe municipale d’assez bonne qualité que j’appuie. D’ailleurs, les Thiessois ont vu les jours derniers des bennes pour s’occuper de leurs ordures et qui sont venues de la coopération décentralisée. Vous pensez que c’est en dormant que j’ai obtenu cela ? Mais mon objectif, ce n’est pas seulement Thiès, mais tout le Sénégal. Je veux qu’on installe l’Etat de droit au Sénégal, et que les lois soient respectées par tous et soient les mêmes pour tous. Je veux que, au Sénégal, les gens connaissent enfin la prospérité, que les délestages cessent, que les femmes accèdent aux financements pour leurs activités pour nourrir leurs familles.
Wade a opté pour un régime présidentiel pur et dur et Bennoo Siggil Senegaal veut un équilibre entre les régimes présidentiel et parlementaire. Quel régime Idrissa Seck compte-t-il mettre en place une fois élu ?
Clairement un régime présidentiel. Mais un régime présidentiel respectueux de l’équilibre des pouvoirs. C’est-à-dire un Parlement pleinement responsable, pleinement en charge de ses prérogatives, Une justice clairement indépendante sans que cette indépendance ne conduise des juges à poser des actes répréhensibles en toute impunité. Je veillerai à ce que, à l’indépendance totale de la justice soit associé un mécanisme qui permette à des citoyens, face à des décisions de justice injustes, de poursuivre les juges indélicats. Je veux un Président qui définit la politique de la nation, qui impulse l’Exécutif, un Parlement qui vote les lois et qui contrôle efficacement leur application, une justice indépendante, mais avec des juges responsables devant un organisme qui pourrait inclure les représentants des Institutions de l’Etat, des techniciens du droit, des journalistes, et devant cette Institution, des citoyens qui pourraient être victimes de décisions aberrantes ou contraires au droit puissent aller porter plainte contre des juges indélicats.
Le budget qui vient d’être adopté à l’Assemblée nationale fait la part belle au social et aux infrastructures. Entendez-vous faire mieux ?
D’abord, je vais continuer ce que j’avais commencé et qu’on aurait jamais dû arrêter. Je vais décentraliser le budget consolidé d’investissement parce que le Sénégal ne se limite pas à Dakar ni à Thiès. Le Sénégal s’étend jusqu’à Kédougou, jusqu’à Saint-Louis, Kaolack, Matam, Podor, Ziguinchor etc. Donc, l’idée qu’on avait de dire qu’à chaque fête d’indépendance, on la fêtait dans une région, je vais la poursuivre en augmentant le budget. Ce que je retiens pour l’instant, en attendant que l’étude des experts peaufine la faisabilité, c’est que chaque année je dépenserai dans une région 100 milliards de francs Cfa. Cinquante milliards dans des infrastructures prioritaires et cinquante autres milliards dans une mutuelle régionale d’épargne et de crédit où on pourra donner suffisamment de garanties pour que le système bancaire qui finance insuffisamment notre économie ait l’opportunité de financer beaucoup plus substantiellement. Parce qu’aujourd’hui le taux de financement de l’économie gravite autour de 19 %, là où il atteint plus de 60, 70, 80 % dans le Maghreb. C’est inacceptable. Ça c’est d’abord une meilleure distribution plus équilibrée des richesses nationales et du budget consolidé d’investissement.
Maintenant, je choisis, en dehors de l’Energie qui est un secteur générique qui irrigue toute l’Economie et dont on va s’occuper en améliorant le parc de production actuel en le diversifiant pour intégrer davantage d’énergies propres : solaire, éolienne, hydro-électrique, etc et qu’on va privatiser. Le transport qu’on va améliorer. En dehors de ce secteur générique de l’Economie qui touche tous les acteurs, les artisans, les coiffeurs, les tailleurs, les usines, j’aurai deux secteurs prioritaires.
Quels sont-ils ?
Le premier c’est l’agriculture puisque 60 % de notre population est dans l’agriculture et le secteur ne produit que 10 % des richesses nationales. C’est aberrant.Tant que ça restera comme ça, nous resterons pauvres. Pour que cette agriculture-là décolle, il faut maîtriser l’eau. Donc, naturellement, nous aurons un programme spécial de maîtrise de l’eau, de renforcement du parc des forages, de réhabilitation des forages en panne, d’extension des bassins de rétention - mais mieux que les bassins actuels, l’idée était bonne au début comme certaines idées du président de la République qui ont été ensuite dévoyées par la suite - de renforcement du personnel qui travaille dans le secteur. C’est pourquoi d’ailleurs on a un programme spécial. On est en train de réfléchir sur le nom. Certains disent qu’on va l’appeler ‘les légionnaires du développement’, d’autres proposent ‘les volontaires du développement’. Mais, l’idée c’est de prendre des jeunes et de les former proprement et les injecter dans le secteur agricole pour renforcer le personnel qui s’occupe du secteur. Le deuxième gros secteur dont nous allons nous occuper, ce sont les téléservices. C’est-à-dire tout ce qui est métier de l’intelligence : télécom, biologie, informatique etc.
Quel sera le coût de ce programme ?
Ne vous inquiétez pas pour le coût. Une petite mesure simple : toutes ces agences que vous voyez à gauche et à droite seront supprimées. L’Etat retrouvera toute sa place, les ministères retrouveront toute leur place même si pour animer certaines directions qui requièrent des compétences particulières on va prendre ces compétences dans le secteur privé et les injecter dans l’administration. Mais on ne créera pas une agence pour n’importe quoi. On prendra la structure de l’Etat, les directions d’administration centrale auront la plénitude de leurs prérogatives et seront animées par des personnels compétents. Cela nous conduira à des économies substantielles. Je ne passerai pas ma vie à voyager à la recherche de distinctions, de prix, de médailles comme ‘Le vieux nègre et la médaille’ (titre de l’ouvrage écrit en 1957 par Ferdinand Oyono, Ndlr). J’utiliserai tout cet argent pour les mutuelles de crédit et d’épargne et pour l’agriculture. Vous venez d’écouter le Conseil des ministres où on a encore créé des Ambassades, de Consulats, etc. Tout cela, c’est du gaspillage. En réduisant le train de vie de l’Etat, on concentre les ressources pour résoudre les problèmes des populations.
‘Pourquoi Wade s’arrogerait-il le droit d’être le seul à devoir décider de qui dirigera le Sénégal et à choisir son fils’
Dernièrement, le président Wade a déclaré que les gens de l’opposition n’ont pas la formation nécessaire pour diriger un pays. Que répondez-vous à cela ?
Il est le mieux placé pour vous répondre. Il a commencé à bénéficier de mes services intellectuels quand j’étais étudiant en classe préparatoire Hec à Paris. Il a continué à en bénéficier quand j’ai intégré l’Institut d’études politiques de Paris dont je suis diplômé. Il a continué à en bénéficier quand Price Waterhouse m’a recruté et quand je suis allé à Princeton sur la base d’un concours qui, chaque année, sélectionne simplement six personnes dans tout le tiers-monde incluant la Chine et l’Inde qui présentent un potentiel de leadership, c’est-à-dire qui sont capables de devenir demain des leaders et des dirigeants. Et c’est James Baker, (ancien Secrétaire d’Etat américain, Ndlr), qui m’avait repéré et recommandé à ce programme.
Wade, combien de fois il m’a dit qu’il s’appuyait sur moi ? La preuve, depuis que je l’ai quitté en 2004, il ne fait que des bourdes. Alors, vous pensez qu’on manque au Sénégal de compétences pour gérer le Sénégal ? Non c’est un faux débat et un faux prétexte. Et de toutes les façons, il y a treize millions de Sénégalais pour en décider. Pourquoi Wade s’arrogerait-il le droit d’être le seul à devoir décider de qui dirigera le Sénégal et à choisir son fils ? Pourquoi ? Il y a treize millions de Sénégalais et quatre millions d’électeurs pour faire ce travail. Ce n’est pas son travail à lui. On lui demande de cesser d’être ‘Wakh wakhète’, de respecter la Constitution et les lois et de partir. Et de toutes les façons, je m’emploierai de toutes mes forces à le faire partir.
Ahmeth Khalifa Niasse a déclaré que, dans les jours à venir, il y aura un ancien Premier ministre libéral qui sera reçu au palais. Vous n’êtes que deux vous et Macky Sall…
Ce ne sera, sûrement, pas moi. Là-dessus je suis très clair. J’ai définitivement rompu avec Abdoulaye Wade. J’assume tous mes choix et vous le savez. Quand, en 2007 je suis allé lui répondre au palais cela m’a valu toutes les critiques les plus acerbes, y compris dans mon propre cercle familial. Mais je l’ai fait parce que je ne pouvais pas dire non à Serigne Saliou Mbacké et à Tivaoune. Je l’ai fait parce que j’avais besoin d’entendre le président de la République qui était la principale source des accusations contre moi me laver publiquement. Et vous l’avez entendu, en compagnie de Abdoul Aziz Sy Al Ibn, me laver proprement devant la télévision nationale. J’avais besoin à chaque fois que la vérité soit restaurée de sa bouche. Mais, cette fois-ci lorsque je me suis aperçu que les intérêts du Sénégal étaient menacés et que sa présence à la tête du Sénégal était un danger et que le népotisme était en train de prendre au-delà même de ce que j’avais soupçonné en dénonçant en 2004 la dévolution monarchique du pouvoir. J’ai dit que je ne le lui parlerai plus jamais ni directement ni indirectement. Il s’agit des intérêts du Sénégal. Sa présence à la tête du pays étant devenu un danger et une calamité pour les populations, je n’ai plus rien à discuter avec lui. Toutes les tentatives de réconciliation, d’envoi d’émissaires sont vouées à l’échec.
Et s’il vous proposait de retirer sa candidature et vous laisser être le candidat du Pds…
(Il coupe) Non, non je n’en veux pas non plus. Je le lui ai déjà dit. Je lui ai dit : ‘Monsieur le président, il ne vous incombe pas de choisir votre successeur, cela incombe à Dieu et aux électeurs sénégalais, arrêtez de vous en occuper’. Il a dit à la télévision que tout le monde va lui succéder sauf moi.
Il peut changer d’avis entre-temps
S’il change d’avis, qu’il vote mais qu’il s’abstienne surtout de me soutenir publiquement parce que son soutien me coulerait.
Le député El Hadj Diouf demande l’intervention de l’armée au cas où Wade décide de se présenter en février 2012.
Que Dieu nous en préserve. Le Sénégal n’a jamais connu de coup d’Etat militaire. Le Sénégal dispose d’une armée exceptionnelle dont la compétence est reconnue au plan mondial. Laissons-la en dehors du jeu politique. Mais il est clair qu’au Niger, c’est une tentative de violation de la Constitution qui a amené des militaires au pouvoir. Il ne faut pas jouer avec ça. Tous les risques viennent d’une tentative de manipulation, de viol de la Constitution.
Me Wade a rejeté le bulletin unique, qu’en pensez-vous ?
Le bulletin unique peut aider à économiser et à clarifier le jeu électoral. Mais quel que soit le bulletin que nous aurons, Wade partira. (Fin)
Entretien réalisé par Georges Nesta DIOP, Pierre Edouard Faye (Walf Tv) et Charles Gaïky DIENE
( WALF )
Wal Fadjri : En tant que membre du M23, le blocage au niveau de Bennoo ne va-t-il pas décrédibiliser l’opposition aux yeux de l’opinion ?
Idrissa SECK : Pour moi, c’est un faux débat. Que chacun aille travailler et rassembler l’électorat qu’il peut, puisqu’il nous faut prendre l’habitude de rendre au peuple sénégalais souverain, sa capacité de choix, sortir des combinaisons d’appareils où quelques chefs de parti s’enferment dans une salle et se distribuent les positions. Que ceux qui ont 10 % sachent qu’ils ont 10 % de la confiance des Sénégalais et que ceux qui ont 51 % gouvernent. Mais on ne peut pas passer notre vie dans des combinaisons. Il faut que le peuple sénégalais souverain ait l’opportunité de dire clairement comment il distribue sa confiance entre tous ceux qui le sollicitent. Et une fois que le peuple s’est prononcé, il nous faut respecter son choix. Moi-même, en 2007, je savais, à l’avance - parce que avant d’entreprendre toute initiative, j’étudie le marché - donc en juin 2007, j’avais fait faire une étude qualitative et quantitative de l’opinion sénégalaise d’abord pour cerner ses attentes et ensuite pour avoir une idée de ses intentions de vote. Cette étude avait été conduite par Labo marketing du professeur Saliou Diop et elle m’avait donné presque à quelques poussières de points près les résultats qui se sont révélés être ceux de 2007. Et quand l’élection s’est passée, vous m’avez entendu reconnaître la victoire de Wade au premier tour à 55 %. Cela correspondait à mes attentes. Et là, actuellement, j’en ai deux.
Vous avez actuellement deux études qui prédisent quoi pour vous en 2012 ?
(Rires) Non mais franchement, il faut être sérieux. Vous savez, n’importe chef d’entreprise qui dépense 50 millions de francs dans un business fait une étude de marché. Vous voulez que je m’engage dans une activité aussi sérieuse que celle de diriger un pays sans un minimum d’étude ? Je ne le ferai jamais. L’activité politique est l’activité où l’on s’expose le plus. On court le risque de perdre sa vie, de perdre sa liberté, de perdre ses biens, de perdre son honneur, d’être attaqué par des gens qui, autrement, n’oseraient même pas vous adresser la parole. Alors, vous pensez qu’on s’engage à la légère dans une activité de cette nature ? Bien sûr que j’ai fait des études. Et si en 2007 les Sénégalais ne m’avaient pas dit qu’après Wade le meilleur choix qu’ils avaient c’était moi, je n’aurais pas continué à faire de la politique. J’aurais continué à faire ce que je faisais dans le secteur privé : gagner de l’argent et produire des bienfaits pour les populations et pour mes proches. Mais, c’est parce que les Sénégalais m’avaient donné cette réponse qui correspondait à celle que m’avait annoncée l’étude que j’ai continué à travailler, à mobiliser des soutiens à l’intérieur du pays et dans la diaspora à convaincre des compatriotes qui étaient pourtant dans des stations mirobolantes au plan mondial à revenir au pays au service du peuple sénégalais. Et naturellement, ce qui m’est annoncé est suffisamment prometteur pour que je poursuive.
‘Je veillerai à ce que, à l’indépendance totale de la justice, soit associé un mécanisme qui permette à des citoyens, face à des décisions de justice injustes, de poursuivre les juges indélicats’.
Vous êtes dans les starting-blocks. Macky Sall y est et Aminata Tall probablement. N’y a-t-il pas possibilité d’alliance entre vous ?
Pas seulement une alliance entre nous trois. Je vais répéter ce que je viens de dire : tous ceux qui pensent qu’ils ont le potentiel pour être président de la République doivent avoir l’opportunité de tester ce potentiel vis-à-vis du peuple sénégalais qui, encore une fois, est le seul souverain. C’est vous qui déciderez. Moi j’ai une carte d’électeur, chacun en a une, mais pourquoi se fatiguer. Allons tous vers les Sénégalais qui voteront. Les résultats sortiront et on saura qui est qui. Donc, je ne suis pas contre des candidatures multiples. Je suis pour une chose et c’est pour cela que je traite chacun des candidats comme un concurrent jusqu’au premier tour. Un allié potentiel au deuxième tour est en tout état de cause un partenaire, si c’est moi qui deviens président de la République pour constituer une base politique et sociale suffisamment large et stable pour une prise en charge efficace des Sénégalais. Parce qu’on ne dirige pas un pays avec 25 ou 30 %. On dirige un pays avec 51 % ou 50 % plus une voix au minimum. En 2002 je suis allé en Côte d’ivoire en tant que ministre d’Etat chargé par le président de la République de parler aux leaders ivoiriens, je les avais tous vus à l’époque : Gueï, Gbagbo, Ouattara… Je leur ai dit : ‘Vous êtes en train de casser votre pays, puisque chacun d’entre vous a à peu près ¼ de l’électorat, vous êtes obligés de vous mettre deux à deux ou trois à trois pour avoir une plate-forme politique large’. Mais, c’est ce que les Ouattara ont fini par faire avec le rassemblement des Houphouëtistes. C’est une nécessité, et moi, je suis pour des larges coalitions. D’où mon slogan ‘rassembler pour gagner, rassembler pour gouverner’, mais plus fondamentalement rassembler pour servir le Sénégal.
N’avez-vous pas l’impression d’avoir perdu du terrain à Thiès, puisque des conseillers municipaux de Rewmi vous ont quitté en demandant même votre destitution ?
Ecoutez ! Il faut être sérieux. Il est normal que le président de la République qui considère que je suis son adversaire le plus dangereux mette tout en œuvre pour m’éliminer. Ces jeunes-là, qui les a reçus au Palais ? C’est le président de la République. Vous savez, ce que j’ai dit aux Thièssois en faisant la campagne en 2009 et je le répète ici aujourd’hui : le jour où les Thièssois m’abandonnent, j’arrête de faire de la politique. Un jour, nous recevions le Premier ministre du Canada, et en rigolant, le Président Wade lui a dit : ‘Tu sais, mon Premier ministre s’intéresse beaucoup à sa base régionale à Thiès’. Et Jean Chrétien m’a dit : ‘Ne changez surtout pas ça, je fais la même chose au Canada ? Si vos plus proches ne disent pas que vous êtes bon, personne d’autre ne le dira’. Donc, naturellement, si les Thiessois ne m’avaient pas renouvelé leur confiance, tout en sachant clairement mes objectifs, j’aurais arrêté.
Je leur ai dit que mon principal objectif c’est d’être le 4e président du Sénégal par la grâce de Dieu et la volonté des Sénégalais. Et que c’est à cela que je vais consacrer tous mes efforts et toutes mes énergies. J’ai installé une équipe municipale d’assez bonne qualité que j’appuie. D’ailleurs, les Thiessois ont vu les jours derniers des bennes pour s’occuper de leurs ordures et qui sont venues de la coopération décentralisée. Vous pensez que c’est en dormant que j’ai obtenu cela ? Mais mon objectif, ce n’est pas seulement Thiès, mais tout le Sénégal. Je veux qu’on installe l’Etat de droit au Sénégal, et que les lois soient respectées par tous et soient les mêmes pour tous. Je veux que, au Sénégal, les gens connaissent enfin la prospérité, que les délestages cessent, que les femmes accèdent aux financements pour leurs activités pour nourrir leurs familles.
Wade a opté pour un régime présidentiel pur et dur et Bennoo Siggil Senegaal veut un équilibre entre les régimes présidentiel et parlementaire. Quel régime Idrissa Seck compte-t-il mettre en place une fois élu ?
Clairement un régime présidentiel. Mais un régime présidentiel respectueux de l’équilibre des pouvoirs. C’est-à-dire un Parlement pleinement responsable, pleinement en charge de ses prérogatives, Une justice clairement indépendante sans que cette indépendance ne conduise des juges à poser des actes répréhensibles en toute impunité. Je veillerai à ce que, à l’indépendance totale de la justice soit associé un mécanisme qui permette à des citoyens, face à des décisions de justice injustes, de poursuivre les juges indélicats. Je veux un Président qui définit la politique de la nation, qui impulse l’Exécutif, un Parlement qui vote les lois et qui contrôle efficacement leur application, une justice indépendante, mais avec des juges responsables devant un organisme qui pourrait inclure les représentants des Institutions de l’Etat, des techniciens du droit, des journalistes, et devant cette Institution, des citoyens qui pourraient être victimes de décisions aberrantes ou contraires au droit puissent aller porter plainte contre des juges indélicats.
Le budget qui vient d’être adopté à l’Assemblée nationale fait la part belle au social et aux infrastructures. Entendez-vous faire mieux ?
D’abord, je vais continuer ce que j’avais commencé et qu’on aurait jamais dû arrêter. Je vais décentraliser le budget consolidé d’investissement parce que le Sénégal ne se limite pas à Dakar ni à Thiès. Le Sénégal s’étend jusqu’à Kédougou, jusqu’à Saint-Louis, Kaolack, Matam, Podor, Ziguinchor etc. Donc, l’idée qu’on avait de dire qu’à chaque fête d’indépendance, on la fêtait dans une région, je vais la poursuivre en augmentant le budget. Ce que je retiens pour l’instant, en attendant que l’étude des experts peaufine la faisabilité, c’est que chaque année je dépenserai dans une région 100 milliards de francs Cfa. Cinquante milliards dans des infrastructures prioritaires et cinquante autres milliards dans une mutuelle régionale d’épargne et de crédit où on pourra donner suffisamment de garanties pour que le système bancaire qui finance insuffisamment notre économie ait l’opportunité de financer beaucoup plus substantiellement. Parce qu’aujourd’hui le taux de financement de l’économie gravite autour de 19 %, là où il atteint plus de 60, 70, 80 % dans le Maghreb. C’est inacceptable. Ça c’est d’abord une meilleure distribution plus équilibrée des richesses nationales et du budget consolidé d’investissement.
Maintenant, je choisis, en dehors de l’Energie qui est un secteur générique qui irrigue toute l’Economie et dont on va s’occuper en améliorant le parc de production actuel en le diversifiant pour intégrer davantage d’énergies propres : solaire, éolienne, hydro-électrique, etc et qu’on va privatiser. Le transport qu’on va améliorer. En dehors de ce secteur générique de l’Economie qui touche tous les acteurs, les artisans, les coiffeurs, les tailleurs, les usines, j’aurai deux secteurs prioritaires.
Quels sont-ils ?
Le premier c’est l’agriculture puisque 60 % de notre population est dans l’agriculture et le secteur ne produit que 10 % des richesses nationales. C’est aberrant.Tant que ça restera comme ça, nous resterons pauvres. Pour que cette agriculture-là décolle, il faut maîtriser l’eau. Donc, naturellement, nous aurons un programme spécial de maîtrise de l’eau, de renforcement du parc des forages, de réhabilitation des forages en panne, d’extension des bassins de rétention - mais mieux que les bassins actuels, l’idée était bonne au début comme certaines idées du président de la République qui ont été ensuite dévoyées par la suite - de renforcement du personnel qui travaille dans le secteur. C’est pourquoi d’ailleurs on a un programme spécial. On est en train de réfléchir sur le nom. Certains disent qu’on va l’appeler ‘les légionnaires du développement’, d’autres proposent ‘les volontaires du développement’. Mais, l’idée c’est de prendre des jeunes et de les former proprement et les injecter dans le secteur agricole pour renforcer le personnel qui s’occupe du secteur. Le deuxième gros secteur dont nous allons nous occuper, ce sont les téléservices. C’est-à-dire tout ce qui est métier de l’intelligence : télécom, biologie, informatique etc.
Quel sera le coût de ce programme ?
Ne vous inquiétez pas pour le coût. Une petite mesure simple : toutes ces agences que vous voyez à gauche et à droite seront supprimées. L’Etat retrouvera toute sa place, les ministères retrouveront toute leur place même si pour animer certaines directions qui requièrent des compétences particulières on va prendre ces compétences dans le secteur privé et les injecter dans l’administration. Mais on ne créera pas une agence pour n’importe quoi. On prendra la structure de l’Etat, les directions d’administration centrale auront la plénitude de leurs prérogatives et seront animées par des personnels compétents. Cela nous conduira à des économies substantielles. Je ne passerai pas ma vie à voyager à la recherche de distinctions, de prix, de médailles comme ‘Le vieux nègre et la médaille’ (titre de l’ouvrage écrit en 1957 par Ferdinand Oyono, Ndlr). J’utiliserai tout cet argent pour les mutuelles de crédit et d’épargne et pour l’agriculture. Vous venez d’écouter le Conseil des ministres où on a encore créé des Ambassades, de Consulats, etc. Tout cela, c’est du gaspillage. En réduisant le train de vie de l’Etat, on concentre les ressources pour résoudre les problèmes des populations.
‘Pourquoi Wade s’arrogerait-il le droit d’être le seul à devoir décider de qui dirigera le Sénégal et à choisir son fils’
Dernièrement, le président Wade a déclaré que les gens de l’opposition n’ont pas la formation nécessaire pour diriger un pays. Que répondez-vous à cela ?
Il est le mieux placé pour vous répondre. Il a commencé à bénéficier de mes services intellectuels quand j’étais étudiant en classe préparatoire Hec à Paris. Il a continué à en bénéficier quand j’ai intégré l’Institut d’études politiques de Paris dont je suis diplômé. Il a continué à en bénéficier quand Price Waterhouse m’a recruté et quand je suis allé à Princeton sur la base d’un concours qui, chaque année, sélectionne simplement six personnes dans tout le tiers-monde incluant la Chine et l’Inde qui présentent un potentiel de leadership, c’est-à-dire qui sont capables de devenir demain des leaders et des dirigeants. Et c’est James Baker, (ancien Secrétaire d’Etat américain, Ndlr), qui m’avait repéré et recommandé à ce programme.
Wade, combien de fois il m’a dit qu’il s’appuyait sur moi ? La preuve, depuis que je l’ai quitté en 2004, il ne fait que des bourdes. Alors, vous pensez qu’on manque au Sénégal de compétences pour gérer le Sénégal ? Non c’est un faux débat et un faux prétexte. Et de toutes les façons, il y a treize millions de Sénégalais pour en décider. Pourquoi Wade s’arrogerait-il le droit d’être le seul à devoir décider de qui dirigera le Sénégal et à choisir son fils ? Pourquoi ? Il y a treize millions de Sénégalais et quatre millions d’électeurs pour faire ce travail. Ce n’est pas son travail à lui. On lui demande de cesser d’être ‘Wakh wakhète’, de respecter la Constitution et les lois et de partir. Et de toutes les façons, je m’emploierai de toutes mes forces à le faire partir.
Ahmeth Khalifa Niasse a déclaré que, dans les jours à venir, il y aura un ancien Premier ministre libéral qui sera reçu au palais. Vous n’êtes que deux vous et Macky Sall…
Ce ne sera, sûrement, pas moi. Là-dessus je suis très clair. J’ai définitivement rompu avec Abdoulaye Wade. J’assume tous mes choix et vous le savez. Quand, en 2007 je suis allé lui répondre au palais cela m’a valu toutes les critiques les plus acerbes, y compris dans mon propre cercle familial. Mais je l’ai fait parce que je ne pouvais pas dire non à Serigne Saliou Mbacké et à Tivaoune. Je l’ai fait parce que j’avais besoin d’entendre le président de la République qui était la principale source des accusations contre moi me laver publiquement. Et vous l’avez entendu, en compagnie de Abdoul Aziz Sy Al Ibn, me laver proprement devant la télévision nationale. J’avais besoin à chaque fois que la vérité soit restaurée de sa bouche. Mais, cette fois-ci lorsque je me suis aperçu que les intérêts du Sénégal étaient menacés et que sa présence à la tête du Sénégal était un danger et que le népotisme était en train de prendre au-delà même de ce que j’avais soupçonné en dénonçant en 2004 la dévolution monarchique du pouvoir. J’ai dit que je ne le lui parlerai plus jamais ni directement ni indirectement. Il s’agit des intérêts du Sénégal. Sa présence à la tête du pays étant devenu un danger et une calamité pour les populations, je n’ai plus rien à discuter avec lui. Toutes les tentatives de réconciliation, d’envoi d’émissaires sont vouées à l’échec.
Et s’il vous proposait de retirer sa candidature et vous laisser être le candidat du Pds…
(Il coupe) Non, non je n’en veux pas non plus. Je le lui ai déjà dit. Je lui ai dit : ‘Monsieur le président, il ne vous incombe pas de choisir votre successeur, cela incombe à Dieu et aux électeurs sénégalais, arrêtez de vous en occuper’. Il a dit à la télévision que tout le monde va lui succéder sauf moi.
Il peut changer d’avis entre-temps
S’il change d’avis, qu’il vote mais qu’il s’abstienne surtout de me soutenir publiquement parce que son soutien me coulerait.
Le député El Hadj Diouf demande l’intervention de l’armée au cas où Wade décide de se présenter en février 2012.
Que Dieu nous en préserve. Le Sénégal n’a jamais connu de coup d’Etat militaire. Le Sénégal dispose d’une armée exceptionnelle dont la compétence est reconnue au plan mondial. Laissons-la en dehors du jeu politique. Mais il est clair qu’au Niger, c’est une tentative de violation de la Constitution qui a amené des militaires au pouvoir. Il ne faut pas jouer avec ça. Tous les risques viennent d’une tentative de manipulation, de viol de la Constitution.
Me Wade a rejeté le bulletin unique, qu’en pensez-vous ?
Le bulletin unique peut aider à économiser et à clarifier le jeu électoral. Mais quel que soit le bulletin que nous aurons, Wade partira. (Fin)
Entretien réalisé par Georges Nesta DIOP, Pierre Edouard Faye (Walf Tv) et Charles Gaïky DIENE
( WALF )